Les Auberges de jeunesse – 1938

Si l’on considère le foudroyant développement et l’extraordinaire succès de l’œuvre des Auberges de la Jeunesse en France, on ne regrettera pas trop que ce mouvement ait pris naissance chez nous, à une époque où il était déjà florissant dans la plupart des pays voisins. Sur les quatre mille auberges que groupe l’Union Internationale des Auberges de la Jeunesse, la France, aujourd’hui, à elle seule, en compte cinq cents.

Partout des clubs d’usagers des auberges se forment : en Provence, en Picardie, en Normandie, en Gascogne, dans les Flandres, dans les Cévennes, dans le Dauphiné les auberges de la jeunesse naissent au prix d’efforts admirables. Rien ne semble pouvoir entraver cette expansion, rien non plus ne semble pouvoir en altérer la beauté.

1938 - Construction de l’auberge de jeunesse de la Planche des Belles Filles - Alain Jacquot-Boileau
1938 – Construction de l’auberge de jeunesse de la Planche des Belles Filles – Alain Jacquot-Boileau

Une auberge n’est en général qu’une masure flanquée d’un bout de terrain grand comme un mouchoir de poche, et c’est cependant un lieu idéal pour ceux qui sont avides de joies simples. Les rudes beautés de la nature, tout ce qui contribue à rendre aimables les amitiés qui se scellent au printemps de la vie, le besoin d’air pur et de liberté, la paix profonde des campagnes et des grandes régions inhabitées, toutes ces choses attirent irrésistiblement les jeunes d’aujourd’hui dans les auberges de la jeunesse, et tant de conquêtes suppléent largement au manque de confort.

Le manque de confort est peut-être un attrait qui s’ajoute à tous ceux qui rendent la vie des auberges si attrayante. Il vient, en effet, un temps où tout le progrès des sciences, où toute .la technique du monde échappent à l’individu et lui font entrevoir comme un paradis les images d’une vie toute nue.

Dans un reportage publié en octobre dernier par le Cri des Auberges, Marc Augier, du Centre Laïque, indiquait les différences profondes des règles et des coutumes en usage dans les auberges de jeunesse des pays d’Europe, et il mettait dans la pensée des dirigeants des ligues étrangères les réflexions suivantes : « L’essor de notre Centre Laïque apparaît comme un phénomène dans l’histoire des A.J. Sans doute, vous Français, êtes-vous hésitants, tantôt calculateurs, tantôt irréfléchis ; vous vous laissez dépasser par nous, puis un jour vous prenez le départ et vous allez plus vite que nous et plus loin. Vos usagers sont indisciplinés, mais les nôtres, qui suivent chez nous à la lettre les règlements, jettent un regard d’envie vers vos frontières ajistes et, quand ils vont chez vous, ils se grisent de joie et de liberté. » Ce qu’il est convenu d’appeler maintenant « l’esprit ajiste » n’a pas été dicté par des règlements sévères et de sages leçons de morale ; le code de l’honneur en usage désormais dans toutes les auberges de la jeunesse et dans la plupart des groupes de campeurs est le fruit de l’expérience : cette origine lui garantit une inviolabilité certaine. Si des abus ont pu se produire, mettant en péril la réputation et l’existence même des auberges, il semble bien, qu’on n’ait plus à redouter de graves manquements aux principes de moralité, aux règles d’hygiène et d’honnêteté qui sont les fruits d’une civilisation imparfaite, mais qui conserveront — dût cette civilisation disparaître pour permettre l’éclosion d’une civilisation plus belle — leur valeur propre.

L’esprit qui anime aujourd’hui les jeunes usagers des auberges trouve des défenseurs non seulement dans la foule sans cesse grandissante d’usagers qui s’efforcent de le respecter à la lettre, mais aussi dans la personne d’aînés qui ont conservé toute la jeunesse de leur sang et de leur esprit. Marc Sangnier, Jean Giono, André Chamson, Mmes Grunebaum-Ballin et Hélène Laguerre, Léo Lagrange, ministre des Sports et des Loisirs, bien d’autres écrivains, intellectuels, professeurs, aux noms connus, et les pères et mères aubergistes de partout sont en même temps que de précieux animateurs du mouvement, d’ardents propagandistes. Grâce à leurs efforts, à leurs précieux conseils, à l’aide matérielle qu’ils sont seuls capables de fournir en bien des cas, les auberges se multiplient à un rythme croissant, les adhésions parviennent à un rythme plus rapide encore et, petit à petit, l’ensemble de la population accorde sa sympathie au mouvement. Au début, la méfiance était la règle générale, le campeur était aussi suspecté que le romanichel, on le dévisageait avec curiosité, étonnement, inquiétude ; mais aujourd’hui, dans les campagnes les plus reculées, les ajistes peuvent être certains de trouver une plus grande compréhension. Ils ne sont plus considérés comme des étrangers, mais comme des amis ; leur affabilité, leur bonne humeur leur fait atteindre le cœur de ces êtres simples mais méfiants que sont les paysans. Ainsi se forme un climat nouveau que n’avaient pas su créer les voyageurs de jadis, les touristes aux bagages encombrants, à la parole malhabile. Les ajistes apprennent à connaître les mœurs campagnardes et font connaître la vie des travailleurs des villes, des ouvriers, des employés, des fonctionnaires ; ils démolissent une à une toutes les barrières morales que l’ignorance avait dressées.

Marc Sangnier, entouré de jeunes, dans la cour de l'auberge de jeunesse de l'Epi d'or, à Boissy-la-Rivière, dans les années 1935./Fonds institut Marc Sangnier
Marc Sangnier, entouré de jeunes, dans la cour de l’auberge de jeunesse de l’Epi d’or, à Boissy-la-Rivière, dans les années 1935./Fonds institut Marc Sangnier

Dans l’auberge même, l’ajiste apprend insensiblement à vivre autrement qu’il ne l’a fait jusque-là. Il lave sa vaisselle, fait son lit, balaye, astique, il va au marché, au boulanger, à la fontaine, toutes choses qu’il n’est jamais juste de confier à d’autres, fût-on licencié en droit. Mieux ! il trouve dans ses petits travaux une détente précieuse.

Tous les jeunes gens, toutes les jeunes filles peuvent et doivent devenir ajistes. Au Centre Laïque des Auberges de la Jeunesse vous pouvez vous inscrire sur la simple présentation, d’une carte d’identité, la remise de deux photographies et de la modique somme de quinze francs. L’équipement est assez coûteux, mais vous n’êtes pas tenus de tout acheter à la fois. Les sacrifices d’argent que vous consentirez vous seront bientôt remboursés au centuple. Vous deviendrez physiquement plus résistants que vous ne l’avez jamais été, vous supporterez mieux le froid et la chaleur, les fatigues viendront moins vite, aucun sport ne vous fortifiera autant que les longues marches, les escalades, les ascensions que vous ferez en commun avec vos camarades des A.J.

Moralement, vous ne pourrez que bénéficier de vos séjours aux auberges où vous sentirez toujours la chaude sympathie de camarades qui vous feront le meilleur accueil ; la plupart d’entre eux aiment ce que vous aimez : la nature, les exercices physiques, la joie, les livres, la musique, le théâtre, la vie.

Nos aînés, qui bien plus que par la lecture de ces lignes se laisseront attendrir par la vue des longs cortèges d’ajistes qui sillonnent nos grandes routes et regretteront de ne pouvoir se mêler à leurs rangs, peuvent chercher une consolation dans l’aide qu’ils sont à même de nous apporter. Qu’ils pensent bien que l’œuvre des Auberges de la Jeunesse est la plus morale et la plus libératrice qui ait jamais été entreprise.

Quant aux pouvoirs publics, quant aux hommes de gouvernement, aux chefs des administrations locales, aux agents de ces administrations, il n’est pas superflu de leur adresser un appel plus pressant encore. Si l’on songe aux faibles moyens matériels utiles à l’aménagement d’une auberge de la jeunesse, on verra que dans ce domaine leur pouvoir est énorme. Eux seuls peuvent nous les procurer. Mais il faut surtout faire appel à leur compréhension. Combien de maires, combien de gardes champêtres s’arment de toute leur rudesse quand ils ont à répondre à une demande adressée par des ajistes. Combien ignorent leurs besoins cependant modestes, combien sont en retard sur l’esprit de leur époque et interviennent mal à propos ou hors de propos. A ceux-là nous demanderons un petit effort de bon sens : pourquoi s’entêtent-ils puis-qu’ils sont incapables d’arrêter la marche invincible des jeunes qui vont au-devant de la vie !

Joos – 3 janvier 1938 – L‘Œuvre

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