Parmi les symboles les plus repris par les Wandervögel, on retrouve la « fleur bleue » (Blaue Blume), souvent évoquée dans leurs chants, mais aussi prise comme symbole de nos camarades Fahrenden Gesellen sous la forme du bleuet. Mais que représente en réalité cette fleur mythique?
Le thème de la fleur bleue a été un des motifs favoris du mouvement romantique allemand, duquel le mouvement wandervogel est un prolongement. Le mouvement romantique français, plus tardif, l’a repris à son tour, sous l’influence du mouvement allemand. C’est ainsi que l’expression « être fleur bleue » est passé dans le langage populaire, sous une forme certes un peu dégénérée, qui a de nos jours une connotation de fraîcheur d’esprit, voir même de crédulité. Selon le Larousse, la petite fleur bleue qui s’y rattache symbolise « la part de sentimentalité, de poésie qui est souvent cachée au fond de l’âme humaine ».
Cette expression serait due à Novalis, dans son roman Henri d’Ofterdingen, où le héros rêve d’une fleur bleue qui le remplit d’une immense aspiration à l’élévation romantique. Novalis, de son vrai nom Georg Philipp Friedrich Freiherr von Hardenberg (1772-1801), est probablement le plus célèbre poète du mouvement romantique allemand. Il prônait une « esthétique de l’existence », accordant à chacun toute la latitude pour améliorer ou changer sa vie, déclarant : « Devenir un homme est un art ». Nous sommes dans le même registre que la devise wandervogel empruntée à Walter Flex : « Devenir mûr et rester pur ».
Dans l’univers de pensée des Wandervögel, comme chez les Romantiques, elle n’est en fait associée à aucune fleur existant sur Terre en ce sens qu’elle n’est pas vraiment de ce monde, tel un trésor immatériel à découvrir à l’issue d’une vie de quête spirituelle. Elle représente l’aspiration à la restauration d’un mythique Âge d’or, tel que l’auraient défini les anciens Grecs, un âge de primordialité où la nature se présente dans sa pureté première, où l’homme est en harmonie parfaite avec le divin, dans la plénitude de ses sens, en symbiose totale avec la nature, et désentravé de la contingence matérielle. Elle symbolise une mémoire ténue, une nostalgie confuse d’un lointain Âge d’or à restaurer. D’autre part, cette fleur est bleue, comme l’azur des sphères célestes à atteindre. Elle est aussi décrite comme belle et fine, montrant par là même sa fragilité et toute la difficulté à la voir, telle une flamme évanescente qui ne demande qu’à s’éteindre, et que chaque Wandervogel se doit d’entretenir au fond de son coeur. On dit symboliquement que cette fleur se trouve au fin fond d’une forêt, lieu de primordialité et de centralité. C’est en effet en revenant au fond de soi-même, en allant au fond de l’essence des choses qu’on peut la retrouver. Elle est donc à la fois splendide, mais si fragile, car chacun peut faillir en chemin, et tomber dans la facilité du renoncement matérialiste d’une vie bourgeoise.
Chez le Wandervogel, la quête de la fleur bleue évoquée dans les chants passe d’abord par une immersion dans la nature, par la recherche de terres lointaines à la nature encore préservée, par l’abandon des contraintes matérielles et des attitudes bourgeoises, par un refus d’une vie « qui sent les rouages et le métal » selon l’expression de J.R.R. Tolkien. Elle doit l’amener en premier lieu à savoir écouter la nature et ses enseignements, à développer une supra-sensiblité au « chant du monde », à savoir lire à travers le « murmure des fleuves et le bruissement des arbres ». Cette quête doit en quelque sorte l’amener à retrouver les relations païennes ancestrales de l’homme à la nature. On voit aussi que cette quête ne se pose pas seulement sur un plan individuel, mais se trouve projetée dans l’action collective du clan, dans les raids et les veillées, où l’aspiration à la simplicité doit se traduire par des relations humaines saines et simples basées sur la franche camaraderie, désentravée des égoïsmes de la vie moderne.
Pour illustrer ce thème, voici deux chants emblématiques du mouvement représentent bien l’univers qui se dégage autour de la quête de la fleur bleue, « Nous voulons partir dans nos campagnes » (« Wir wollen zu Land ausfahren »), et « Quand le clair soleil me sourit » (« Wenn hell die goldne Sonne lacht ») :
NOUS VOULONS PARTIR!
DANS NOS CAMPAGNES
Nous voulons partir dans nos campagnes,
Bien loin à travers champs.
L’appel des cimes nous gagne,
Leur clarté nous attend.
Nous voulons écouter où rugissent les bourrasques,
Et découvrir ce que les montagnes masquent,
/Vers le vaste monde, en avant ! / (bis)
Là, des eaux inconnues surgissent
Tels des sages guidant nos pas.
Nous marchons dans la liesse,
Chantant de vieux exploits.
Et notre feu crépite en un lieu magnifique,
Nous nous régalons d’une nature prolifique.
/Les flammes transportent notre joie./ (bis)
Se pose sur la vallée profonde,
Le voile calme de la nuit.
Les elfes s’éveillent à notre monde,
Lorsque la lune luit.
La forêt retient les pas et les murmures,
Elle entend et voit maintes magiques créatures,
/Qui vibrent avec nous dans la nuit./ (bis)
Le fond de la forêt abrite
La fine fleur d’azur,
La fleur qui se mérite.
Cheminons le coeur pur !
Dans le murmure des fleuves et le bruissement des arbres,
Qui veut trouver la fleur bleue se doit d’être
/Un Oiseau Migrateur./ (bis)
QUAND LE CLAIR SOLEIL ME SOURIT
Quand le clair soleil me sourit,
Je m’en vais à cent lieues,
Là où, magnifique, elle fleurit,
La belle et fine fleur bleue.
/J’arpente de vallées en sommets
Au coeur de nos campagnes.
S’il me venait de la trouver,
Qu’l’éternité me gagne !/ (bis)
Aux oiseaux des bois, dans ma quête,
En vain j’ai demandé :
« Où trouve-t-on cette fleurette ? »
Ils n’ont rien révélé.
/Et ainsi s’enchaînent les lieues,
S’émoussent mes espoirs.
Cette unique et splendide fleur bleue
Fleurit bien quelque part./ (bis)
Un jour, je vis la chance briller
Dans les yeux d’une jeune fille.
« Adieu, il me faut m’en aller.
Le temps me presse la belle. »
/Quand le clair soleil me sourit,
Je m’en vais à cent lieues,
Là où, magnifique, elle fleurit,
La belle et fine fleur bleue./ (bis)
Arnvald du Bessin, La Maove, 47, Eté 2003