Ajisme et Cyclotourisme

Jeunes cyclotouristes, mes amis, vous avez déjà entendu parler des Auberges de la Jeunesse.

On dit que l’Ajisme est un mouvement de loisirs des travailleurs, c’est bien. Que les Auberges sont un lieu de rencontre, un nid d’amitié et de fraternité, où les parents aubergistes prodiguent leurs conseils aux plus jeunes moins expérimentés, c’est mieux. Mais que les Auberges de Jeunesses soient placées en pleine nature pour apprendre à la jeunesse à aimer celle-ci et s’éloigner des atmosphères nocives des villes, c’est encore mieux.

Beaucoup de ces auberges sont situées dans des endroits si retirés et si accueillants, qu’il est souvent très difficile de s’y rendre autrement qu’à pied ou en vélo. Je veux parler de ces auberges de montagne, ou de celles cachées dans un décor de verdure, et non de ces auberges de week-end, sises aux alentours des grandes villes, où le train vous descend presque à la porte ! Où soi-disant, par faute d’argent ou de matériel, quelques Ajistes « de nom » viennent s’y retremper le dimanche et y trouver une franche camaraderie, sans prendre la carte et le gros sac qui fait mal aux épaules, sans partir à l’aventure et connaître des horizons nouveaux.

Mais à l’origine, on avait conçu les Auberges comme devant être les gîtes d’étapes, où l’on trouverait après la randonnée pédestre et journalière de 20 à 30 kilomètres, le repos bien mérité, la sécurité, l’accueil cordial du père aubergiste, les compagnons pour la veillée et la route. Et ainsi d’auberge en auberge, on aurait pu au gré de son désir, parcourir des régions encore peu fréquentées, entreprendre des itinéraires, des circuits, comme l’actuel circuit des Alpes, le seul pouvant se faire à pied, de Thonon à Nice.

La guerre est venue arrêter là, cette belle réalisation de circuits, jalonnés d’auberges et de gîtes d’étapes. Notre regretté Léo Lagrange n’est plus pour continuer l’œuvre qu’il avait si bien commencée et, à la Libération, les défauts de crédit et la crise du logement ont empêché de poursuivre, dans tous les coins de France, cette ingénieuse conception.

Nous manquons donc de ces gîtes bienvenus. Les quelques 150 ou 200 que nous possédons, ont poussé un peu partout où les possibilités de location, d’achat et de transformation ont été les plus favorables. Ils sont si éloignés les uns des autres dans certaines régions, qu’il n’est possible de nos jours, de joindre ces petites maisons aux panonceaux verts, jaunes et rouges, qu’en train, auto-stop ou à vélo. Et si l’on désire s’enfoncer plus profondément dans les terres et suivre les sentiers, il faudra emporter la tente et le ravitaillement sur le porte-bagages !

Il faut espérer qu’avec le retour des bicyclettes et des pneus à une vente libre et normale, une baisse de prix plus considérable que la présente, un plus grand nombre d’Ajistes sillonneront les routes et empliront nos belles A. J. de leurs joies et, de leurs chants. Déjà des sections cyclo ont été créées dans certains groupes. Les sorties sont alternées avec des sorties pédestres. Il ne faut pas arrê­ter là ces exemples et compter dans un développement plus important du véritable cyclotourisme, de ces longues flâneries le long des nationales et des cols cyclo-muletiers, par l’ajisme.

Aller plus loin, toujours plus loin, dans la communion avec la nature, grâce à notre petite reine et ses joyeuses pédalées. Apprendre à mieux connaître notre beau pays qu’est la France, apprendre à nous mieux connaître nous-mêmes, à s’estimer.

A cette pénurie d’Auberges de Jeunesse, gérées par une organisation technique qu’est l’U.F.A.J., sont venus s’ajouter depuis un an ou deux, les 250 relais du Mouve­ment Laïque des Auberges de Jeunesse, oui est le mouvement des usagers, relais créés et administrés, sans les moindres subventions d’Etat, que par les seuls efforts per­sévérants, solidaires et pécuniaires, de nos camarades provinciaux. Grâce à eux et à leur travail commun, des jeunes des villes pourront partir en caravanes vers l’air pur, chaque été et nous, Ajistes-cyclistes, nous seront à même de parcourir de nouveaux circuits qui nous permettront de visiter la Sologne, les châteaux de la Loire, le Poitou, l’Auvergne, la Côte d’Azur, le Pays Basque, etc. et y faire l’acquisition de nouvelles connaissances humaines et géographiques.

Par le manque de locomotion suffisante et d’Auberges, les Ajistes se sont adonnés et endurcis à la marche à pied, à coucher sous la tente, à bivouaquer au clair de lune.

Aussi, je n’ai pas besoin de vanter leurs efforts dans ce domaine, puisque je viens d’apprendre que le M.L.A.J. de Lyon vient de remporter la première place du classement par équipes de la grande épreuve pédestre Roanne — Thiers.

Il est un fait, l’Ajiste est un marcheur — par vocation — préparé pour’ la marche. Il n’a pas de vélo, il a des pieds plus économiques, il s’en sert. Les Ajistes ne se recrutent guère aussi, que parmi les marcheurs. L’Ajiste sait souvent faire un sac, graisser une paire de chaussures, monter une tente, mais il sait rarement mener une étape à vélo, entretenir sa machine ou lui demander le meilleur rendement.

Il y a peu de cyclotouristes, parmi les Ajistes. Pourtant les activités du marcheur et celles du cyclotouriste ont des ressemblances et même beaucoup de points communs. N’est-il pas plus agréable de porter le contenu de son sac dans les sacoches de son vélo plutôt que sur les épaules ? Le vélo permet de passer à peu près partout, il permet d’atteindre l’auberge chaque soir et d’éviter de camper parfois ; il peut aussi rester à l’A. J. pendant qu’on rayonne sur les sommets ou les bois d’alentour. Il a l’avan­tage d’étendre considérablement le rayon d’action du ran­donneur.

On peut se demander dans ces conditions, pourquoi l’Ajiste-cycliste est d’une espèce aussi rare. Ce n’est pas seulement une question de pneus. Cet état de choses est plus ancien que la raréfaction de ceux-ci.

Faute de techniciens du vélo, faute de camarades entraînés qui puissent former les autres, les groupes Ajistes s’orientèrent de plus en plus vers les activités de marche et les cyclotouristes s’éloignèrent de plus en plus des clubs ajistes, parce qu’on n’y faisait pas du vélo. Il y a là une carence.

Il faut donc, que dès que les vélos réapparaîtront sur le marché — à un prix abordable au travailleur — les quelques amis qui ont une certaine connaissance de la bicyclette, s’attaquent à la formation des nouveaux, et j’espère revoir, comme cela se passait avant- guerre et mê­me au début de la guerre, des challenges gagnés par les Auberges de la Jeunesse et les Camarades de la Route, parmi les divers brevets, rallyes, concentrations, etc…

Il faut en un mot, que le cyclotourisme ne soit plus un luxe et devienne, aussi bien que la marche, la joie saine du plein air.

 

Maurice FRESCHENGUES. Cyclo Magazine, 15/02/1947

 

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