GÉRARD GADIOT, JEAN GIONO ET LE CONTADOUR

René GARAGNON nous livre ici un hommage à Monsieur Gérard GADIOT qui fut son professeur de dessin au Collège de garçons d’Arles et qui, en 1970, fit un des premiers à rejoindre la Société des Amis du Vieil Arles lors de la renaissance de l’association.

Quelques mots pour celles et ceux qui l’auraient quelque peu oublié.

Ce Charentais (il était né à Royan en 1889) fit ses études secondaires au Lycée de la Rochelle. Etudiant à Bordeaux puis à Paris, il prépare les Beaux-Arts et passe aussi en 1917 l’examen de professeur de gymnastique. Pour son premier poste de professeur, il est nommé au Collège de Bédarieux puis à Verdun. C’est à Verdun qu’il lit le livre de Madame de Flandreysy, « Le Taureau de Camargue ».

Attiré par cette terre lointaine, il part avec sa femme découvrir la Camargue pendant les grandes vacances. En 1928, il est nommé professeur à l’Ecole municipale de dessin d’Arles qui était alors au Musée Réattu, en remplacement de FERIGOULE puis, au Collège de garçons d’Arles où il va rester 21 ans.

Ebloui par la Camargue, il devient le familier et l’ami de nombreux gardians et manadiers.

Lui qui montait à cheval dès l’âge de sept ans, fut un gardian (amateur) virtuose et de grand talent. Correspondant de la revue « Le Toril » et archiviste de la Confrérie des Gardians, il fut également conseiller municipal (sur la Este de M. PILLIOL) de 1947 à 1953.

En 1968, il publia chez Arthaud un livre de grande qualité sur la Camargue (« En Camargue »). N’oublions pas aussi ses cartes sur les manades, fers, devises et escoussures.

Décédé en 1981, ses cendres furent, à sa demande, dispersées sur le Vaccarès.

Ce qui nous a beaucoup intéressé à propos de Gérard GADIOT – et que nous allons évoquer dans la deuxième partie de cet article – c’est l’adhésion immédiate de GADIOT au Contadour (1) de Jean GIONO et sa participation active aux neuf Contadours qui eurent lieu en Haute Provence de septembre 1935 à septembre 1939.

Mais revenons un peu en arrière. Après la tuerie de 1914-1918, un grand courant pacifiste s’affirma.

Nombreux fuient ceux qui, reprenant les idées de ROUSSEAU, prônaient un retour à la vie naturelle et primitive. D’où la création en France de la première auberge de jeunesse (A.J.) en 1929 par Marc SANGNIER.

Le but des A.J. était de découvrir la nature (paysages, plantes, animaux), la vraie vie rurale et d’entrer en contact avec les paysans. Jean- Pierre CHABROL, dans son roman « l’Embellie » résume en une phrase la raison de cet engouement : « Ils n’avaient jamais rencontré d’eau pure ».

En 1933, le Centre laïc des A.J. (CLAJ) est créé par le Syndicat des instituteurs, la Ligue de l’enseignement, la C.G.T., le Mouvement naturiste et les Amis de la nature.

Les A.J. se multiplient. Le séjour à l’auberge permet d’oublier pendant quelques temps l’usine et la solitude de la vie urbaine. Dans la journée, il y a des randonnées où l’on découvre la nature et le silence.

Le soir, autour de la cheminée ou d’un feu de camp, on évoque certains événements récents qui secouent l’Allemagne, l’Espagne ou l’Abyssinie et l’on veut lutter à tout prix pour la défense de la paix.

On parle également d’écrivains que l’on admire : GUEHENNO, GUILLOUX, CHAMSON, PREVERT et surtout GIONO.

L’influence de GIONO sur la jeunesse ajiste fut très profonde car l’écrivain célébrait la joie de vivre au contact de la nature. « Que ma joie demeure » publié en 1935, fut accueilli avec passion. Sans oublier deux ans plus tard la publication des « Vraies Richesses ».

NAISSANCE DU CONTADOUR

C’est de Madame Marie-Rose ACHARD qui dirigeait en 1934 l’A.J. de Séguret dans le Vaucluse, que partit le mouvement que l’on allait appeler « l’expérience du Contadour ».

Cette année-là, passant par Manosque, elle avait demandé à GIONO d’accompagner quelques jeunes dans la montagne de Lure.

L’écrivain accepta. Le rendez-vous fut fixé à Manosque le 31 août 1935 à quatre heures du matin. Il y avait au départ une cinquantaine de personnes, tous lecteurs de GIONO : des ajistes, des randonneurs, des étudiants étrangers et des intellectuels : Madeleine MONNIER, professeur d’histoire, le physicien Pierre BRAUMAN, la pianiste Camille SICARD, Jean LESCURE écrivain, Hélène LAGUERRE, Présidente d’un mouvement pacifiste, Henri FLUCHERE, professeur d’anglais (2), sans oublier Gérard GADIOT et sa femme Clairette.

L’itinéraire choisi était le suivant : Vachères – Banon – plateau du Contadour – Signal de Lure – vallée du Jabron – Sisteron.

Après Banon, (« ce village berbère tout blanc sur le flanc noir de la montagne”), on laissa à gauche le chemin du Revest-du-Bion et on tourna à droite. Le groupe passa devant l’école de Redortiers où Madame GIONO avait été institutrice.

Le troisième jour, les randonneurs se trouvaient près du hameau du Contadour quand GIONO se luxa le genou dans la distillerie de lavande. Le groupe décida de bivouaquer. Beaucoup avaient des tentes et du matériel de camping. On était à 1100 mètres d’altitude près d’une tour en ruines. On avait l’impression d’être au bout du monde. L’endroit était désert. De temps en temps, le vent « roulait et tanguait”. Puis, quand il s’arrêtait c’était le silence absolu.

Tous ces citadins étaient ravis (3) Un ciel immense. A l’horizon, on apercevait, à l’ouest, les caillasses du Ventoux ; à l’est, la montagne de Lure massive et bleutée ; au sud, le Lubéron et, de temps en temps, la Sainte Victoire et la Sainte Baume.

Le groupe devenant plus nombreux, certains s’installèrent dans une grange où l’on distillait de la lavande. C’est là qu’avait lieu la veillée.

Chacun parlait de sa région. GADIOT faisait connaître la Camargue. GIONO, lui, racontait des histoires ou lisait quelques pages de son prochain livre. Sur le vieux gramophone que l’on remontait à la manivelle, on écoutait BEETHOVEN, HAENDEL mais surtout MOZART.

La maison à côté du moulin en ruines était à vendre. GIONO et trois amis décidèrent de l’acheter. C’était une petite maison meunière en belles pierres grises. On l’appela « le moulin ». Quoiqu’en assez bon état, des travaux étaient nécessaires.

Le 15 septembre 1935, jour du départ, on se donna rendez-vous à Pâques pour la restauration de la maison. Dans son « Journal », GIONO déclara : « Tout a été magnifique, une nouvelle vie a commencé ».

Aperçu sur les autres Contadours

Pour le deuxième Contadour (Pâques 1936), il fait froid : « C’est un grand espace venteux et sec où le ciel racle les forêts ». Les vingt participants s’installent provisoirement dans la grange de Madame MERLE(4).

L’aménagement du « moulin » commence. GADIOT, très habile, installe les portes et les fenêtres et répare la cheminée. Il travaille aussi sur le toit.

Deux sujets alimentent les discussions le soir : les menaces de guerre d’abord car, en mars, Hitler a réoccupé la Rhénanie. La publication d’une revue ensuite.

Le premier numéro des « Cahiers du Contadour » paraîtra en juillet 1936. Vendu uniquement par abonnement (50 francs par an) il sera tiré à 150 exemplaires (le dernier, en 1938, sera envoyé à 530 abonnés). Huit numéros seront publiés, très recherchés aujourd’hui par les bibliophiles (5). Notons que Gérard et Clairette GADIOT participèrent activement à l’élaboration des Cahiers deux et trois.

Le numéro deux est extrêmement intéressant car GADIOT, ayant été nommé « Conservateur » du Contadour, fit paraître deux textes dans ce numéro. Articles trop longs pour être cités ici in extenso. Contentons-nous de publier quelques phrases tirées du « Règlement intérieur du Contadour » et qui ne manquent pas d’humour : « Ne sont admis au Contadour que les gens sincères et dépouillés de tout intérêt personnel. Jean GIONO n’y reçoit absolument personne pour aucun motif. Curieux, photographes, journalistes, amateur de dédicaces et d’autographes ne peuvent être admis au Contadour. Si ces derniers insistent, il y aura de bonnes corvées pour les embêteurs (pluches, vaisselle, corvées d’eau et de bois, ravitaillement à Banon à 11 kilomètres…) … Aucun journal ne doit franchir le seuil du Contadour…

Elle habitait la ferme voisine et tenait le minuscule café du hameau.

En examinant attentivement la liste des abonnés, nous avons trouvé à part GADIOT qui recevait le bulletin à son domicile rue Commandant Maigre, deux autres artésiens : Jean ESPESSET rue de Grille et Madeleine LEAUTIER rue Docteur Gay.

Toutes les opinions sont permises mais la plus large tolérance est exigée de tous ses membres… La source se déversant dans trois bassins, le premier est pour la boisson, le deuxième pour les dames et le troisième pour le blanchissage… Le Contadour accueille tous les artistes mais n’est pas une pension de famille pour les artistes… « .

Un autre texte dans ce même numéro – texte non signé – évoque les travaux effectués par GADIOT : « Nous entrons. La maison est devenue habitable. Il y a une cheminée, une grande baie vitrée, des bancs tout autour de la grande salle. On cherche. On regarde GADIOT. C’est à lui qu’on doit tout ça. Il a un petit sourire ».

Le troisième Contadour eut lieu en septembre 1936 avec de nouveaux venus : Aline GIONO, la fille aînée de Jean, ainsi que Pierre MAGNAN de Manosque, le futur romancier (il avait quatorze ans à l’époque). GADIOT était monté dès le mois de juillet pour finir d’aménager la maison. Les travaux terminés, on plaça au-dessus du linteau l’inscription : « Ta Terre n’est pas à qui la prend mais à qui sait la voir”.

Les autres réunions jusqu’en septembre 1939 furent consacrées à la paix.

GIONO donna de nouveau son opinion : « S’il y a une guerre je ne partirai pas ». Mais on connaissait déjà son point de vue depuis la publication du « Grand Troupeau » en 1931 et de « Refis d’obéissance » en 1937.

C’est le 4 septembre 1939 que l’on apprit au Contadour la déclaration de guerre par l’intermédiaire des gendarmes de Banon. Les réactions de réactions furent diverses. Certains rejoignirent le Centre de Mobilisation, d’autres passèrent en Suisse. Trois furent emprisonnés pour insoumission : le maçon Alfred CAMPOZET, dit « Le Béarnais » qui avait restauré la maison du Moulin avec GADIOT, Jean MAYOUX et GIONO.

L’écrivain qui s’était présenté quelques jours plus tard au Centre de Mobilisation de Digne fut arrêté le 16 et incarcéré à la prison militaire du Fort Saint Nicolas à Marseille pour son pacifisme intransigeant. Quant au « brave GADIOT » – expression d’un fidèle du Contadour Lucien JACQUES à Jean LESCURE – il retourna à Arles.

« La guerre c’est la mort » peut-on lire dans un des premiers « Cahiers ». C’est bien la guerre qui mit fin au Contadour.

Diverses tentatives après la guerre pour faire revivre cette expérience de vie naturelle n’eurent pas de suite. Aujourd’hui, le plateau est toujours aussi désert. Seuls les bêlements des deux troupeaux près du Signal de Lure rompent de temps en temps le silence.

 

BIBLIOGRAPHIE

L’ouvrage de base est le livre « Jean GIONO et le Contadour » (1935 – 1939) de Madame Lucette HELLER-GOLDENBERG, chargée de cours à la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand. Cette thèse de doctorat 3éme cycle a été publiée en 1972 par les Belles Lettres.

Autres ouvrages de référence

  • Album Jean GIONO : Bibliothèque de la Pléiade 1980.
  • BOURGNEUF (Roland) : GIONO et les Cahiers du Contadour, Revue des *Sciences Humaines, avril-juin 1973.
  • CARRIERE (Jean) : Jean GIONO, La Manufacture, 1985.
  • CHONEZ (Claudine) : GIONO par lui-même, Le Seuil, 1956.
  • CITRON (Pierre) : Jean GIONO, Le Seuil, 1990.
  • GIONO Journal 1935 – 1939.
  • GIONO aujourd’hui : Actes du Colloque international Jean GIONO d’Aix-en- Provence (10 – 13 juin 1981) Edisud 1982.
  • MAGNAN (Pierre) .-Pour saluer GIONO, Denoéi, 1990.
  • PUGNET (Jacques) : Jean GIONO, Editions universitaires, 1955.

Périodiques

  • Les Cahiers du Contadour (1936-1938) : Neuf numéros.
  • Bulletin de l’Association des Amis de Jean GIONO.
  • Journal « Le Provençal » : article non signé du 19/03/1981 lors du décès de G. GADIOT.
  • Journal « Le Provençal » : article en provençal d’Odile RIO sur G. GADIOT, 18 et 19/07/1989.

 

René GARAGNON, Juin 2002 – Bulletin du Vieil Arles

 

(1) Contadour expérience vécue par un groupe de personnes réunies autour de Jean GIONO de 1935 à 1939 sur le plateau du même nom entre Banon et la Montagne de Lure. Contadour signifie « l’endroit où l’on compte les bêtes avant de les lâcher sur l’alpage.  » et la logique serait de l’orthographier « comptadour ». Par extension, « contadourien » : personne ayant participé à cette expérience.

(2) H. FLUCHERE avait été élève au Collège de Manosque avec GIONO mais pas dans la même classe. Leur amitié dura toute leur vie. Devenu professeur d’anglais, FLUCHERE traduisit STERNE et publia un retentissant « SHAKESPEARE dramaturge élisabéthain ». Nous le retrouverons des années plus tard professeur puis doven de la Faculté des Lettres d’Aix en Provence et Directeur de la Maison Française à Oxford.

(3) « Le silence – disait GIONO est le plus grand luxe de notre époque pleine de bruit et de fureur ».

(3) « Le silence – disait GIONO est le plus grand luxe de notre époque pleine de bruit et de fureur ».

(4)       Elle habitait la ferme voisine et tenait le minuscule café du hameau.

(5)       En examinant attentivement la liste des abonnés, nous avons trouvé à part GADIOT qui recevait le bulletin à son domicile rue Commandant Maigre, deux autres arlésiens : Jean ESPESSET rue de Grille et Madeleine LEAUTIER rue Docteur Gay.

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