UN ART AJISTE ?

Il faut que cela cesse. Il faut faire autre chose ! Oui, il faut que les mièvreries, les puérilités coutumières de nos feux de camp prennent fin. Oui, Il faut que nous nous donnions un répertoire autre. Quelque chose de plus grand, de meilleur qui soit l’expression de nos sentiments, de nos désirs, de nos rêves.

Sans doute, nous ne sommes pas prématurément vieillis et l’amusette a toujours sa place dans nos loisirs, mais, en ce moment, il n’y a qu’elle. Et encore faudrait-il qu’elle se renouvelle, cette amusette…

Lorsque deux camarades se concertent, que trouvent-ils après un quart d’heure de recherches ; « Si nous mimions le sire de Framboisy ». Le cher sire est devenu un triste sire. On pourra évidemment me citer la comédie italienne, certaines formes de théâtre populaire arabo (lequel ressemble fort à nos feux de camp) dans lesquels, sur un thème toujours le même, les auteurs brodent au gré de leur fantaisie La seule différence à faire, c’est que nos « framboisistes » restent enchaînés stoïquement aux mêmes paroles alors qu’une telle comédie, au thème connu à l’avance, ne se soutient que par le talent et la personnalité de chaque auteur. En sommes-nous là ?

Laissons au scoutisme qui applique à des garçons de 20 ans les mêmes méthodes (cris de guerre, totem, déguisement indien) qu’à des enfants de 6 ans, le privilège de ce feu de camp trop classique. Malgré de longues années d’expérience, il n’a pu renouveler le genre et le répertoire, mais je pense que nous avons d’autres aspirations, d’autres buts. Il s’agit d’exprimer tout cela, et ce n’est pas en chantant « Le p’tit prince » que nous pouvons l’espérer !

Reste le chant. Je ne veux pas faire le procès du folklore, d’autres l’ont entrepris avant moi. Il suffit de voir la différence de ton qui existe lorsqu’autour d’un feu les copains chantent « Je m’en vais à Livarot » ou bien « Ma Blonde ». Comme les yeux brillent mieux, comme les mots sont martelés.

Le folklore a sa valeur en tant qu’élément artistique et apprentissage d’une technique. Mais s’en tenir là, c’est faire œuvre de dilettantes. Et tarit que nous ne serons que cela, notre mouvement ne sera pas le mouvement populaire.

Quelle solution adopter ? Peut-être d’abord (et c’est le plus facile), mettre à l’honneur le chœur parlé. Se servir pour l’apprentissage de la technique de P. Fort, Verhaeren, Chancerel. Quelques groupes ont fait de bons essais. Malheureusement, aucun n’est arrivé résolument jusqu’à l’expression communautaire.

Quand verrons-nous une quinzaine de gars et de filles traduire autour d’un feu notre joie de vivre, notre volonté de bâtir un autre monde, notre désir d’entraîner dans notre monde tous los jeunes ?

Tenez, je prends au hasard des titres d’articles parus dans « Routes… » que bien peu de copains ont lus et digérés d’ailleurs. « Nos principes », « Notre place au soleil », « Luc Bonnet parmi nous », « Les ajistes pionniers », « Guerre à la guerre », « Si personne ne déserte », « La mort du féminisme », « Viens avec nous, mon camarade », « Sauver une jeunesse », « Carence des femmes » (et on en pourrait trouver bien d’autres) ; il suffirait de les adapter avec poésie et de grandes images fortes pour en faire des chœurs parlés épatants. Vous verrez alors ce qu’ils peuvent rendre et combien les copains qui les entendront en seront infiniment plus touchés.

W. Lemit seul a tenté quelque chose au point de vue chant. Les scouts ont compris aussi cette nécessité. Mais ils se sont bornés à recoller tant bien que mal sur des airs connus des paroles dont le mauvais français n’égale que la stupidité. Nos camarades devront dans ce domaine s’efforcer de faire quelque chose de valable. Là se pose la question. Y aura-t-il un art ajiste?

ULYSSE (Mégève). Routes, n°21, juin 1944

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