Ne craignez plus le froid et l’hiver
Hiver, terreur des pauvres gens et des malades. Hiver, triste et glacial, hiver, de quels maux ne t’a-t-on pas accablé ?
On t’a dépeint longtemps sous les couleurs les plus sombres.
Mais à présent, hiver, tu n’es plus la saison redoutée. Tu es devenu, ô paradoxe ! la richesse de nos régions montagneuses qui, voici quelques lustres seulement passaient pour misérables.
Hiver tu as ta beauté, non moins égale que celle de l’opulent été, le frais printemps ou le mélancolique automne. Mais de même qu’on ne recherche pas le charme de ces saisons dans l’emprisonnement des villes, c’est dans le grand espace blanc, ou sur les pentes des hauts sommets qu’on découvre la tienne. Et sa griserie, une fois connue, est telle qu’on en est à jamais conquis… Mol édredon ou croûte crissante sous les pieds et les lattes, la neige est reine alors dans ton royaume dont le soleil, ô surprise, est roi.
Volupté du froid sous la neige
Vous qui redoutez l’hiver, qui soufflez dans vos doigts gourds et tapez du pied contre l’asphalte en maudissant le froid qui vous rougit le nez, fait pleurer vos yeux et mordille vos oreilles, n’êtes-vous jamais allés l’hiver à la montagne, là-haut au-devant de la neige, à la recherche du soleil que cache la brume des villes ?
Quelle surprise n’éprouveriez-vous pas si, en quelques heures — rendues, hélas ! plus longues et beaucoup moins agréables du fait de la pénurie actuelle des transports — vous vous retrouviez subitement dans le paysage familier des vacances d’avant-guerre, plein d’espace, de ciel bleu, de senteurs, de rires et de soleil ! Rien ne ressemble plus à une station balnéaire qu’une station de sports d’hiver, surtout lorsqu’on la découvre de la cabine du téléférique qui vous emporte, suspendu à un fil de la vierge, vers le silence des hauteurs mordorées. La neige brille alors comme le sable des plages, les petits chalets évoquent les cabines ou les tentes et sous le soleil chaud et bon les horizons étincellent comme les flots marins. Et il n’est pas jusqu’aux nuages moutonneux qui houlent au loin comme l’écume blanche des vagues…
Et le froid, loin d’engourdir les êtres, appelle aux mouvements à l’action. Et voilà la supériorité des sports d’hiver sur les sports d’été. L’air y est vivifiant, le soleil réchauffe l’organisme et ne brûle pas. Et le teint de cuivre des habitués du ski dit assez pourtant combien son ardeur est grande sur les pentes où ses rayons caressent les voluptueux contours de la neige.
Sports de glace…
Il est bien des formes d’adorer le froid et les prêtres de sa religion sont allés jusqu’à l’emprisonner dans des Palais de Glace ou des « Skatinqs » fréquentés avant-guerre par des milliers et des milliers de fidèles. On vous apportait alors la neige en plein Paris, sous forme d’hyposulfite, mais si les pistes étaient de bien pâles ersatz de celles de Megève ou de Chamonix, les champions qu’on y applaudissait et les professeurs qui vous y enseignaient déjà la méthode française étalent les mêmes que ceux des belles stations du mont Blanc ou des Pyrénées.
La glace du Palais des Sports, pour être fabriquée à l’électricité, n’en était pas moins de la vraie et l’on y patinait ferme, dans la journée, en attendant les soirs mirifiques et inoubliables ou les Sonja Henie, Viviane Hulten, Cécilia Colledge, Megan Taylor, Hedie Stenuf, Maxie Herber, les Brunet-Joly, les Pausin, les Baïer et les Schaeffer venaient y décrire mille arabesques de leurs pieds toiles de patineurs, en de suaves ballets auxquels succédaient les tonitruants matches de hockey entre des équipes aux noms redoutables. Les gars caparaçonnés de cuir, au patronyme de gardes françaises fonçaient alors dans la fulguration de leurs patins et de leurs crosses sous les clameurs d’un public « chauffé à blanc » la vitesse succédait à la grâce.
Le hockey sur glace n’est pas passé de mode, ni non plus le patinage de figures et celui de vitesse. Chamonix la sportive, Megève l’ensoleillée, Briançon au ciel bleu, Villard-de-Lans « la reposante » voient se dérouler actuellement chaque semaine quelques matches fort disputés.
Il est un autre sport de glace qui retrouve en ce moment une nouvelle faveur. C’est le bobsleigh qui est à la luge ce que le hors-bord est à la barque de canotage. Casqués comme des « stayers » du Vél’ d’Hiv’, deux, trois ou quatre hommes prennent place, comme à l’aviron, dans un bolide découvert qui, au signal, glissera à des allures vertigineuses au long du toboggan de Villard, de Chamonix ou de Briançon… C’est là un sport rêvé pour les aviateurs en mal de vol.
… Et sports de neige !
Mais il y a aussi et surtout le ski…
Heureux ceux qui ont pu se munir quand on en trouvait encore à des prix abordables, des épaisses chaussures nécessaires, des deux lattes de hickory ou de frêne qu’il s’agira de « farter » selon l’état de la neige, des bâtons de bambous ou de duralumine pour aider aux savants virages et, bien entendu, de quelques vêtements imperméabilisés…
Ceux-là trouveront sur place, s’ils en ont besoin, des moniteurs compétents, des pistes bien « damées », des monte-pentes, des téléfériques.
Mais s’ils aiment vraiment la montagne, s’ils ont appris à ne plus craindre l’hiver et le froid, ils recherchent les sites les plus sauvages, les plus nus, les plus purs des Alpes et s’en iront en bandes jeunes et joyeuses au long des crêtes immaculées, dans la neige vierge, goûter aux voluptés fortes que la neige réserve à ses amants.
Et le soir venu, épuisés d’une saine fatigue ils n’oublieront pas, avant de se coucher très tôt, sans flâner dans les bars, à la mode, de remercier la nature dispensatrice de telles joies en entamant en chœur les hymnes tour à tour mélancoliques et vibrants de nos belles régions de montagnes.
Raymond VANKER. Franc-Jeu, 22 janvier 1944