Les circonstances, actuellement, veulent que l’influence du Chef d’Equipe sur ses volontaires devienne plus évidente. Il est un fait certain : c ‘est que beaucoup de chefs se plaignent de ne pas avoir suffisamment leur équipe « en mains » et en cherchent la cause pour conclure presque toujours à la faute des circonstances ou des jeunes.
Que veut dire « avoir son équipe en mains » ? C’est tout simplement être suivi de tous ces jeunes sans exception, c’est en être estimé, aimé, respecté ; c’est savoir que, où qu’il aille, quoi qu’il fasse, le chef verra toujours, en se retournant, vingt-quatre visages prêts à le suivre. Au premier abord, cela paraît assez facile à obtenir : vingt-quatre jeunes arrivent ; vous vous en occupez ; dans toutes les pièces on se met à « Faire face » lorsque vous entrez, et quelques timides n’osent même pas vous répondre lorsque vous leur adressez la parole.
Alors c’en est fait ! vous vous croyez le maître ; tout va bien marcher ; il suffira de parler pour que tout soit fait ; au début, peut-être.
Mais les jours passent, et les volontaires s’habituent ou plutôt s’adaptent à leur nouvelle vie, à vous.
Depuis huit jours, quinze jours, ils vous observent, ils cherchent à vous connaître.
Depuis leur arrivée, ils ne demandaient inconsciemment qu’à vous admirer ; c’est alors qu’est dangereuse la déception que vous pouvez leur donner, dangereuse et souvent irréparable.
(Cela est vrai à n’importe quel stade du S.N.O.). Chez un jeune, on peut remarquer ce double sentiment : celui de rechercher un sujet d’estime et d’admiration pour son chef, et celui de prendre un malin plaisir à lui découvrir un défaut.
A vous de ne les satisfaire qu’à moitié dans ce cas-là, en maîtrisant vos mauvaises tendances.
Ils commenceront à vous estimer ; puis, si vous savez les aimer, ils vous aimeront. C’est alors que vous n’aurez plus besoin de votre barrette pour vous faire respecter, c’est alors que vous les aurez « en mains ».
Mais ce résultat demande bien des efforts, bien des contraintes personnelles, bien des sacrifices ; c’est d’ailleurs la beauté de notre mission. Cela suppose une discipline personnelle très stricte ; il faut savoir surveiller constamment sa tenue, son langage, son allure ; avoir une chambre propre que l’on balaie soi-même ; se raser tous les jours si besoin est ; ne pas se faire griller du pain à la cuisine alors que les jeunes n’en ont pas le droit ; ne pas avoir peur de mettre la « main à la pâte » pour les petits travaux intérieurs du chalet plutôt que de se réfugier dans sa chambre où l’on n’aime pas être dérangé ; ne pas s’absenter du chalet trop fréquemment ni trop longtemps (je parle là des samedis et des dimanches) ; et bien d’autres choses encore, trop nombreuses à énumérer.
Et surtout ne jamais oublier que le principal « champ d’action » du chef d’équipe, est le lieu du travail quotidien, le travail lui-même ; par conséquent, le chef doit obligatoirement être aux gros travaux avec les jeunes ; sans cela il faillit à son devoir purement et simplement.
Un chef qui ne travaille pas souvent avec ses volontaires est vite « classé » par eux.
Eux aussi doivent vous voir à l’œuvre ; vous devez leur donner les occasions de vous estimer, de prendre confiance en vous.
S’ils ne vous connaissent pas, comment voulez-vous qu’ils se confient à vous, et par là comment voulez-vous avoir quelque influence ?
Il faut également que tous les jeunes sachent qu’ils peuvent venir vous voir à tout moment et qu’ils seront toujours bien reçus par un chef compréhensif, ouvert et d’humeur régulière.
Sinon, ils hésiteront à venir vous parler ; ils ne viendront pas, et pour vous ce sera l’échec.
Ils doivent pouvoir compter sur vous en toutes circonstances ; soyez absolument loyal avec eux.
Pourquoi leur promettre monts et merveilles si vous n’êtes pas sûr de pouvoir tenir vos promesses ? J’ai connu une équipe dont le moral est complètement tombé au bout de trois mois parce que le chef avait promis journées libres, permissions, raids de plusieurs jours, et que jamais il n’a tenu. Un tel échec, on ne peut plus le rattraper, ou très difficilement. Quand la confiance n’y est plus, on ne peut plus espérer grand’chose.
Eh oui, il ne faut pas craindre d’être dur avec soi-même, sinon nous ne pouvons rien exiger des autres ; nous n’en avons absolument pas le droit. Un chef qui trouve trop facilement des excuses pour ne pas faire le décrassage, ne pourra pas exiger, surtout l’hiver, que ses jeunes le fassent régulièrement, et ils ne le feront plus. Ceci n’est qu’un simple exemple, mais il en est de même pour la discipline, la tenue, la cérémonie des couleurs (surtout par mauvais temps), la propreté du chalet, etc. ; ne voit-on pas trop souvent des tables de salle d’équipe garder les reliefs du dîner jusqu’au lendemain matin ?
Question de détails, direz-vous ? Peut-être. Mais, c’est à la base de tout commandement efficace, de toute éducation réelle.
Ne cherchons pas ailleurs la raison pour laquelle un chef n’a plus son équipe en mains. La seule cause en est le chef.
Il doit donc se donner une discipline d’action ferme et s’y maintenir, sinon il n’est pas digne de la barrette qu’il croit pouvoir porter avec fierté sur sa poitrine.
Raoul ROCOFFORT (1942)
Nous de Jeunesse et montagne 1940-1944, éditions Publialp,1999, 224 pp