NÉCESSITÉ de la MÉTHODE

Nous sommes tous d’accord sur l’excellence et la nécessité des techniques : nous savons que pour camper, varapper, piloter un canoë sur une rivière difficile, même nettoyer rapidement une vaisselle abondante et comportant des marmites « attachées », il faut appliquer des principes et pratiquer une série de procédés, dont l’ensemble se complète et constitue une technique. Or, la méthode n’est qu’une hyper-technique fondée sur l’expérience des techniques et dont les lois sont applicables à chacune de celles-ci.

Sans méthode, les œuvres humaines, en général, et nos tâches, en particulier, ne peuvent se développer harmonieusement et efficacement ; il sera possible d’obtenir des résultats, mais isolés et moindres, un rendement, mais inférieur et heurté ; souvent, au cours du travail, il faudra revenir en arrière pour réparer les omissions et les erreurs commises ; on développera excessivement tel point, on négligera plus ou moins tel autre ; on perdra même de vue, parfois, le but principal pour bifurquer inconsciemment vers un objectif secondaire et, en tout cas, l’on risquera beaucoup de tomber dans les divergences de vues et les disputes stériles.

Or, une méthode suppose d’abord un sérieux et une volonté durables, c’est-à-dire indépendante des humeurs et des circonstances individuelles. Donc, bien déterminer le but et choisir les dirigeants et les exécutants, non pas parmi les beaux parleurs, mais parmi ceux qu’on sait qualifiés par leur caractère et par leur connaissance du travail à entreprendre.

Ensuite, il faut tenir compte de quelques principes absolument généraux qui sont presque plus de la morale que de la pratique : ne rien promettre, ne rien annoncer, non seulement qu’on ne soit certain de tenir et (et ici attention : on peut être certains de quelque chose et s’y tromper ; certitude ne veut dire ni vérité, ni raison), mais surtout « qu’un ne tiendra ». Cela entraîne divers corollaires : arriver à l’heure, ne parler qu’à son tour et ne pas partir avant la fin dans les réunions, ne jamais manquer un rendez-vous qu’on a accepté, etc., toutes choses reconnues, mais dont on a le tort de s’affranchir au gré de ses commodités personnelles. C’est peut-être ce paragraphe qui est le plus important et qui constitue l’essence même de la méthode, parce qu’il comporte l’adaptation à la réalité des choses et l’observation de l’ordre.

J’ajouterai enfin, spécialement à l’adresse des jeunes et des milieux populaires, qu’il leur manque parfois, je ne dirai pas une qualité, mais une acquisition bourgeoise : savoir travailler avec discernement. Ceux qui sont, comme on dit, des intellectuels, sont surpris de voir la somme de connaissances assimilées par leurs camarades manuels, mais doivent aussi constater les « trous » chez ceux-ci ; ce qui est frappant, par exemple, c’est une instruction déjà notable affaiblie par un manque d’esprit critique et de choix. Je crois donc qu’une des premières choses à faire, dans ce domaine, pour un jeune qui veut jouer un rôle de responsable, est d’apprendre à travailler, à savoir consulter avec fruit un index de bibliothèque eu une table des matières, à dégager la partie qui l’intéresse, sans négliger les parties connexes, mais sans aller toujours jusqu’à avaler le tout.

En somme, je conseillerais de faire précéder l’action, dont les jeunes sont souvent prodigues, par l’observation et la réflexion, puis de ne s’y livrer que dans l’ordre et la méthode. On est souvent obligé de faire autrement, me dira-t-on, et d’aller au plus pressé. Sans doute, pour le temps présent ; mais, tout en pourvoyant aux tâches urgentes actuelles, il faut se préparer à accomplir mieux encore, parfaitement si possible, les tâches futures. Croyez-en un qui regrette de n’en (avoir pas eu toujours le loisir et qui, pour avoir voulu faire ici figure de moraliste, ne s’en sent pas plus fier pour cela !

Collin DELAVAUD, Ceux des Auberges, 15 décembre 1939

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