L’Allemagne d’aujourd’hui – Ce que pense la jeunesse – 1922

Nous notions, dans le premier article que nous avons consacré à notre récent voyage en Allemagne (n° du 31 mars), que le milieu universitaire demeure le plus inquiétant. Des professeurs comme Einstein et Nicolaï, à Berlin, Woltereek à Leipzig ; Nelson, à Gœtlingen, qui se rallient aux idées républicaines, avouent hautement qu’ils sont de rares exceptions.

Les « Corps », les « Burschenschaffen », ces associations d’étudiants aux rites moyenâgeux, qui recrutent leurs membres dans l’aristocratie et la haute bourgeoisie, se sont perpétrés avec leur duel au sabre, leurs mœurs brutales et leur mentalité réactionnaire. Il y a toutefois, quelques groupements d’étudiants pacifistes, et, dans certains centres comme Leipzig, des formations qui collaborent à des œuvres d’enseignement populaire et d’éducation sociale.

Dans les lycées, et surtout chez les instituteurs, la mentalité est différente : on ne saurait dire que les maîtres d’école soient, en Allemagne, comme en France, un des piliers du régime. Du moins semblent-ils partagés entre les idées anciennes et le système nouveau.

On me signale, dans les provinces rhénanes, par exemple, des instituteurs animés du plus pur esprit nationaliste, qui enseigneraient encore la gloire du kaiser. D’autre part, en Saxe, dans la Hesse, je me suis entretenu avec des maîtres, avec des professeurs d’école normale qui m’ont paru fort raisonnables. Ils m’ont affirmé que dans leurs provinces, la majorité du corps enseignant partageait leurs idées.

Il est vrai que certains États du centre de l’Allemagne, la Saxe, le Brunswick, la Thuringe ont une majorité et un gouvernement socialistes : cette situation doit nécessairement influencer l’état d’esprit et les dispositions des instituteurs.

Dans la jeunesse

J’entends dire, de tous côtés, que le véritable espoir de l’Allemagne repose sur la jeunesse.

Dans une période troublée comme celle-ci, période de souffrance et de désenchantement, où des classes entières, ruinées matériellement et incapables de s’adapter aux conditions nouvelles, s’accrochent désespérément aux souvenirs du passé, il est clair qu’il faut compter sur les jeunes.

– Si vous espérez, me répète-t-on, une rénovation de l’Allemagne, ne cherchez pas à convertir ces anciens officiers, ces magistrats, ces professeurs, ces pasteurs, élevés dans le culte du kaiser. Rien à faire avec eux. Il faut attendre qu’ils disparaissent. Par contre, avec les jeunes générations, tous les espoirs sont permis. Etudiez la Jugendbewegung.

J’ai essayé d’observer, avec mes amis, cette Jugendbewegung (mouvement de la jeunesse), et je me hâte de déclarer que ce phénomène nous est apparu si riche, si complexe, qu’il faudrait des semaines d’étude attentive, de documentation variée pour pouvoir parler congrûment.

Il y a, en Allemagne, des centaines de groupements, de journaux et revues, d’organisations et de publications de toute sorte, où des jeunes de toute origine, de tous partis essayent de dégager leurs aspirations communes. Ce mouvement ne date pas de la guerre : il y a environ quinze ans que s’étaient créées, sous le nom de Wandervögel (oiseaux de passage) de nombreuses sociétés de jeunes gens qui ressuscitaient une vieille tradition allemande, celle des compagnons-voyageurs : elles organisaient des excursions, de longs séjours dans la montagne et la forêt ; leur trait le plus curieux ; était un esprit de liberté et d’individualisme, par réaction contre la discipline rigoureuse de l’école prussienne.

Aujourd’hui, les Wandervögel ne représentent plus qu’un élément, parmi les groupes variés qui se partagent la jeunesse allemande, et qui comptent plus de 150.000 adhérents : il y a des jeunesses socialistes ou communistes, des jeunesses chrétiennes, catholiques ou protestantes. Le lien qui les unit est généralement de nature religieuse ou sociale : souvent les deux à la fois.

Il est à remarquer qu’un certain trait idéaliste semble commun à la plupart de ces formations, et rapproche celles qu’on pourrait croire le plus opposées : les jeunesses socialistes, par exemple, ne diffèrent pas tellement des jeunesses chrétiennes, celles-ci étant fréquemment constituées en dehors de tout dogme et de toute Église, et se réclamant de la pure doctrine du Christ.

On est frappé, lorsqu’on s’entretient avec ces jeunes, de la sincérité de leurs convictions, de leurs sentiments élevés, de leur volonté d’entente et de conciliation. Certes, il y en a qui ne redoutent pas les expériences, et qui poussent l’idéalisme jusqu’à un point que certains d’entre nous appelleront utopie.

Des communistes chrétiens

J’ai visité, près de Schlüchtern, petite ville de Hesse, deux colonies de communistes chrétiens : chacune comprend une trentaine de personnes, jeunes gens et jeunes filles, qui s’adonnent à la culture de la terre et à de menus métiers.

Ils font caisse commune, mais ne sont tenus par aucune discipline, aucune contrainte provenant de la communauté : tout, chez eux, repose sur la responsabilité individuelle, et chacun ne consulte que lui-même, lorsqu’il a besoin d’effectuer un achat pour son usage. En outre, ces jeunes gens sont végétariens, et s’abstiennent de toute boisson alcoolique.

Jusqu’où pourront-ils mener une tentative qu’ils avouent pénible et fertile en déceptions ? Mais les tolstoïsants de Sarnez et de Haberlshof ne figurent qu’une exception, et comme la pointe extrême des tendances nouvelles.

Ce n’est pas sur leur exemple qu’il faudrait juger la jeunesse, mais plutôt sur une certaine moyenne qui ne s’élève pas jusqu’à leur mysticisme humanitaire, mais partage leurs sentiments pacifiques : dans la classe ouvrière comme dans la petite bourgeoisie, les jeunes générations se réveillent à l’individualisme, au goût de la liberté, à l’idéalisme, contrairement à la servitude et au matérialisme de l’âge précédent.

La jeunesse et l’avenir

Des hommes mûrs prétendent déjà qu’il ne sortira rien de ce mouvement ; que c’est là une effervescence qui se calmera avec l’âge ; que tout groupement de jeunes est condamné à avorter, lorsque ses membres cessent d’être jeunes. Il est possible, en effet, que telle association aujourd’hui florissante, telle publication pleine d’idées et de vie cesse d’exister, dès que ses inspirateurs lui manqueront.

Mais tous ces ferments qui travaillent aujourd’hui la jeunesse allemande peuvent aboutir à la création d’un esprit nouveau. Ces jeunes gens, une fois sortis du milieu quelque peu étroit où leur âge les confine, une fois lancés dans l’activité d’une profession et dans la vie sociale, seront peut-être des hommes qui pensent autrement que leurs aînés, des hommes avec qui nous puissions nous entendre.

Et c’est là, précisément, ce qui nous intéresse dans l’Allemagne de demain.

RENÉ LAURET.

La Jeune République le 14 avril 1922

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Comments

  1. Bonsoir très bel article sur ce mouvement libertaire dont je ne connaissait pas l auteur rené Lauret il démontre bien ce grain de révolte contre la bourgeoisie excellent merci

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