Les bonnes auberges de la jeunesse

Un samedi après-midi, devant la boutique du marchand de vélo, dans une rue populeuse du vingtième : les jeunes cyclistes, en mal de réparations, se sont annexé le trottoir ; coiffés de cette sorte de béret landais qui fait fureur cette année parmi les « roule – toujours », vêtus de la culotte bleue marine non moins à la mode, ils s’affairent, accroupis, autour de leurs machines.

— Dites, les gars, où qu’on va s’balader c’te semaine ?

Parmi les trois Inséparables qui ont coutume de « sortir » toujours ensemble, l’un est d’avis de se diriger vers la Marne, le second vers la forêt de Fontainebleau. Mais le troisième, qui est un lecteur du Populaire, propose :

— Si on allait visiter une « Auberge de Jeunesse » ?

Les deux copains font la moue, méfiants :

— Où qu’elle est, ton auberge ? maugrée l’un.

— Qu’est-ce que c’est encore que ce machin-là ? raille l’autre.

— Vous verrez… Je suis sûr que ça vous plaira…

Et consultant la liste des auberges du « Centre laïque », découpée dans le journal :

— Robinson, Chevreuse, c’est un peu trop près… Mais à cinquante kilomètres sur la route d’Etampes, il y a la « Maison de Villeneuve-sur-Auvers ». On y va ?

Les deux copains, après quelques récriminations, se laissent faire une douce violence. En un clin d’œil, les roues sont remontées, les machines huilées. Les musettes minuscules, aux couleurs vives, se garnissent de quelques provisions. En route !

Sitôt franchie la porte d’Orléans, les petits gars s’élancent, libres, sur la grande artère nationale. Oubliée la morne semaine de « turbin » ! Le soleil, en cette fin d’après-midi, dore la campagne. Il fait bon vivre.

Le populaire - 23.08.1933 - Les bonnes auberges de jeunesse - L'auberge de jeunesse de Villeneuve-sur-Auvers
Le populaire – 23.08.1933 – Les bonnes auberges de jeunesse – L’auberge de jeunesse de Villeneuve-sur-Auvers

Antony, Montlhéry, Arpajon ; les dos d’âne succèdent aux dos d’âne, les côtes aux côtes. Mais trois paires de jeunes jambes en ont facilement raison. Et voici déjà, à 43 kilomètres de la « porte », le bourg d’Etréchy ; à la sortie de l’agglomération, ils demandent leur chemin, quittent la grande route bruyante. Encore quelques coups de pédale, et c’est après une dernière côte, sur un plateau sauvage, très loin du monde « civilisé », le petit village de Villeneuve-sur-Auvers.

— L’auberge de jeunesse, madame ? Une bonne villageoise en tablier montre du doigt :

— Tenez, voyez, l’inscription est toute neuve.

O surprise ! Une cour de ferme, restée telle quelle, avec ses herses, avec ses réserves de foin. Et, de plain-pied, une série de chambres, aux murs clairs et nus, garnis de beaux lits neufs à deux étages. Une petite « salle commune », ornée de cartes touristiques ; des tables et des chaises de jardin ; et, pour faire soi-même sa cuisine, des réchauds à gaz de pétrole.

Les jeunes gars, qui ont grandi, qui vivent toute l’année sur le trottoir de Paris, ne contiennent pas leur joie. La bonne odeur de campagne ! Chez le fermier voisin, on va chercher, à des prix incroyables, des œufs, du lait, du beurre. Aucun rapport avec ce qu’on vend, sous le même nom, dans la grand’ ville. Et la « popote » commence.

Puis, quand vient l’heure de l’extinction des feux, chacun se munit d’un sac de couchage, de deux couvertures, et dort d’un sommeil heureux, la porte ouverte sur la nuit…

Qu’il est difficile de rester au lit le matin, lorsque le soleil brille et que le coq chante ! Après avoir cassé rapidement la croûte, les trois gars sont déjà partis à l’aventure, à travers les vastes étendues de bois, de fourrés, de rochers qui entourent Villeneuve-sur- Auvers. Un vrai pays de Robinsons !

La petite communauté de jeunes gens, étudiants pour la plupart, qui a créé cette maison rustique, et, chacun se relayant à tour de rôle, en assume chaque samedi la charge (car l’auberge n’est ouverte que pour le week-end), a vraiment, en fixant son choix sur ce village, eu la main heureuse.

Mais, hélas ! il faut déjà repartir. Et le lundi soir, à peine sortis du « boulot », devant le marchand de vélos de leur coin, les trois lurons, le teint halé, le visage joyeux, annoncent aux copains la bonne nouvelle :

— Si vous saviez ! Si vous saviez ce que c’est bath !

Lentement et sûrement, les « Auberges de Jeunesse » sont en train de conquérir les petits gars de Paris. H.J.

Le populaire - 23.08.1933 - LEs bonnes auberges de jeunesse
Le populaire – 23.08.1933 – LEs bonnes auberges de jeunesse

Le populaire – 23 aout 1933

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