Le mouvement de la jeunesse allemande – 1923

Il serait aisé de composer un ouvrage de longue haleine sur le mouvement de la jeunesse allemande, il est plus difficile d’écrire un court article, pour deux raisons qui se ramènent, somme toute, à une seule. En premier lieu, le nombre et la variété des formes qu’affecte le mouvement ; ensuite la nécessité, pour le comprendre, d’étudier les mobiles d’ordre métaphysique, moral et religieux qui l’ont déclenché en Allemagne et en modifient constamment l’esprit.

Contrairement aux ligues et aux manifestations en apparence semblables à l’étranger, à l’encontre également des associations de jeunesse allemandes qui, unies à des organisations confessionnelles, politiques et professionnelles, sont soumises à l’initiative et à l’influence des adultes, le « mouvement de la jeunesse allemande » a été entièrement créé par la jeunesse elle-même. Quand, à la fin du siècle dernier, des jeunes gens décidèrent de se grouper et qu’en 1901, dans un faubourg de Berlin, ils fondèrent les Wandervögel, on put se rendre compte qu’il existait déjà des sentiments communs bien vivants, une étroite union faite d’aspirations semblables dont le, mouvement n’a constitué que la manifestation concrète. On resterait en dessous de la vérité en disant seulement qu’il n’a pas subi l’influence des adultes, puisqu’il a été, tout au moins à son origine, fortement dirigé contre eux et leur façon de concevoir la vie. L’impulsion première lui a été donnée par la conviction que la jeunesse a une valeur intrinsèque, avec des droits particuliers ; qu’elle n’est pas seulement une étape préparatoire, l’aspect primitif d’une sorte de matière première, si l’on peut dire, et dont on néglige les lois propres, qui n’acquiert sa valeur définitive que plus tard par son incorporation dans le cadre tout préparé des traditions. Le but du mouvement a été l’autonomie de la jeunesse.

La première phase en a donc été tout d’abord purement négative ; un désir violent d’échapper à la contrainte dont souffrait la jeunesse, une véritable « révolte ». Le nouvel esprit de la jeunesse a cherché à détruire le matérialisme du commencement du siècle, à sortir de la débilité morale et de la fausseté pour créer « l’homme nouveau » revenant à une existence véritable.

Telle fut la tâche positive qui a occupé les années suivantes. Si le mouvement, dans sa première phase, présentait de nombreuses caractéristiques d’une fugue dans la nature vers un romantisme aux formes multiples — l’apparition de l’« homme nouveau » — visant à l’étroite harmonie de l’ensemble des forces humaines et à la parfaite conjugaison de l’individu avec la collectivité, a marqué le début de la deuxième phase, celle des réalités et du travail positif.

Wynecken, l’un des grands instigateurs du mouvement, a formulé sur le sujet les postulats suivants : tout comme la femme est une partie de l’humanité pensante, la jeunesse en est une autre, et a droit, de ce fait, à l’existence spirituelle.

Serait-ce donc si absurde que la société humaine concentrât une grande partie de ses efforts à libérer les années de l’enfance et de la jeunesse des luttes de la vie et à créer au sein même de la jeune génération une humanité plus noble, plus pure et plus belle ?

La réalisation de ce programme, entreprise avec enthousiasme, non seulement indique une orientation nouvelle de la jeunesse, mais aussi fait naître l’espoir d’un remaniement devant aboutir à la transformation complète de l’état de choses actuel.

Hoher-Meißner_Germany_Meißnerlager-1988
Hoher-Meißner_Germany_Meißnerlager-1988

L’année 1913 marque une date importante dans l’histoire du mouvement. Tandis que les « anciens » fêtaient solennellement le centenaire de la bataille des nations à Leipzig, les jeunes, ne trouvant plus ces solennités conformes à leur nouvel esprit, organisaient une fête de la jeunesse, de cette jeunesse qui, tournée vers le présent et promettant solennellement d’agir, va donner la preuve éclatante du véritable amour de la patrie…

Développer librement son Moi, pour le consacrer ensuite au service de la collectivité, constitue la plus haute tâche patriotique de la jeunesse.

A toute contrainte, à toute dissimulation de la personnalité, à toute étroitesse de cœur, nous opposons le naturel, la vérité, la loyauté, le sentiment de la responsabilité… » La convocation à cette solennité, sur le Hohe Meissner, une montagne située près de Cassel, fut signée par 13 associations. C’est de ce jour que date le nom de Freideutsche Jugend (Libre jeunesse allemande). En effet, cette nouvelle jeunesse est allemande jusqu’au plus profond de son cœur et elle est libre, libre de toute contrainte extérieure et de toute intolérance intérieure. La fête de la jeunesse réunit 3 000 jeunes gens et jeunes filles. Les chants, les promenades et la musique n’empêchèrent pas l’examen des questions les plus graves : indépendance et responsabilité contractée de ce fait, éducation personnelle, recherche de la vérité, et libération des conventions inadmissibles, éducation d’une jeunesse nouvelle et purement allemande. L’ordre du jour, voté à l’unanimité et devenu célèbre sous le nom de « manifeste du Meissner », était ainsi conçu :

« La libre jeunesse allemande veut, de sa propre initiative, avec le sentiment de sa responsabilité personnelle, organiser sa vie dans une sincérité parfaite. Pour obtenir cette liberté, elle avance en rangs serrés à travers toutes les difficultés. Des “journées” de la libre jeunesse allemande seront instituées pour des échanges de vues réciproques. L’alcool et le tabac seront bannis de toutes les manifestations de la libre jeunesse allemande. »

Ce manifeste comparé au développement de l’institution apparaît comme très prudent et n’indique que les trois grands buts visés : liberté, responsabilité, vérité.

Il était nécessaire de s’étendre un peu longuement sur ces débuts, car ils expliquent les mobiles qui ont donné naissance au mouvement et le programme à exécuter. En partant ainsi de l’origine, on peut saisir sans difficulté quels furent les développements ultérieurs au cours de l’application pratique. On comprend aisément que des idées comme celle de la collectivité, par exemple, devaient, sous l’impulsion des divers événements de la guerre, de la révolution et de l’après-guerre, conduire à des routes différentes. On comprend aussi les scissions qui se sont produites dans le mouvement, cette jeunesse étant radicalement opposée à toute compromission, repoussant toute pression étrangère et voulant suivre, de sa propre initiative, le but qu’elle s’est fixé. Le Dr Victor Engelhorn, dans un opuscule édité en 1923, sur « Le mouvement de la jeunesse allemande et son importance dans l’histoire de l’éducation », écrivait ces mots caractéristiques : « Un travail fructueux devait sortir de cette scission ; travail qui, de toutes parts, fut entrepris avec fermeté et une foi confiante dans l’avenir. »

La cohésion de cet effort qui se manifeste par un nouveau genre de vie, par l’amour de la nature, de l’excursion et des anciennes chansons, une attitude personnelle exprimant l’affranchissement des conventions par l’esprit d’initiative et l’indépendance avec laquelle la jeunesse a exploré les nouveaux continents, cette jeunesse dont le poète français Jouve, dans un article sur Nuremberg, a écrit récemment qu’elle « possède encore la merveilleuse vertu du vagabondage. »

En lisant les déclarations-programmes des différentes associations de jeunesse, on se rend bien compte de cette volonté unanime. La Vortrupp-Jugendbewegung (mouvement de la jeunesse d’avant-garde), par exemple, s’efforce, par la pratique de l’excursion et des jeux en plein air, par la bonne camaraderie et le respect pour l’autre sexe, d’éveiller parmi les jeunes, les forces morales, la volonté du bien, une ferme résistance aux influences mauvaises, afin d’assurer à la génération à venir la santé, la beauté, l’esprit de dévouement et la bonté nécessaires à une régénération durable. « Quant au mouvement des Wartdervögel, il constitue une véritable réforme de la vie de la jeunesse par un retour au naturel, à la santé, à la vérité et à la responsabilité personnelle. Dans le programme de la jeunesse socialiste prolétarienne, qui est une organisation politique, on relève que:

“le culte de l’art ne doit pas être plus négligé que la promenade et l’activité raisonnable en plein air par le sport, les jeux et autres exercices semblables. La jeunesse socialiste prolétarienne entre résolument en lutte contre les poisons corporels et spirituels qui l’affaiblissent et empêchent son épanouissement : l’alcool, le tabac, le mauvais film et la littérature malsaine.”

Dans un exposé des buts de l’Association des Jeunes Allemands, il est dit : “Le peuple allemand voit aujourd’hui son idéal sous différents aspects : christianisme, germanisme, socialisme. Nous croyons que ces trois aspects de l’idéal sont compatibles. Ils sont en contradiction dans le domaine des doctrines et des agitations vulgaires. Ils retrouvent l’unité dans le domaine de l’idée. Nous cherchons les hommes qui, comme nous, veulent faire disparaître la scission.”

Qu’on veuille bien considérer attentivement cette foi dans le “domaine de l’idée”. La jeunesse qui la cultive peut, même au milieu des plus vives discussions, conserver ce sentiment de sympathie qui est de plus en plus indispensable au succès du mouvement.

Si différentes que puissent être les solutions, ce sont, en somme, toujours les mêmes problèmes qui se présentent ; ils doivent être abordés partout avec la même sincérité profonde et la même bonne humeur. Ce sont, par exemple, les problèmes relatifs à l’autorité et au commandement, aux formes du sentiment religieux, à la solidarité nationale et internationale.

On retrouve une des caractéristiques du nouvel esprit de la jeunesse dans le fait qu’une commission des associations allemandes de la jeunesse groupe les comités des associations des différentes confessions, des associations libres et professionnelles et des associations politiques des partis les plus opposés. Ces comités représentent environ trois millions et demi de jeunes gens. Malgré les divergences de vues dans les questions de détail, divergences qui se manifestent de la façon la plus vive et la plus catégorique, cette commission fait une œuvre excellente, depuis de longues années, parce que chacun de ses membres est persuadé de la sincérité des autres membres.

Si l’on veut risquer une appréciation d’ensemble, on peut dire que. le mouvement de la jeunesse allemande est une affirmation d’existence. Cette jeunesse a entrepris la solution des difficultés actuelles et veut les résoudre par la réforme intérieure des consciences, sachant que l’attitude nette est une condition préalable pour tout progrès dans l’avenir. Ainsi, tout en ayant soin d’écarter un optimisme facile et en s’abstenant de toute idée superficielle et insouciante, l’espoir et la confiance dans l’efficacité des efforts sérieux règnent parmi la jeunesse allemande. La force intérieure seule fait progresser et c’est pourquoi la jeunesse allemande veut non pas des mesures, mais de la conviction.

Par son affirmation des réalités et son programme de rénovation de l’homme, elle prouve son désir d’arriver à la vérité. Prête à faire son devoir, elle se soumet aussi bien aux lois de la collectivité, qu’à la loi intime de sa conscience.

Ses efforts pour acquérir une pureté et une originalité nouvelle se traduisent par son amour de la nature, par son goût de l’excursion à travers les forêts et les montagnes. De là, cette nouvelle conception de la vie corporelle qu’elle considère comme ne faisant qu’un avec la vie de l’esprit et de l’âme. De là aussi cet effort général pour le rétablissement de la santé physique et morale.

Le mouvement de la jeunesse allemande est devenu au cours de ces deux ou trois dernières décades, un facteur dont il importe de tenir compte si l’on veut avoir une idée exacte de la situation actuelle, et les forces que représente ce mouvement permettent de fonder sur lui de grands espoirs.

 

M. W. G. HARTMANN, Vers la santé, avril 1924

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