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Le poids du Ciel de Jean GIONO

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Le poids du Ciel de Jean GIONO

Extrait de « Danse des âmes modernes », premier chapitre du livre Le poids du Ciel, à paraître aux éditions de la N.R. F.

Danse des âmes modernes

Me voilà revenu dans l’abri silencieux et pur des montagnes. Le clapotement des temps modernes est de l’autre côté de cent milliards de tonnes de glaciers, de granit, de torrents ; une vertigineuse barrière d’aiguilles froides déchire le ciel de ce côté. Ici, je suis chez moi ; nous sommes chez nous, ne faisant pas de différences entre seulement moi et enfin l’homme. Tout est à notre taille. Il n’y a pas de grandeur que je ne puisse égaler. La solitude me permet de connaître le grondement énorme de ma vie. Voir est un délice ; entendre, un étonnement voluptueux ; vivre, une qualité.

J’ai connu des peaux qui étaient tout le temps dans des baignoires. Et, au-dessus de la baignoire, il y avait une tablette de verre, ou de marbre, ou de pierre précieuse, qu’on pouvait rendre parfaitement nette d’un petit coup d’éponge, avec, là-dessus, des pierres ponces, des savons, des laits en bouteille, des alcools, des couleurs fraîches pour les ongles, pour les yeux, pour les lèvres ; des rasoirs, des pâtes à épiler, des étrilles à beauté, des outils compliqués de propreté corporelle. Et tout ça servait, d’une façon qu’il fallait vraiment voir au moins une fois dans sa vie ; pendant de longues heures, avec un scrupule dont il semblait que devait dépendre l’ordre de l’univers entier.

— Où voulez-vous en venir ?

— A ceci : je cherche le cuveau où vous lavez aussi votre âme. Car j’imagine que vous n’allez pas trimballer cette ordure dans ce vase d’or, vous qui avez tant appétit de propreté ! Votre corps est comme de l’ambre ; et je vois sur vos hanches frémir des reflets pareils à ceux de la soie. Mais, votre corps, il ne compose rien, sinon une infinité de corps, séparés les uns des autres, pauvrement solitaires malgré toute leur beauté. Seul dans la vie, seul dans l’amour, dans la douleur, dans la joie, dans la mort. Il ne compose rien dans le temps. Il ne vous sert même pas. Vous empêche-t-il de désespérer ? Vous délivre-t-il de l’esclavage ? Je parle de ce corps moderne. Je sais très bien quel magnifique usage on peut faire du corps. Ce n’est pas à moi que vous allez l’apprendre. Je parle de votre écorce d’or.

Non, elle ne peut pas vous servir à grand ’chose. Elle a des frontières trop serrées contre elle. Elle peut lancer son poing d’or à cinquante centimètres en avant, en allonge utile et avec une force de tant de kilos-limite ; de quoi assommer un homme, mais certainement pas de quoi assommer un bœuf. Elle peut soulever son poids d’or à un mètre quarante au-dessus de terre ; et peut-être trois mètres cinquante avec une perche. Elle peut courir trois mille mètres en tant de minutes. Elle peut porter soixante-dix kilos sur ses épaules d’or ; marcher le long de soixante kilomètres du lever au coucher du soleil. Et, bien entendu, pour ces écorces qui se sont soigneusement cultivées dans les stades, toutes ces limites sont dérisoires ; elles rayonnent corporellement plus loin. Si loin que ça ? Non, elles approchent centimètre à centimètre de la frontière de fer qu’elles ne pourront pas dépasser. Demain le javelot et le disque frapperont sur les distances infranchissables. Et après ? Car, d’un autre côté, le gouffre imaginaire de l’amour simplement physique est, si j’ose dire (et je l’ose), un cul de sac !

Et pourtant, ne vous trompez pas. Ce corps que vous faites tremper plusieurs heures par jour dans des baignoires, vous avez raison, il est magique. Vous l’avez instinctivement compris, maintenant que vous avez une soif terrible d’espoir et qu’autour de vous le désert volette lourdement avec ses grandes ailes de sable. Il est magique, et quelle merveille c’est, et que de richesses inouïes il contient. Mais, chaque fois que vous découvrez quelque chose, c’est « par le mauvais bout ». Vous avez cru faire une œuvre considérable en soignant votre peau, mais votre âme est couverte d’eczémas. Elle se gratte tout le temps avec ses grands ongles noirs. Tout ce qu’elle mange, elle le prend avec, ces griffes pleines de crasse et des écailles du mal. Elle parle avec une gorge lépreuse. Elle a des cuisses qui ne se sont jamais lavées d’aucune époque. Elle conçoit dans la pourriture. Elle conçoit des avortons tout irrités de dermatoses, que vous prenez pour des fleurs. Les yeux nourrissent les mouches. Elle ruisselle de sanies et de gommes comme les cerisiers malades. Elle souille les prés qu’elle traverse. Les arbres qui la touchent du bout des branches recroquevillent leurs feuilles comme s’ils avaient touché du feu. Les ruisseaux s’assèchent devant elle comme si elle soufflait le vent de l’apocalypse. La pluie fume sur ses plaies bouillantes. Son odeur tue les oiseaux au fond des hauteurs. Vous la voyez, portant autour d’elle la terreur et la mort ; mais vous croyez que c’est la marque de sa divinité.

L’âme est la composante de tout. Elle organise, elle ordonne, elle unit, elle rejoint, elle se marie, elle se mélange, pure, elle attache les hommes solitaires dans la compagnie du monde. Elle en fait comme des oiseaux couverts de racines. Je joins raisonnablement ces deux mots dont l’un est vélocité, l’autre immobilité ; un, l’image même de la danse, de la joie, de l’heureuse vanité du vent : l’autre, l’image de la plantation, de la cimentation, de la crispation profonde, de la force éperdue qui serre le monde matériel, l’image de l’amour féroce, l’image de la nourriture.

Oh ! l’homme solitaire est devenu alors comme un courlis, comme une mésange, une fauvette, une alouette ou une huppe, ou bien ces geais qu’on voit passer à travers les rayons du soleil, si mordorés de plumes qu’on peut croire qu’ils décomposent la lumière comme des blocs de verre. L’homme devient cet habitant de l’air, quand il a l’âme pure. Il devient même l’habitant d’un monde bien plus subtil que l’air ; et, ce qui paraissait être le vide, où nul ne pensait pouvoir appuyer de la vie, c’est pour lui le milieu le plus habitable, le plus nourrissant, le plus savoureux, le plus joyeusement solide. Il n’est plus question de solitude humaine, de condition humaine, de toutes ces grandes illusions, sévères et puantes comme des cadavres verts, qu’on a créées, il y a longtemps, en même temps que les lois spirituelles. Il n’y a plus que solitude cosmique, condition cosmique de l’homme. Une position naturelle dans le catalogue des matières où c’est d’une belle vanité que de se plaindre, puisque toutes les plaintes ne modifieraient rien (c’est si évident que même l’intelligence l’entend), où la plus grande gloire (et qui touche immédiatement sa récompense) est de comprendre la succulence extrême de cette position et d’en jouir ; car c’est exactement ce que la nature entend par vivre.

Une âme pure est violemment rejetée en dehors de toutes les lois spirituelles. La crasse d’âme est très ancienne. Dans les plus vieux livres de contes qui nous ont été transmis, la Bible, l’Odyssée, on trouve parfois dans la popularité du texte des traces de petites poésies involontaires qui sont encore de la propreté. Mais, bien avant ces temps-là, il aurait fallu soigneusement lessiver et frotter les coins de poils et les endroits travailleurs de l’âme, où naturellement elle se salissait plus vite. A l’époque de la création des lois spirituelles, elle était déjà devenue une sorte de comte d’Orgaz, un flot de jus serré dans une armure inutile (dont l’acier même a l’air de vomir) effondrée entre les bras des prêtres et des nobles; seulement, le consolant, quand on regarde l’enterrement du comte d’Orgaz, c’est qu’il est mort et qu’il s’en fout et qu’au fond il est le grand vainqueur de tous ces évêques et de tous ces soldats qui sont là, à ne plus savoir que faire de cette pourriture crustacée dont ils ont plein les mains, essayant de s’en débarrasser les uns sur les autres comme des pitres englués dans du papier tue-mouche. Mais l’âme ? instinctivement, encore une fois et malgré vos philosophes, vous êtes arrivés à savoir qu’elle est immortelle. Oui, elle est immortelle. Regardez dans quel état est l’âme humaine maintenant et dites- moi si c’est consolant de savoir que, malgré tout, elle est encore vivante, qu’elle ne mourra jamais, malgré toutes ses plaies !

On n’a jamais essayé de la laver complètement avec tout ce luxe de lait, de savons, de ponces et de brosses. On n’a jamais essayé de la purifier de son mal. A l’époque de la création des lois spirituelles, ils étaient tous là avec leurs mitres, leurs chasubles de dentelles, leurs crosses et leurs ornements. Tout ça, verdissant dans l’odeur de la saleté, avec des ors que le simple reflet de l’âme lépreuse semblait décharner au fond même de l’imputrescible métal. Ils n’étaient pas médecins, ils étaient orfèvres. Ils n’ont pas essayé de guérir ; ils se sont servis des plaies avec une intelligence et un « métier » magnifiques. Ils nous ont orné toutes ces flaques de jus avec des perles, des diamants, des cabochons. Ils ont entouré les purulences de beaux petits diamants théologiques et philosophiques ; d’un peu loin, on ne pouvait plus distinguer le bubon du cabochon d’améthyste. Ils ont enfermé ce ventre carié dans des cuirasses d’acier. Alors, après, ils ont mis tout ça debout comme un roi mort, un roi ruisselant de mort verte, et, en avant, le long des siècles, c’est ça qui a fait le social, c’est cette âme humaine.

C’est elle qui compose le social moderne, les Etats et les régimes politiques modernes : ce monde de puanteur où nous étouffons. Toutes nos espérances ont été tuées. Nous avons regardé de tous les côtés : de droite et de gauche. Nous sommes allés le plus loin possible dans toutes les directions, les uns et les autres, de bonne, foi. Partout ces cuirasses cadavériques, partout ces chancres ornés, partout ces rois verts, partout ces Orgaz ruisselants de sanie.

Des âmes sans voix, sans force, debout dans les blés, à travers le grillage des forêts, sur les rives des fleuves, dans les ports, remplissant les plaines, alignées dans chaque labour, sans yeux, sans bouches, sans oreilles, des mains mortes, des ventres d’où le sexe est tombé, ayant des gouffres noirs à la place des sens, immobiles, avec l’horrible séduction de leur puanteur. Les âmes les plus sales dégagent une odeur enivrante. La caractéristique des temps modernes est l’obligatoire puanteur du chef. Il n’a pas besoin de parler (j’entends pour dire quelque chose), il ne pourrait pas, d’ailleurs, s’il essayait d’ouvrir la bouche, ses lèvres pourries se déchireraient en le déshabillant de chair jusqu’à ses pieds. On ne lui demande que de sentir mauvais, mais on le lui crie, on le lui hurle, mais on tend les mains vers lui pour le supplier de pourrir un peu plus, de bien faire fumer ses lèpres, de bien balancer ses goitres, de répandre le plus loin possible son choléra, de transmettre parfaitement son infection, que nous puissions enfin jouir d’une saleté nouvelle ! On n’a pas besoin de tant le prier d’ailleurs. Il est le chef moderne, soyez sans craintes, il connaît son métier, il y a été préparé par des siècles de crasse, il a la connaissance physique, philosophique, industrielle de la pourriture.

Alors commence tout doucement la danse des âmes. La vie sociale. Les arbres plient leurs feuilles, serrent leurs branches contre eux, s’enroulent comme des fuseaux dans les bandelettes de leurs branches et de leurs feuilles, se cachent tout debout en se serrant, se sèchent dans cette splendeur secrète « des pauvres petits pharaons morts ». Les herbes se couchent, rampent comme des serpents jusque dans l’intérieur des rochers. Les champs de blé mûrissent farouchement comme les larges flammes d’un incendie de la terre. Ils crépitent de toute la menaçante lourdeur de leurs épis. Ils s’éteignent, se rallument, flambent, font craquer de hautes flammes d’épis, s’éteignent, rampent s’allument avec la vie déchaînée et rouge d’un cancer. Les montagnes retirent leurs neiges propres jusqu’aux sommets inaccessibles. Les fleuves se cachent sous la boue des usines. Les estuaires salissent la mer. Les mouettes lourdes d’eau grasse viennent écraser contre les falaises leur tête aveugle, noire comme du goudron. La danse de l’âme humaine commence ; la danse de l’âme moderne. Le ciel est couvert. Il n’y a plus dans le monde qu’un jour blême pareil à celui qui descend des verrières en dent de scie des toits d’usines. Toute la matière terrestre tremble de peur. Il y a un grand silence fait de coups de canons et de grondements de machines : des bruits que le monde ne peut pas comprendre, ne peut pas entendre et qui composent pour le monde le silence total : le temps pendant lequel l’homme ne parle pas. Car dans un temps la matière était habituée à la voix de l’homme. Elle l’entendait qui parlait vers elle avec ses cris naïfs du berger qui appelle ses moutons. Maintenant, il n’y a plus que ce silence de coups de canons et de bruits de machines. Le ciel déroule ses nuages sans formes. Il n’v a plus aucune qualité ni d’un côté ni de l’autre du ciel. Mais seulement une uniformité vulgaire de lumière écrasée et salie, morte, qui ne fait pas d’ombre, qui sent la poussière. Les âmes couvrent le monde, là, sous cette lumière qui s’accroche à la plus petite croûte de leur mal, qui fait luire la plus petite goutte de pus, cette lumière écrasée et sale qui coule sur toutes les formes de ces âmes immobiles. C’est la danse, sur toutes les formes extraordinaires de ces âmes. Celles qui sont à formes de marteau-pilon, avec une odeur d’huile bouillante dans les coussinets d’acier : deux, grosses jambes d’éléphantiasis, arquées et noires, un torse sans bras, pas de tête, la pourriture changée en métal, la bêtise puissante, ouvrière nourrie d’ouvriers. Sous la lumière blême, les âmes à forme de ponts volants, squelettes métalliques, cage thoracique de fer d’où pendent des chaînes, des crocs, des pinces, des entrailles de chaînes qui se déroulent avec le bruit du tonnerre, le sifflement de l’électricité dans les boggies, la puanteur de l’acier brûlant. Les âmes qui sont des fours Bessmer, des chariots, des Decauville, des hauts fourneaux, des grues métalliques, entassées au confluent des fleuves, dans la cuvette des plaines, dans des Morvans, des mers Polaires, des mers Blanches, des Méditerranées, des Arabies, des Chines, des Amériques. Au croisement de toutes les nervures de ce réseau de fleuves, de rivières, de ruisseaux, de mers, d’océans et de détroits, ces âmes entassées avec leurs petites cheminées de métal noir, comme des chapeaux tremblons, et leurs longues cheminées de ciment armé allongées dans des torsades de nervures jusque dans les profondeurs du ciel comme les piliers des ruines de Babel. L’entassement cocasse et sinistre de ces courroies, ces roues dentées, ces bielles, ces transmissions, ces servo-moteurs, ces tableaux de distribution pareils à des hommes écorchés avec leurs fils rouges, bleus, violets, leurs câbles, leurs muscles, leurs excitateurs, leurs transformateurs, leurs poumons de grillage où souffle le halètement saharien des longues étincelles bleues. Ces âmes, de métal, de ciment, de bruit et de vanité, dont tout le tumulte est silence pour le monde. Ces interminables concasseurs d’hommes ; ces productrices de tôles, de barres, de ponts, d’hélices, de fer, de fouets, de béquilles. Ces générations de simili-vitesse, de simili- force. Ces faiseurs de pauvres hochets dont le métal huilé de sang humain va finalement s’entasser en ferrailles inutiles dans d’autres confluents de routes, dans des banlieues de villes, à côté des champs d’épandage, contre des villas de retraités des chemins de fer, inutiles ferrailles mortes qui laissent goutte à goutte suinter vers la terre le pauvre sang humain avec lequel elles ont été pétries, vaincues par les orties et les pâquerettes égarées. Pauvres objets sans divinités ! Moins humains que la première flûte de roseau ! du premier berger.

La danse !

Les âmes à forme de soldat cachant sous des emplâtres en sparadrap doré des plaies de plus en plus puantes, imitant le chêne sur leurs fronts et le laurier sur leur poitrine décharnée. Alignés sur de grands champs de manœuvre stériles, en rangs, comme des poireaux, des oignons, des choux, des légumes pour la soupe. Par rangs, par quatre, par huit, par douze, par longues files se pliant autour de la jointure du chef de file ; portant des fusils, traînant des canons, cachés sous des masques de cochons, avec des groins de fer plats, grillagés et pleins de sable. Entassés sur les plages des continents, dans les plaines, les montagnes, les collines, couvrant les labours, les prairies, les guérets, les landes et tout l’arable, embarrassant les socs de charrue comme du chiendent; vêtus de rouge, de noir, de brun, de bleu, portant des plumes de coq dans le cul, des étoiles rouges sur leurs casquettes de charretiers à oreillères, se placardant des croix en ailes de moulin sur leur chemise brune, s’éventant d’étendards, de torches, de cavalcades, de parades, de saluts mutuels, piétinant la patrie de marches, de contre-marches, d’avances, de reculs, habitant des boîtes à musique pleines de clairons, de mécanismes d’horlogerie, de lois à retardement, inutiles parfaits préparant leur utilité, mangeant à la pointe du sabre le plus clair, le plus beau, le plus pur de l’humain. Produits de l’usine, plus sûrement que tous les autres objets manufacturés, seuls produits de l’usine en fin de compte. Casernes entassées près des usines. Ouvriers fabriquant des soldats. Chaque fois que l’ouvrier rive le boulon d’une machine, il crée un soldat de plus ; il écrit un mot de l’affiche de mobilisation, il pousse le fascicule un peu plus près de la main du gendarme. Travail des marteaux-pilons, des ponts volants, des bennes, des scies, des aciéries, ronflement, grondement des babels de cheminées et de tous ces chapeaux tromblons qui vomissent des fumées noires dans, le silence humain qui effraie la matière du monde : composition des motifs, des besoins, des lois et des ordres de guerre.

Tout le monde a les meilleurs mots à la bouche. Tout le monde sait par cœur les traités de morale. Les soldats sont toujours défensifs. On leur a créé des obligations de noblesse et d’honneur. Ils ne se promènent que pour vous défendre, prolétaires, bourgeois de race, commerçants romains. Mais, dès que le dernier boulon est rivé à la dernière machine, on fait la razzia des paysans, on les dénude, on les habille de rouge, de brun, de noir, de bleu, on les attelle aux canons, on leur charge les mains de grenades, on les enduit soigneusement, eux, les rues, les villes, les champs, tout, avec la sanie des âmes à formes de poètes officiels, on leur corne des Marseillaises internationalisées et on les pousse comme des épinards sous le hachoir. On ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs. L’ouvrier est d’abord terrifié. Il quitte son marteau. Il recommence à frapper sur ses boulons. Le bruit de sa métallurgie lui cache le bruit du canon. Il reste là. Il ne bouge pas. On le paye un peu plus, puis un peu plus, puis un peu plus, à mesure qu’on saigne les champs, qu’on accouche les paysannes au couteau, comme des bourses d’or, pour en avoir plus vite les enfants.

La danse !

Cette guerre d’usines et de casernes toujours allumée dans quelque coin. La seule chose à laquelle se prépare sérieusement le monde moderne. Le chef, le dictateur, l’élu, le guide, l’homme d’acier, le voilà. Oh ! doux putride, oh ! magnifique puant, oh ! suave, laisse-moi lécher tes jus et tes furoncles, saute sur moi, foule-moi, enlace- moi, que je sente autour de mon cou me serrer, avec ce magnifique amour moderne, tes cuisses décharnées d’où la chair s’arrache suavement pourrie ; sur ma bouche, le froid de tes os plus aimable que la fraîcheur des bras de femmes. Prends-moi. Prends mes enfants !… Il les prend. Il n’avait pas besoin que tu le lui dises. Il les prend parce que ça lui plaît. Et ça lui plaît. Il les choisit comme des melons. Il leur tâte la fontanelle avec un pouce connaisseur. Il leur déchire avec les dents la peau du crâne à cet endroit où les os ne protègent pas la cervelle. Par le trou, il leur souffle la tête comme des bulles de savon. Si elle éclate, tant pis. Si elle ne se gonfle pas, il l’écrase entre ses doigts. Il essuyé ses ongles tout doucement autour de lui dans ses ministres. Si elle se gonfle comme il veut, alors il la tapote et la fait un peu sonner, comme les bouchers font sonner le ventre des moutons morts, et il lâche l’enfant tout contre lui, sur la terre, dans le ruisseau d’enfants gonflés qui coule de lui. Car, à tout moment, on lui en apporte d’autres, on lui en tend d’autres au bout de milliers de bras. Les ruisseaux d’enfants à la tête gonflée coulent de lui comme les processions de pèlerins coulent des ermitages célèbres. Il est devenu le dieu et le créateur. Il n’y a plus aucun rapport entre un enfant véritable et ces enfants ; cette enfance qui est vénusté et joie et appétit de la découverte, et cette curiosité qui gonfle le cœur des vrais enfants comme une poudre qui tout le temps explose et vous fait sauter de tous les côtés dans une vie toute de sourire; comme on voit faire les cabris, les enfants de la chèvre et presque tous les enfants animaux.

Non. Voilà le guide, voilà l’homme d’acier ! Oh ! il a une très petite partie dans cette danse. Il ne fait pas d’efforts. Toutes ces âmes perdues de mal et de saleté, tous ces comtes d’Orgaz liquéfiés, vous les voyez se balancer sur l’étendue de la terre avec cette houlante force des vagues de tempêtes, mais là, au milieu, au centre de l’action, il n’y a pas beaucoup de gestes, il y a un très petit pas de danse. Il y a, bien sûr, cette mauvaise odeur obligatoire du chef et il faut bien convenir qu’une partie de l’ivresse universelle vient de cette mauvaise odeur si succulente. Mais il y a le tout petit pas de danse assez nécessaire malgré tout : le pouce connaisseur qui tâte la fontanelle des enfants, la bouche puante qui gonfle les cervelles neuves, les chemins de la terre où marche cette jeunesse hébétée. Elle a déjà des gestes de vieillards. Elle caresse sa calvitie. Elle ne sait pas que ses cheveux ne sont pas encore poussés. La morve de leur nez, ils la prennent pour de la semence. Il y en a qu’on a ceinturés de poignards et de cartouchières, d’autres qu’on a ficelés dans des disciplines de partis, d’autres chez lesquels on a seulement gonflé avec un peu plus de puanteur dictatoriale la vessie à suffisance qu’ils avaient en place de cervelle.

Tout ça remplit les chemins de la terre, à ras bord, à ne plus laisser de place aux arbres, à arracher les saules, à casser les peupliers, à écraser les platanes, à déborder dans les prés, depuis la main du dictateur qui les pose un à un près de lui dans l’herbe, jusqu’au plus lointain du monde, dans le fin fond, là-bas où ils ne sont plus que comme de petites colonnes de fourmis noires. Ils sont tous immobiles, bien rangés. Ils roulent des yeux de verre sur lesquels on a peint la colère, la fierté, le courage, la gloire, la divinité humaine, l’héroïsme et plus de mille magnifiques sentiments; tout ça, peint dans leurs yeux en cercles concentriques de mille couleurs traversés comme dans les billes de verre. Et la férocité, n’oublions pas. Ça fait masculin. Et ces yeux roulent de droite et de gauche, avec un petit grincement métallique.

Soudain, tous ensemble, ils crient : Hourrah ! De l’autre dictateur, là-bas, il en coule de tout pareils qui crient :  « A nous ! » De l’autre dictateur, il en coule de tout pareils qui crient ; « Le parti ! » Tout ça ensemble, d’une petite voix flûtée. Ils roulent les yeux, ils font un pas automatique, tous ensemble, les uns vers les autres, ils se regardent. Ils crient. Ils roulent les yeux. Ils penchent la tête. Ils s’avancent d’un pas. Ils s’arrêtent. Ils se regardent. Ils crient. Ils roulent les yeux. Ils penchent la grosse tête gonflée chacun de sa puanteur politique. Ils s’avancent d’un pas les uns vers les autres. Leur corps est tout tremblant d’un mécanisme de zinc. Le long de la colline marchent gravement des squelettes hautains. Ils ont un insigne haletant dans leur cage thoracique déserte. Ils portent, passée dans leur bras d’os, une tribune à discours en forme de tabouret à traire les vaches. De temps en temps, ils le plantent dans la terre et se dressent là-dessus en faisant claquer leur paquet d’os. Ils montrent dans leur grillage de poitrine cet insigne haletant comme un putois en train de faire gicler toutes ses glandes. Le ressort des automates en est tout remonté comme par une cellule électromagnétique. Les cris sont plus aigres, les pas plus secs, les élans plus métalliques, les sauts plus violents, les remous plus féroces.

Déjà le gros de l’armée a arraché l’abondance de la terre et traîne derrière lui les champs de blé comme des peaux de lion. Le bruit des usines ; s’accélère. Les casernes s’ouvrent et se ferment violemment en claquant comme des guillotines, jetant des bouffées de cris de clairons. Les Babels de cheminées écrasent le restant de jour sous des forteresses de fumées. La fièvre précipite la pulsation des marteaux. Là-bas, les pointes d’avant-garde s’affrontent déjà. Toujours ce pas d’automate, ce saut en avant, ces yeux qui ne voient pas, ces squelettes sur leurs tréteaux. Ils s’affrontent. Ils vont se frapper les uns dans les autres, se renverser, s’entasser en monceau de ferrailles, dans un étripement où il n’y aura même pas de tripes ; il ne sortira de vos ventres que des ressorts de sommiers. Les champs de la terre sont roulés de côté, comme les tapis dans la chambre d’un mort. Les arbres empaquetés dans la momie de leurs feuilles montrent des visages peints, immobiles et indifférents. Le ciel est couvert de nuages énormes dont les plus étrangement effroyables ne sortent pas de ces longues cheminées, mais s’avancent largement déversés par toutes les ouvertures de la rose des vents. La mer se hérisse comme le poil des bêtes effrayées ; l’eau des fleuves se soulève en crinière au-dessus de rochers où, peu à peu sous la terreur de la terre, se modèle la forme du prenne de ces quatre chevaux sacrés qui doivent écraser l’univers sous leurs sabots. Les automates se massacrent froidement, avec un enthousiasme de fer, des gestes de fer, des cris de fer sans pitié, sans émotion, logiquement roulant vers la bataille métallurgique, les énormes armées de fours de fer traînent derrière elles, dans les plis des derniers champs des cadavres de la grande paysannerie, charnelle, la mère, dont les seins s’écorchent sur les graviers desserts.

Vendredi, 8 octobre 1937

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