Écoliers, Éclaireurs, Ajistes, chantez nos chansons folkloriques

En août dernier, au Congrès international de folklore. Miss Maud Karpeles qui représentait l’English Folk Dance and Song Society s’étonnait des discussions qui avaient suivi notre exposé sur la Chanson populaire à l’école et dans les œuvres scolaires et postscolaires. « En France, vous discutez ! disait-elle. Chez nous, tous les maîtres apprennent aux enfants les chants et les danses populaires. Comment vos écoles peuvent-elles encore ignorer ces vieilles petites choses jolies ? »

Sait-on, par ailleurs, que, depuis la Révolution russe, d’innombrables recueils de chants régionaux ont été magnifiquement édités aux frais de l’Etat soviétique ?

C’est sans appui officiel que la Ligue de l’enseignement mène depuis des années déjà une action persévérante eu faveur de la Chanson populaire et, sans le concours de l’Etat, qu’un certain nombre de ses Fédérations ont édité déjà des recueils de chants locaux et que d’autres se préparent à en établir.

Puisqu’on nous demande de dire ici comment nous avons conçu et réalisé le Recueil des chants populaires nivernais, nous nous bornerons à insister sur quelques points où, nous croyons avoir apporté un peu de nouveau.

Tout d’abord, nous avons voulu que ce recueil n’apparaisse pas comme une collection de fleurs arrachées au sol où elles ont poussé et desséchées dans un herbier, mais comme une vivante floraison encore attachée au sol nourricier.

Pour chaque chanson publiée, nous avons dit auprès de quel paysan, de quelle vieille aïeule ou de quelle fillette menant la ronde elle a été notée, en quelle localité, à quelle date, et nous avons signalé, le cas échéant, les lieux où elle se chante encore.

Nous avons voulu, en outre, par des notes et des commentaires appropriés, replacer les chants dans leur milieu humain et leur cadre local, évoquer les circonstances et les lieux où on les chantait, faire revivre une civilisation et une vie locale particulières qui ont très peu changé depuis le moyen âge jusqu’au milieu du siècle dernier et qui ont leur prolongement dans le présent.

Par exemple, à propos d’un chant de labour, Oh ! J’ai piqué mon rouge ! nous avons raconté la vie du laboureur nivernais il y a 50 ans. d’après les renseignements que nous avons recueilli auprès de vieux paysans de chez nous, montré ce qu’était le tiaulage, sorte de mélopée à demi improvisée dont le bouvier accompagnait le travail de ses bœufs au labour (chant correspondant au briolaqe berrichon et au huchage poitevin) : nous avons donné des airs de tiaulages inédits, et montré en Suite que le chant de labour Oh ! j’ai piqué mon rouge .’ était une chanson populaire : La marchande de froment, adaptée par nos laboureurs, et, profondément transformée dans ses paroles et sa musique, devenue l’un des plus beaux hymnes de plein air qui aient jailli de la terre de France.

De même, à propos d’une chanson de berger, nous avons décrit la vie du petit pâtre nivernais, signalé ses pratiques, ses jeux, ses croyances, publié ses chants d’appel, ses incantations aux forces de la nature, aux oiseaux, aux bestioles des champs.

Une chanson de noces nous a amené à décrire un mariage morvandeau, il y a 50 ans, et à signaler les survivances actuelles d’un lointain passé ; une Chanson de Mai sera suivie de la description des antiques fêtes de la Miance encore vivaces, il y a 60 ans, et si curieuses avec leurs survivances païennes.

D’autres chansons nous permettent d’évoquer semblablement, ou la vie d’autres travailleurs de chez nous : fendeurs nivernais, nourrices morvandelles, flotteurs d’Yonne, mariniers de Loire, etc. ; on d’autres coutumes traditionnelles, ou d’autres croyances venues du fond des âges.

Et ainsi, par la voie de la chanson populaire, enfants et jeunes gens s’initient à une histoire qui n’est pas celle du manuel scolaire, qui n’est pas non plus l’histoire locale telle qu’on l’entend ordinairement et qui, bien mieux que l’une et l’autre, parle à leur imagination et à leur cœur, leur fait comprendre la vie et l’âme de leurs ancêtres, goûter la poésie et le pittoresque qui émanent du sol natal.

Nous avons aussi voulu rendre à la chanson populaire la variété et la vie que présentait son exécution dans la réalité ; et pour la plupart, nous avons indiqué comment il convenait de les interpréter. Il est des chansons où un soliste dit le couplet et où les reprises et le refrain sont confiés au chœur. Il en est qui sont dialoguées et mises en action. Il en est qui sont mimées. Il en est qui accompagnent des danses, ou des évolutions, ou des rondes aux gestes gracieux. Il en est où les chanteurs exécutent les mouvements suggérés par le texte avec des saccades brusques à la manière de pantins dont on tire les ficelles. Beaucoup combinent plusieurs de ces procédés.

Enfin, certaines chansons, pleines de verve malicieuse ou de fine fantaisie et comportant une action, constituent une véritable pièce en miniature qui, portée à la scène, se prête à des réalisations ravissantes. Donnons, à titre d’exemple, l’interprétation donnée pour le Joli fendeur.

Le Joli fendeur est la forme nivernaise du Joli tambour : mais notre version est beaucoup plus jolie et plus poétique, car le héros est un ouvrier des bois au lieu d’un soldat, le refrain célèbre la « forêt fleurie » au lieu d’imiter le bruit du tambour, l’air évoque la fanfare des cors et non une marche militaire. Des bûcherons et des paysannes qui forment le chœur, au fond de la scène, commencent le chant : puis apparaissent d’abord trois fendeurs, la hache sur l’épaule, le plus jeune des trois avec une rose à sa veste, et au couplet suivant, le roi avec sa fille. Et la conversation chantée

S’engage. La fille du roi demande la rose au joli fendeur : celui-ci la lui donnera si elle veut être sa mie. « Parle n’en z’à mon père » chante la princesse. Le joli fendeur, un genou en terre, fait sa demande au roi, puis, sur un refus, énumère de fastueuses richesses. Le roi, séduit, accepte, mais à son tour, le fendeur refuse avec une crâne insolence et montre les paysannes du chœur : « Y en a dans mon pays qui sont bien plus jolies », dit-il. Cependant que, lentement, le roi emmène sa fille qui porte un mouchoir à ses yeux.

Nous avons vu « jouer » cette exquise chanson par de grandes élèves des cours complémentaires, par des enfants des écoles primaires, par des tout petits de l’école maternelle, par des éclaireurs, des amicales et des sociétés diverses, et chaque fois nous avons vu les parents et les auditeurs conquis, émus, charmés. Presque tous les petits nivernais connaissent maintenant la chanson et, souvent, entre eux, spontanément, ils jouent au Joli fendeur.

L’action que nous avons menée à la Fédération de la Nièvre avec la collaboration dévouée de nos collègues, et que des amis continuent, d’autres fédérations la mènent de leur côté. Beaucoup ont déjà leur recueil régional, presque toutes l’auront bientôt. Et nous envisageons, à la Ligue de l’enseignement de constituer un petit recueil national qui groupera les plus belles chansons des provinces de France, anthologie de poche que pourront utiliser pour leurs fêtes nos sociétés laïques, nos coopératives scolaires, nos amicales ; qui pourra suivre les Eclaireurs au feu de camp, les Ajistes dans les auberges, les campeurs sous la tente et, pourquoi pas ? le troupier dans ses marches ; et une partie détachable s’adressera plus spécialement aux enfants de nos écoles.

Mais, dès maintenant, nous sommes assurés que notre chanson folklorique que beaucoup croyaient morte, n’aura fait qu’un long somme. Telle la Belle au bois dormant, elle a trouvé un prince charmant pour la tirer de sa torpeur :c’est la jeunesse de France qui la fera revivre aussi gracieuse, aussi riche, aussi belle que par le passé.

Paul Delarue, instituteur

1938-05-27_La_Lumière_Ecoliers, Éclaireurs, Ajistes, chantez nos chansons folkloriques_Joli fendeur

CHANT

1. C’est trois jolis fendeurs. Dans la forêt jolie (bis)
Refr. : Gentille, fleurie, fendeurs dormez-vous ?
Fendeurs, jolis fendeurs, si vous dormez réveillez-vous.
2. Le plus jeune des trois avait un’ ros’ fleurie, (bis)
Refr. : Gentille. etc.
3. Est venu-ta passer le roi avec sa fille, (bis)
4. « Fendeur, joli fendeur, donne-moi ta rose.
5. — Je le la donnerai si tu veux êt’ ma mie.
6. — Fendeur, joli fendeur, parle n’en z’a mon père.
7. — Eh bien, sire le roi, donne-moi donc ta fille.
8.- Fendeur, joli fendeur, tu n’es pas assez riche.
9. — Oh ! va, sire le roi, j’ai bien vaillant ta fille.
10— T’as pas seulement vaillant la chemis de ma fille.
11— J’ai bien vaillant ta robe avecque sa chemise.
12 – J’ai trois vaisseaux sur l’eau chargés de marchandise».
13 – J’en ai un chargé d’or, l’autre de pierres fines.
14. Dans l’autr y a rien du tout, c’est pour mener ma mie.
15. — Fendeur, joli fendeur, oh ! Tiens, voilà ma fille.
16. — Oh ! va, sire le roi, je me moqu’ de ta fille.
17 – Y en a dans mon pays qui sont bien plus jolies. »

(Recueil des Chants populaires du Nivernais. 1ere série* — La chanson a été recueillie par A Millien et notée par J.-G. Penavaire en 1888, auprès de Annette Thomas, femme Renaud de Beaumont-la-Ferrière, née en 1864, et de Anne Monsinjon de Nolay, née en 1864, toutes deux paysannes.)

 

La Lumière, le 27 Mai 1938

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