Jeunesse et Montagne – Ici l’on fait des gars solides

Une visite aux volontaires de « Jeunesse et Montagne » qui, huit mois durant mènent, au cœur des Pyrénées une existence rude et laborieuse

CAUTERETS, 21 octobre. — De création relativement récente, le mouvement « Jeunesse et Montagne » est encore peu connu du public. Cela n’est, en vérité, pas surprenant, puisque c’est le dernier né des organismes de jeunesse et que, d’autre part, par son caractère même, « Jeunesse et Montagne » n’accueille qu’une minorité de jeunes, volontaires pour accomplir leurs huit mois de service national obligatoire à la dure école de la montagne.

Avant de rendre visite à ceux qui ont installé leurs chalets dans les Pyrénées, j’ai fait à Lourdes une courte halte, car cette petite cité pyrénéenne abrite le commissariat général des Pyrénées.

Signe des temps, c’est un hôtel qui abrite les services de « Jeunesse et Montagne », et c’est dans une chambre promue à la fonction de bureau, que le chef du centre m’a reçu et m’a longuement entretenu de ce mouvement, appelé, sans aucun doute, à rendre de grands services dans la formation de la jeunesse. Au point de vue physique surtout, mais aussi au point de vue moral, car ceci ne va pas sans cela.

On ne saurait trop souligner d’importance de volontariat donné à «’ Jeunesse et Montagne ». Il convient de le dire et de le répéter, une vie très dure attend les jeunes de ce mouvement. Mais ils sont prévenus, et ils savent à quoi ils s’engagent.

Précisément, parce qu’ils sont volontaires, il est permis d’exiger d’eux beaucoup plus qu’on ne le pourrait, par exemple, des jeunes des Chantiers.

Un P. C. dans un hôtel

« Jeunesse et Montagne » est placé sous le contrôle du secrétariat d’Etat à l’aviation. Trois groupements fonctionnent actuellement. Dans les Alpes, le troisième, le groupement Vignamale a son P. C. — traduisez : poste de commandement — à Lourdes.

On s’étonnera peut-être du nombre relativement peu important de groupements. Il s’agit de faire du travail solide, en profondeur. Les dirigeants de « Jeunesse et Montagne » ne cherchent donc pas à enrégimenter le plus possible de garçons. Non, ils tiennent à faire du bon travail avec ceux qui viennent à eux.

Voici les raisons d’ordre moral. Il y a aussi des raisons d’ordre matériel. Il y a – dans les Pyrénées surtout – peu d’habitation en haute montagne, et le problème du logement des jeunes n’a pu être que partiellement résolu.

Si donc plusieurs chalets ont été aménagés dans les environs de Cauterets, c’est parce que là existent quelques refuges qui ont été mis à la disposition de cet organisme, en attendant que les jeunes édifient eux-mêmes leurs chalets…

25 garçons dans un chalet

Près de Cauterets donc, quatre chalets existent. Au Lisey, 25 garçons ont adopté une maison forestière située à 1.600 mètres.

Dans la vallée du Marcadeau, à 1.865 mètres, ils occupent le refuge Wallon. Un autre chalet se trouve au Pont d’Espagne, et le quatrième enfin, est au col de Riou, à 1.952 mètres.

Ce dernier est, d’ailleurs, le plus haut chalet « Jeunesse et Montagne » de France. C’est aussi l’un des mieux situés, car il domine superbement les vallées de Gavarnie et de Barèges.

Mais cette organisation n’a qu’un caractère provisoire et ne correspond qu’imparfaitement au programme arrêté par les chefs de « Jeunesse et Montagne ».

En effet, l’hiver dernier, il a fallu, pour assurer le ravitaillement, cinq et six heures de marche pour aller de Cauterets au col de Riou ou au refuge Wallon.

Sans doute, cet exploit a-t-il pu être réalisé, mais il est prévu que les quatre ou cinq chalets que constituent un centre – il y aura trois centres par groupement – seront aménagés à proximité les uns des autres.

Ce projet correspond, d’ailleurs, à l’une des raisons d’être de « Jeunesse et Montagne ». La montagne – c’est en particulier le cas des Pyrénées – est imparfaitement équipée. Par la construction de chalets et de refuges, les volontaires de « Jeunesse et Montagne » remédieront à cela.

Ouvrir la montagne au tourisme, tel est bien le désir des dirigeants de ce mouvement.

C’est là, assurément, un programme utile et qui complète fort bien le programme des activités des jeunes volontaires.

jeunesse-et-montagne-brochure
Brochure de Jeunesse et Montagne

En route pour Cauterets

A la gare de Pierrefite, un tramway attend les voyageurs qui veulent monter à Cauterets. Un pauvre tramway à la peinture délavée, aux banquettes trop étroites et crevées par endroits, aux vitres rendues opaques par la poussière.

Certes, il aurait bien mérité de prendre, au terme de ses courses dans la montagne, une retraite paisible, et pourtant il acceptait humblement de remplacer les voitures et les cars défaillants.

Le hasard avait placé auprès de moi un garçon porteur de cet uniforme qui commence à nous devenir familier ; béret sur l’oreille, « anorak » de grosse toile grise, ce blouson serré à la ceinture que les Esquimaux portaient bien avant que les fervents de la montagne ne l’adoptent, pantalon de golf bleu marine et grosses chaussures de ski.

Un uniforme, certes, qui ne manque pas d’allure, d’autant que ceux qui le portent, les volontaires des groupements de « Jeunesse et Montagne », sont tous des garçons solides, magnifiquement bâtis et au visage hâlé par le grand air de la haute montagne.

Avant même que je ne l’en prie, mon voisin se mit à me parler de cette nouvelle existence qu’il menait, de l’esprit qui règne à « Jeunesse et Montagne », cela avec un accent bien émouvant, parce que simple et sincère.

Tous volontaires…

A mon passage à Lourdes — où se trouve le commissariat régional des Pyrénées — j’avais appris les conditions d’admission à « Jeunesse et Montagne ».

Les voici en bref : ne sont admis que des jeunes gens de 18 à 22 ans, célibataires, nés de parents français, volontaires pour accomplir, à la rude école de la montagne, leur service national obligatoire.

Un très sérieux examen physique précède l’incorporation, et sont éliminés impitoyablement ceux qui n’ont pas un cœur, des poumons et une vue irréprochables.

A mon arrivée à Cauterets, je savais — grâce à mon compagnon de route — que si l’on prête à ce dernier point la plus grande attention, c’est bien parce que seuls des garçons robustes et entraînés, peuvent « tenir le coup » lorsqu’il s’agit d’assurer à dos d’homme le ravitaillement des chalets dissé­minés en haute montagne et qui se trouvent tous à plusieurs heures de marche du centre.

Je devais, d’ailleurs, avoir le len­demain de mon arrivée à Cauterets, un aperçu de la vie que mè­nent les volontaires de « Jeunesse et Montagne ».

— Vous ne connaîtrez bien notre mouvement, m’avait dit je chef du centre, vous n’aurez une idée exac­te de ce qu’est réellement cette vie, qu’après avoir passé quelques heures dans un chalet, en leur compagnie.

J’acceptai donc son offre de m’y conduire et, après une rapide visite de son P.C. — vaste bâtisse que se partagent les magasins où sont entreposés les vivres, les cuisines, les bureaux et les ateliers de bois et de fer — nous empruntions le chemin en lacets qui conduit au Lisey.

Sous la direction de moniteurs éprouvés

En chemin, nous devisons longuement, et mon interlocuteur me parle des activités de ses garçons, qui passent tout l’hiver sur leurs skis.

Les volontaires sont dirigés par des moniteurs éprouvés et qui sont tous d’ailleurs des vedettes du pyrénéisme : Olivier, qui est le grand patron des activités de montagne, François Boyrie, vedette de la de la course de fond ; Bacelon, Jeannel, et d’autres encore…

Cet entraînement et les indispensables travaux d’équipement de leurs chalets, suffiraient largement à les occuper, mais ils font également des coupes de bois, tracent des sentiers muletiers, aménagent les refuges du Touring-Club.

Bref, ils contribuent, utilement et efficacement, à équiper la mon­tagne, ce qui, il faut, bien le reconnaître, n’est pas superflu.

Après deux heures de marche, nous arrivons sur le plateau du Lisey.

Devant un mât imposant, au sommet duquel claquent les trois couleurs, vingt garçons raidis dans un garde-à-vous impeccable, saluent leur chef de centre.

Brochure de Jeunesse et Montagne - Wandervogel-France
Brochure de Jeunesse et Montagne

Visite des lieux

Et c’est alors la visite rapide des lieux. Deux maisonnettes, qui appartenaient à l’Administration des Eaux et Forêts, ont été mises à leur disposition.

Nous commençons par la chambre du chef d’équipe installé au Lisey. Un châlit en bois peu confortable occupe un angle de la pièce : le chef est au même régime que ses garçons.

Dans la même maison se trouve la cuisine où chacun officie à tour de rôle. Le grand appétit que donne à tous cette vie saine a été certainement leur meilleur stimu­lant, lorsqu’il s’est agi, pour eux, d’apprendre à faire la cuisine.

A cent mètres, voici l’autre maison. Elle abrite la salle de réunion meublée de façon rudimentaire, et qui ressemble à un Q.G. par le nombre de cartes accrochées aux murs. Certaines sont annotées au crayon bleu et précisent ainsi quelque exploit accompli au cours de raids en haute montagne.

Là encore se trouve le dortoir, avec les traditionnels châlits superposés deux à deux.

Indiscret je regarde un livre qui se trouve sur une modeste table de chevet. Il s’agit d’un choix de poésies. Bravo ! Les Muses, elles aussi se plaisent à 2.000 mètres d’altitude !…

Mais l’heure du déjeuner est là. Nous prenons notre repas en plein air, dans un cadre magnifique.

Repas simple mais très copieux et très soigné : potage, beefsteak, jardinière de légumes, ro­quefort, et un solide vin rouge apporté dans un broc.

Je m’y abonnerais volontiers.

Nous bavardons alors très simplement. Mes compagnons de ta­ble sont presque tous ouvriers.

Tous, sans exception, ignoraient la montagne. Ils se sont vite adaptés à cette vie nouvelle, que beau­coup appréhendent même de voir prendre fin.

— On est tellement mieux ici, affirme l’un d’eux sans faux lyrisme.

Et j’apprends que plusieurs volontaires ont demandé à rester à « Jeunesse et Montagne » qua­tre mots de plus, pour profiter du cycle complet des activités de montagne.

Ils sont unanimes à me dire, très simplement, le désir qu’ils éprouvent, lorsqu’ils sont « en bas » de remonter au plus tôt pour chausser à nouveau leurs skis ou reprendre leur hache de bûcheron dans les coupes qui leur ont été confiées.

Je les crois volontiers !…

Et, comme un peu plus tard, sur le chemin du retour, le chef qui m’accompagne me dit en manière de conclusion :

— Au fond, voilà la vraie vie !…

Je lui réponds :

— Je suis bien près de le croire !

Raymond DAROLLE – Le journal – 22 octobre 1942

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