Dans une auberge de la jeunesse – Allemagne – 1936

« Si vous allez à Berchtesgaden, m’avait-on dit à Munich, ne manquez pas de loger à l’auberge de la « Jeunesse ». A cette époque de l’année vous y trouverez sûrement des types intéressants. »

Que de fois sur les routes d’Allemagne n’avais-je pas déjà rencontré ces bandes joyeuses de garçons et de jeunes filles qui, en bicyclette ou à pied et sac au dos partaient sur la route en chantant, gais, sans se soucier du lendemain, ne pensant qu’au bonheur de sortir enfin des murs gris de la ville.

Je savais vaguement que le soir après la rude fatigue du jour ils s’abritaient pour une somme modique dans les auberges de la Jeunesse, mais on connaît en France si peu cette question que je n’en avais jamais visité.

Lorsqu’après vingt minutes de marche sous une pluie battante je pousse enfin la lourde porte du calme hall où ronronne doucement le feu, je comprends déjà vraiment quel lient être le plaisir d’un garçon après une journée de marche de trouver là un abri et un lit

Un jeune homme dégringole l’escalier.

— Ah ! c’est vous le Français. Enchanté. Je suis le directeur, le « père de l’auberge » comme on m’appelle. Munich m’a déjà averti par téléphone. Soyez le bienvenu.

Il ouvre une porte et nous entrons dans une petite chambre où il y a 8 lits métalliques superposés deux par deux, comme dans une cabine de bateau. Par la fenêtre on a une vue magnifique sur les montagnes toutes couronnées de neige.

— C’est que, voyez-vous, m’explique le directeur, nous n’avons guère de place. Berchtesgaden est le pays du Führer, alors des foules entières viennent le voir. Notre auberge est devenue trop petite. On est en train d’en construire une neuve, mais elle ne sera prête qu’en juillet Alors, pour le moment, il faut se tasser.

— Et à combien me reviendra mon séjour ici ?

— Ce n’est pas ruineux. 30 pfennigs, soit 1 franc par nuit et en plus 0,50 pour la location du sac de couchage. Mais il vous faudra prendre vos repas au dehors à moins que vous ne vouliez faire vous-même votre cuisine en bas sur les fourneaux qui sont à votre disposition. D’ordinaire les gens partent le matin et ne reviennent que le soir. A propos, je vous avertis qu’il faut être de retour à dix heures au plus tard.

Quand je rentre, il fait déjà nuit noire. Je trouve tout le monde réuni dans la grande salle autour du poêle. Comme il n’y a pas assez de bancs, il y a du monde sur les tables, d’autres sur les rebords de fenêtres, d’autres par terre. Je trouve enfin une place sur l’escalier.

Le « père de l’auberge » raconte une histoire. Il invente à mesure qu’il parle et l’histoire devient de plus en plus compliquée et sinistre. Il a d’ailleurs un réel talent de conteur. Il parle en mimant son récit et comme il sait que je suis là, il ne manque pas dans son histoire de donner un très beau rôle à un Français.

Ses auditeurs l’écoutent avec une extrême attention. Il y a là environ une centaine de jeunes gens et de jeunes filles de tous les âges, depuis 12 ou 13 jusqu’à 25. A leurs visages bronzés, à leurs jambes nues musclées et brunies par le soleil, on reconnaît des fervents de la route. Mon voisin vient de la Prusse Orientale ainsi que me l’apprend son uniforme. D’autres de Cologne, de Hambourg, de Berlin. Beaucoup connaissent tous les chemins d’Allemagne.

Mais l’histoire est finie. Une jeune fille blonde saisit une guitare et tous commencent en chœur. C’est une musique lente et sauvage. Elle a été écrite autrefois par Walter Flex, le précurseur du mouvement de la jeunesse qui est tombé en 1915 quelque part en Lithuanie à la tête de sa section.

Il est dix heures, et parmi les plus jeunes il y a des têtes qui commencent déjà à s’incliner doucement. On se lève, tout le monde se prend la main. On chante la chanson du soir et l’on se souhaite bonne nuit.

Et en m’endormant je rêve qu’il y a aussi en France des auberges de la Jeunesse où les jeunes qui s’étiolent dans la fumée des villes pourraient se reposer en parcourant leur patrie pour vivre plus heureux et pour la mieux connaître, la mieux aimer.

JEAN PRE. L’Ami du peuple, 29 mai 1936

 

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