L’Auberge de la Paix, sous le ciel d’Île-de-France – 1930

C’est un trait du caractère de Marc Sangnier que ce grand idéaliste a le besoin de matérialiser fortement sa pensée. Il est remarquable que ce magnifique artisan du verbe a relativement peu écrit — et c’est bien dommage ; mais il fait mieux, il bâtit. Chaque étape de sa pensée, ce n’est pas un livre, c’est une maison. Le Sillon, c’est l’hôtel du boulevard Raspail ; la Paix par la jeunesse, c’est Bierville et ses annexes. Et voici la première Auberge de la paix.

J’ai vu quelques-unes de ses sœurs allemandes, notamment en Forêt noire ; les sites sont différents : les architectures se ressentent de la destination primitive de l’immeuble adopté ; mais le langage qu’elles parlent est toujours le même : constructions un peu lourdes, puissamment enracinées au sol ; site choisi à mi-hauteur, assez haut pour que les yeux, dès le seuil, portent loin, découvrant le ruban bleu du fleuve légendaire ou les puissantes vagues figues des montagnes voisines, mais solidement adossé aux forêts où vit l’âme traditionnelle du peuple germain… On entend, sur la route qui monte, les chants des Wandervögel, soutenus par le violon et la guitare : ils seront là tout à l’heure, et s’asseyant sur le seuil, communieront profondément avec leur race, en rêvant aux mythes qui bercèrent son enfance.

L’Auberge de la jeunesse que Marc Sangnier a construite sur le penchant d’un coteau d’Île-de-France, n’est pas plus belle, sans doute, pas plus émouvante ; mais comme elle est différente ! L’auberge allemande semble vouloir surtout enraciner la jeunesse dans son passé ; celle-ci la projette vers l’avenir ; l’autre est une fondation, celle-ci est une ascension. Elle s’agrippe à la pente rapide, étage ses bâtiments comme les stations d’un calvaire, non de douleur, mais de joie et de fraternité. Et quand l’architecte a été au sommet, il a dressé une tour, pour monter encore plus haut.

Ce dynamisme, cette ardente réponse à l’appel de la lumière et de l’azur, c’est encore un des instincts irrésistibles de Marc Sangnier. Il construit sur le sol, mais il faut qu’il monte. Bierville l’a retenu par le charme de ses ombrages, de ses eaux courantes, de son château aux lignes harmonieuses ; mais la vallée, si aimable qu’elle soit, ne saurait lui suffire. Il faut qu’il monte. Devant lui, sur le coteau de Saclas, il dresse le Calvaire et le Camp de la paix : derrière, le Théâtre de verdure, et plus haut, les Grottes et l’Oratoire de Saint-François ; à gauche, l’Auberge de la paix dont le pied repose sur le sol d’une vieille ferme, à deux pas de l’église, et dont la tête dresse vers le ciel d’Île-de-France, tout en haut de la côte ardue, une prière conjointe et un appel.

Il faut qu’ainsi, sur les routes où la jeunesse s’en va quêter la paix, pour employer le vieux mot qui ne signifie pas supplication mendiante, mais recherche créatrice, des auberges lui soient ménagées qui lui présentent les visages, diversement aimables, des nations différentes, mais pourtant sœurs. La paix ne sera vraiment faite que lorsque chaque peuple connaîtra ses voisins, et, les connaissant, les respectera et les aimera. Les jeunes étrangers qui viendront à l’Auberge de Bierville, y trouveront un clair et aimable visage de notre pays.

Il faut, maintenant, que l’exemple donné soit suivi. L’Auberge ne remplirait pas sa mission, si l’on en faisait une colonie de vacances, ou même une hôtellerie pour jeunes étudiants des cours internationaux créés à Bierville. Sa destinée est d’être auberge, c’est-à — dire gîte d’étape. Il faut qu’on y arrive le soir, qu’on s’y repose un jour, ou deux ou trois, et puis qu’on reparte vers un autre gîte.

Songez donc ! à deux pas, il y a la vallée de la Seine aux méandres harmonieux, qui va vers Rouen et vers la mer ; il y a la Loire et ses châteaux : il y a l’Yonne qui conduit vers le Mor van aux belles forêts ; il y a la Bourgogne ; il y a la Champagne ; il y a toute la France qui attend et réclame le jeune pèlerin de la paix. Son voyage de vacances l’amènera, cette année, tout au long du Rhône fongueux, vers Avignon, vers Nîmes, vers Arles, ou bien, au contraire, vers la Bretagne mystique, ou vers la Picardie robuste. Tout cela, c’est la France, accueillante et douce, souriante à l’étranger qui vient à elle.

Je ne crois pas que rien ne puisse être plus efficace pour la paix que ces voyages de jeunes gens le long des routes de tous les pays. Le cri des anciens combattants : « Jamais plus de guerre ! » est émouvant et fécond ; le travail des hommes d’État et des économistes s’efforçant de faire disparaître les causes de conflits, est indispensable et constitue une sérieuse raison d’espérer ; la volonté des éducateurs consacrant à la paix l’école où si longtemps, retentirent des leçons d’orgueil national et de haine est une garantie que les générations prochaines vaudront mieux que les nôtres.

Mais, pour retenir les hommes quand le vent de folie passera à nouveau sur leur front, rien ne vaudra le souvenir des jours de jeunesse où, fraternellement, ceux qu’on voudrait lancer les uns contre les autres, s’en sont allés le long des chemins de leurs patries diverses, mais également belles, vers des auberges si différentes, où cependant, la même paix descendait sur leurs sommeils.

STÉPHEN VALOT, La Jeune république, 21 novembre 1930

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