Une fleur au chapeau et aux lèvres une chanson
…chantent joyeusement les jeunes filles du Centre de Bellevue
Midi. Bruit de volière ; picotements des fourchettes dans la faïence ; atmosphère d intimité dans le cadre élégant d’une grande propriété mise à la disposition du centre de jeunesse féminine de Bellevue.
Un centre… gerbe de vies. rencontre de jeunes cœurs aux mesures inégales ; un apporte et I on échange ; on donne et l’on s’élève.
Toujours en éveil et souvent en action le tact et le fin doigté d’une âme dirigeante, indispensable par sa compétente psychologie pratique ; la main de fer dans le gant de velours met de l’huile dans les rouages.
I! y a parfois des questions d’une grande délicatesse ; cette jeune fille, mal traitée dans sa famille, n’a de trêve que le temps passé au centre. Que faire ?
Difficultés journalières provenant d’éducation’ et de milieux différents et qui se heurtent ; il faut aplanir.
Dans le milieu de cette autre, on est très pauvre ; père chômeur, famille nombreuse ; comment « s’en mêler » sans froisser ?
Celle-ci n’a qu’au centre seulement une conduite excellente ; mais que dire ? et pourtant, malgré le danger de contamination, il faut la garder ; une amitié sincère peut faire surgir d’elle l’étre neuf et meilleur qui na besoin que du reproche de l’exemple sain pour bifurquer.
S’il faut beaucoup d’humanité et d’enthousiasme pour être un chef, il faut beaucoup de compréhension.
d’indulgence et d amour pour entraver les pas qui descendent le mauvais chemin et les entrainer plus haut, toujours.C’est la mission magnifique de ses chefs d équipe.
Une heure. — Temps libre. Des groupes se forment en une pièce rustique et charmante, d’une marche plus haute que le hall. Sur des étagères de chêne, des lapins et des chiens en toile cirée, bourrés de son se regardent, étonnés d’être roses ou bleus ; un clown hilare, petit chef-d’œuvre, monte la garde au milieu d’une ferme en bols découpé ; dans les bocaux en verre blanc, des fleurs en coquillages. Le professeur de bricolage a dirigé tous ces travaux exécutés par les équipes.
Le soleil, familier de la maison regarde pousserles jacinthes dans les pots de terre vernis, dispersés un peu partout sur les bahuts de chêne sculpté.
Escortée par Mlle Michaut. directrice du Centre, je visite le jardin.
— On va planter des fleurs ici, des poireaux là et niveler ce terrain; vous verrez, ce sera magnifique !
1 h. 30. — Rassemblement.
Mot d ordre de la semaine : « Servir » avec le sourire (oreilles pour cran d arrêt).
Vous n’aurez jamais sans doute Une fleur au chapeau, A la bouche une chanson.
Et l’on chante, partout, du matin au soir, en ce moment, pour monter au traval. travail libre. Joyeux et discipliné
L’équipe Alpes va repasser ; les fers demandés au ministère depuis novembre viennent d’arriver et, sur les vingt machines à coudre réclamées. trois ont pris la même voiture que les fers, et neuf de ces mêmes machines n’attendent que le camion qui les conduira un jour à destination.
Dans la grande salle, qui était le salon, une partie d’Alpes, dans « son coin ». taille des torchons.
— Dans des parachutes de fusées, me précise-t-on.
Et le reste, aux machines, pique les ourlets sur un rythme de mitrailleuse.
Vers la verrière de la même salle, celles qui ont été le plus retardées dans leurs études font une dictée.
D’autres, dans un endroit proche, suivent un cours d’histoire, sur Anne de Bretagne, cours intelligemment remanié, agréablement présenté et digeste. Circulent de fort belles gravures sur les paysages. les monuments, les villes. les costumes bretons.
Au cours de géographie, on traitera : agriculture, industrie, commerce et folklore de la Bretagne.
Question du professeur d histoire :
— Croyez-vous qu’une femme doit faire de la politique ; ne confondez pas politique et bobards.
Avis très partagés ; des discussions s’amorcent ; conclusions aussi larges que peu précises.
Mise au point : une femme doit être au courant de la politique de son pays, mais ne doit, pour rien au monde, perdre son temps si précieux à en discutailler indéfiniment ; les hommes y suffisent amplement.
L’équipe Bretagne coud en chantant. Une jeune fille me présente une ravissante robe d’enfant, d un travail délicat.
— Ferez-vous de la couture votre métier ?
— Oui,s’il le faut ; mais je suis venue ici surtout pour apprendre une foule de choses utiles et que j’ignore ; tenez, j’ai mon brevet et je ne sais seulement pas faire un potage mangeable et repasser une blouse.
Elle éclate de rire
— Et vous mademoiselle ?
— Oh ! moi. je suis chômeuse ; je travaillais dans une usine (hélas) mais je n’ai aucune formation professionnelle ; je vais apprendre la reliure. C’est un métier que je pourrai exercer chez moi quand je serai mariée, car je compte bien me marier, naturellement.
Et toutes l’approuvent gravement.
Provence tapisse et meuble son local ; système D et moyens de fortune (dans toutes les équipes et pour tous les locaux, du reste».
Il y a quatre bonnes dessinatrices, dont une a fait une remarquable reproduction d’un portrait de notre Maréchal, sans avoir pris de leçons. Une autre, créatrice par nature, conçoit des modèles exécutés par ses compagnes . elle sera précieuse surtout pour la transformation des vêtements usagés.
Aquitaine, attentive, suit le cours le puériculture :
— « Dans le bouillon de légumes que vous sucrer…
Le local, un peu scout, est bien sympathique et de très bon goût.
Normandie et Ile-de-France au tissage ; une coiffeuse, une comptable, une vendeuse, tisseuses depuis peu sont au métier et s’en tirent vraiment très bien.
J’admire des écharpes terminées et l’harmonie des coloris.
— Mais vous avez encore de la laine sans trop de difficultés ?
— Le ministère est très chic et fait tout ce qu’il peut pour nous.
Pyrénées est à son heure de sport journalier et l’on entend le ballon qui resonne en rebondissant, au milieu des rires heureux.
Oui. elles sont heureuses.
« Nous comptons sur vous ». a dit notre Maréchal.
Gai au labeur !
Christiane CONTE. Jeunesse, 16 mars 1941