Le camping est à la mode et tellement bien même que les snobs s’en sont emparés farouchement.
Il est de bon ton, cette saison, d’aller passer ses vacances sous la tente, comme il l’était, il y a quelque temps, d’aller aux eaux.
Curieux caprice du snobisme. Encore faut-il ici le louer, car ses conséquences ont tant de qualités qu’il est même étrange ou inattendu de voir les hommes se laisser prendre aux prestiges du camping. La nature humaine ne nous a pas habitués à la recherche du bien-être dans le snobisme.
Courir les routes des provinces de France, dans une modeste ou riche voiture automobile derrière laquelle brinqueballe une remorque n’est point encore là le vrai camping, car il y a plusieurs manières de faire du camping.
Ivan Bjarne, écrivain Scandinave et voyageur impénitent, nous fit dernièrement une leçon en deux points : le camping doit se faire à pied, et sac au dos. Pour lui, partir à bicyclette, en auto, en chemin de fer, en canoé, avec, pour bagages, les tentes, les couvertures et autres accessoires, n’est qu’un fallacieux prétexte à ne point se fatiguer tout en gardant l’apparence d’amateur de plein air.
Il nous semble bien qu’il est dans le vrai. Mais…
Mais pour favoriser cette tendance à vivre à même la nature, il ne faut point être exigeant. Disons tout de suite, et pour ne point froisser quelques susceptibilités, qu’il suffit de passer une nuit sous la tente pour être classé parmi les adeptes du camping.
De tous les conseils que donnent les fervents de ce sport — car c’est aussi un sport — il en est qui, même répétés, ne sont point souvent écoutés et retenus.
Ne faites pas comme ces jeunes femmes qui, parties à camper au début de cette saison, avaient emporté, dans leurs bagages, des robes de bal, car, à passer quelques jours dans le Midi, on pouvait également, pensaient-elles, s’offrir le plaisir, entre deux jours de soleil, d’aller en un quelconque casino.
Or, les pauvres ne purent accomplir leur rêve, d’allier au plaisir du camping celui de la ville d’eaux. La pluie, un beau jour, les surprit et leurs sacs de bagages étaient si mal fermés que la pluie entra. Et les robes de bal furent lavées comme jamais put l’être une robe…
Je sais aussi des élégantes qui partent avec des provisions de fards et crèmes impressionnantes.
Mais se préserver contre les intempéries et se maquiller comme à la ville n’est point pareil. Une heure de maquillage, tous les matins, est une heure de perdue. J’imagine assez d’ailleurs les sourires narquois de leurs compagnons quand elles se présentaient, apprêtées et fardées, au milieu d’une nature simple et fruste.
Il faut savoir s’adapter à l’ambiance et refaire, s’il est nécessaire, toute son éducation.
Mais, dites-vous, cela doit coûter cher de faire du camping. Détrompez-vous. Les dépenses que vous engagez pour une année, vous ne serez point obligés de les renouveler les années suivantes. Une tente dure au moins un lustre et vous en aurez une, à double paroi et piquets de duralumin pour 1.500 francs. Ajoutez un matelas pneumatique, un oreiller pneumatique, un sac de couchage et un « duvet » et voilà l’essentiel. Il n’est point exagéré de penser que tout cela ne peut dépasser 2.500 francs.
La première année, deux personnes qui font du camping ne dépensent même pas en un mois, installation comprise, le double d’un mois de pension en un hôtel confortable (40 francs par jour et par personne).
Les autres années, il ne reste à comprendre dans le budget des vacances que le voyage et la nourriture journalière. Or, la vie n’est pas chère dans nos petits villages de France.
On a créé toutes sortes de commodités complémentaires pour assurer le bien-être des campeurs, au moins pour ceux qui ont la jouissance d’une automobile. Regardez, par exemple, la table autour de laquelle sont assis les campeurs de notre première photographie. Elle se plie en deux et se ferme comme une valise. A l’intérieur prennent place quatre chaises légères en métal et en toile. Autres accessoires : une batterie de thermos d’un litre et d’un demi-litre, une forte lampe à essence, une petite casserole en aluminium, plus une menue valise contenant assiettes, gobelets, couteaux, fourchettes, cuillers.
Le campeur-fantassin, si l’on ose risquer cette expression inédite, est naturellement moins bien outillé, car il lui faut porter son « barda » sur le dos. Il chausse de forts brodequins à semelles épaisses et cloutées. Arrivé au gîte, c’est-à-dire à la prairie où il va installer sa tente, il tire de son sac une paire d’espadrilles et remplace ses lourdes chaussures de marche par ces chaussures de repos.
Et j’allais oublier un détail qui a son importance : sur dix campeurs, pédestres ou chauffeurs, cinq ont un appareil photographique, voire cinématographique.
En général, on peut camper partout en France. Il suffit, avant d’installer sa tente et d’allumer le feu, de demander l’autorisation de séjour au maire du village.
Il ne vous en coûtera ordinairement rien, mais si vous êtes charitable, une obole pour les pauvres de la commune ne vous ruinera pas et augmentera la curiosité sympathique et respectueuse que l’on aura pour vous.
Ne campez pas trop près de la grand’route : votre séjour serait gâté par le trafic et la poussière. N’allez pas à l’orée d’une forêt : vous ne pourriez, sans enfreindre les lois et règlements, faire votre feu.
Le mieux est de choisir un pré, près d’une rivière, si vous êtes en plaine. Près de la mer, vous n’aurez que l’embarras du choix, mais craignez les falaises qui, parfois, perdent leur rocaille sur les pauvres piétons qui les longent.
Enfin, dans la montagne, ne choisissez pas l’altitude, mais une vallée calme, bien exposée au soleil et à l’abri du vent.
N’oubliez pas que pour couler des jours heureux et tranquilles il vous faut aussi un ravitaillement rapide et proche. Il est bon d’aimer la solitude, mais il est impossible, dans notre pays, de se nourrir des produits de la chasse ou de la pêche : ayez, à un ou deux kilomètres, un village, un bourg où rien ne manque…
A-t-on fait beaucoup de camping cette année, en France ? Oui, beaucoup. A tel point même que sur certains points de la Côte d’Azur les autorités officielles ont dû intervenir et prier les campeurs de se grouper, au lieu de parsemer la côte de multiples tentes et d’être ainsi, pour tous, un véritable embarras.
On compte environ en France plusieurs dizaines de milliers d’amateurs de camping. Les jeunes gens forment la majorité. Cependant il n’est pas rare de voir camper au bord d’un petit ruisseau ou près de la mer toute une famille dont les plus âgés ne dépassent pas la quarantaine et les jeunes n’ont que quelques ans, timides et chancelants…
On ne peut qu’encourager l’expansion d’une telle pratique saine et riche en conséquences d’ordre physique. Mais encore faut-il également souhaiter que tout abus en soit écarté.
Le Monde illustré – Le 28 aout 1936