Le juvénilisme fut avec le féminisme un facteur important du changement social au XXe siècle. Il a permis à la jeunesse, catégorie sociale émergente dans le cadre des sociétés industrielles naissantes, d’affirmer sa spécificité et de trouver sa place. Comme tout mouvement social, le juvénilisme a présenté des visages différents selon les sociétés et selon les moments. Le présent ouvrage retrace son histoire en Allemagne, entre le début du XXe siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, et montre que les avatars du mouvement, depuis ses débuts néoromantiques, jusqu’à la débâcle de 1945, reflètent les bouleversements qui ont secoué l’Allemagne durant ce demi-siècle et changé progressivement les rapports entre la société et la jeunesse. Considérée par certains comme un possible recours contre la catastrophe qui menaçait l’Allemagne à la fin des années 1920, la jeune génération porteuse du message juvéniliste ne sut pas répondre à cette attente et eut aussi, par son utopisme, sa part de responsabilité dans l’arrivée au pouvoir du national-socialisme et dans le désastre final.
Extrait:
Sous le titre La Tragédie de la jeunesse allemande, Ernst Erich Noth, jeune écrivain allemand exilé en France, entreprit en 1934 de dire à l’opinion publique française et mondiale la vérité sur les malheurs qui avaient frappé l’Allemagne – et plus particulièrement sa jeunesse – avec l’arrivée au pouvoir du national-socialisme. Le livre, écrit en allemand, fut publié en traduction française dans une collection dirigée par Jean Guéhenno chez Bernard Grasset.
L’auteur ne se proposait pas seulement de contrer les mensonges de la propagande officielle en donnant un tableau véridique de l’Allemagne en train d’être façonnée par la dictature nazie, il voulait surtout mettre l’accent sur le rôle essentiel et ambigu de la jeune génération allemande, à la fois responsable et victime de l’évolution tragique de son pays. Il montrait comment les espoirs et les illusions de la jeune génération avaient été anéantis par les épreuves de la Première Guerre mondiale, par les troubles politiques de l’après-guerre et surtout par la crise économique et politique de la fin des années 1920, poussant des millions de jeunes Allemands dans le camp des partis extrémistes et en particulier dans les rangs nazis :
Seule une fraction réduite, numériquement presque insignifiante, de la jeune génération était restée fidèle à la république de Weimar, tandis qu’une majorité écrasante avait misé sur les partis extrêmes, sur la solution révolutionnaire, mieux adaptée que les compromis à l’état d’esprit de la jeunesse.
Cette évolution, selon E. E. Noth, avait été d’autant plus tragique qu’elle avait mis fin à ce « mouvement de la jeunesse allemande » qui cherchait sa voie par soi et en soi, conformément à l’âge de la vie qu’elle représentait ; cette grandiose tentative d’émancipation aboutit à un échec, de même que fut réfutée l’affirmation touchant la valeur intrinsèque de la jeunesse.
Le mouvement dont parlait Ernst Erich Noth c’était le « Mouvement de la jeunesse » (en allemand : Jugendbewegung),un phénomène unique apparu en Allemagne au début du xxe siècle et qui a laissé une empreinte durable sur la société allemande de la première moitié du siècle. Il ne faut pas le confondre avec un simple « mouvement de jeunesse », bien que l’allemand utilise le même terme pour désigner deux réalités très différentes : d’une part, il peut comme en français, désigner un mouvement de jeunesse, c’est-à-dire n’importe quelle organisation dont l’objet principal est de regrouper selon divers critères, en vue d’activités et d’objectifs variables, des filles et des garçons, dont la principale caractéristique commune est leur jeune âge. Mais, d’autre part – et en Allemagne seulement –, à ce sens premier est venu s’ajouter à partir de 1910-1913 un autre, à la fois plus vaste et plus difficile à cerner : dès lors, lorsque le terme Jugendbewegung était utilisé avec seulement l’article défini die,éventuellement assorti de l’adjectif deutsch, il ne désignait pas une organisation particulière, mais un vaste mouvement englobant une multitude d’organisations de jeunesse qui – malgré leurs différences en matière de recrutement, de fonctionnement et d’objectifs – considéraient qu’elles étaient des manifestations d’un même phénomène.
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