— C’est « chic » le camp ! mais la sieste… quel délice !… ainsi monologuait Courli Malicieux, alors qu’étendu non loin de sa tente, les bras croisés sous la tête, le chapeau posé sur le visage, il reposait confortablement couché au pied d’un grand peuplier.
Qu’on s’imagine une toute petite clairière presque ronde, isolée du reste du camp par des massifs de coudriers, ombragée par de grands peupliers d’Italie et coupée d’un petit ruisseau qui y apportait gaîté et fraîcheur. L’herbe y était haute et douce, le pied des arbres recouvert d’une mousse épaisse qui valait bien l’oreiller le plus moelleux, bref on s’y sentait chez soi et l’air qu’on y respirait semblait plus pur, plus léger. Les oiseaux eux aussi aimaient la clairière, de nombreux nids le prouvaient.
La chaleur de cet après-midi d’août, quoique tempérée par une brise douce et légère qui balançait lentement les hauts peupliers, incitait nettement au repos, et lorsque le nettoyage des sarros terminé la Chef avait annoncé : Sieste ! Courli avait couru au plus vite vers « son coin » et là, s’était étendu avec volupté à sa place de prédilection. Qu’il faisait bon être là, sans bouger, sans penser, les yeux tournés vers le ciel d’un bleu profond qu’aucun nuage n’altérait.
Non, décidément, on est mieux sur le dos, le chapeau sur les yeux. De cette façon on aperçoit le haut de la tente qui brille, le fanion qui pend sur le tendeur ; un instant encore il s’amuse à voir l’ombre d’une herbe se jouer sur son nez, puis bercé par Je chant du ruisseau et le murmure des feuilles, il laisse son esprit vagabonder vers le camp, vers la ville.
Courli Malicieux était si bien installé, avait le cœur si léger qu’il se sentit pris soudain d’une immense pitié pour tous ceux qui n’ont jamais goûté la joie de cette vie que lui, l’Eclaireur, aime tant. Il détaille leurs vicissitudes et sent le dédain se mélanger à sa pitié. Ce tableau qu’il se fait de ses camarades V. P. lui fait apprécier doublement la vie calme du camp, sa cuisine, ses corvées, ses joies et ses travaux. Brûlé par le soleil et le grand air, regagner sa tente le soir venu, se lever à l’aurore, que désirer de plus ? Courli répondait, énergiquement : rien !
L’averse fait rage, le vent fait sauter les piquets qu’il faut replanter continuellement et l’eau tombe toujours à torrents au moment d’allumer les feux. Le bois mouillé refuse absolument de prendre malgré le souffle puissant des cuisiniers, et trouve même spirituel de fumer, la toile qui abrite les cuisines empêche la fumée de s’échapper et c’est dans un nuage épais qu’il faut évoluer, toussant, pleurant : on essaye d’aérer… et la pluie rentre en trombes ! Naturellement le dîner est affreusement préparé, mal cuit, et avec un arôme… qui rappelle aux campeurs qu’il n’y a jamais de feu sans fumée. On doit servir sous les tentes, les pauvres cuistots qui pataugent, baissent la tête et… allongent la sauce avec la gouttière de leur chapeau ; des Eclaireurs maladroits (il s’en trouve parfois) n’hésitent pas à renverser leur gamelle sous prétexte qu’ils se brûlent, il y en a même un qui, une fois, m’a affirmé que c’était la faute de la table qui était boiteuse ! Dans une tente, il faut du pain, dans l’autre les Eclaireurs réclament de l’eau, quel plaisir tout de même ! et qui prend de l’envergure lorsque les c. p. (chefs de patrouille) ont eu la bonne idée de choisir leur coin de patrouille à deux cents mètres de celui du voisin.
Bonne nuit Courli, mais ne serais-tu pas mieux dans la douce tiédeur de ta chambre, vêtu d’un bon pyjama sec, étendant tes membres fatigués entre des draps bien blancs et fleurant la lavande ? Ce n’est plus la sieste au soleil, ton coin doit ressembler maintenant à un marécage et le ruisselet à un torrent ; le camp, c’est très bien, mais avec le beau temps !
Mais Courli est un optimiste qui nous répond avec sang-froid qu’il a su déjà apprécier les désagréments du camp. Inclinons-nous donc et préparons notre sac pour aller voir s’il a raison.
Fidèle et lent. (La Feuille de Lierre.) — Juin 1931 — Scoutisme