Noël, fête de la joie, que les hommes de toute race célèbrent en même temps dans toutes les parties du monde, les uns sous la neige, d’autres sous un soleil tropical, chacun dans leur langue, et cependant tous unis dans la célébration d’un même anniversaire !
Parmi tous les Noëls que j’ai vécus, je ne peux détacher mon souvenir de l’un d’eux : paysage de neige tout blanc sauf de grandes taches noires en étoile, entourant chaque trou d’obus, le 25 décembre 1917. Nous avions balayé la tranchée, garni l’entrée des abris de branches de sapin, afin que, malgré tout, ce jour-là ne fût pas un jour comme les autres. Les canons se taisaient. Dans la tranchée d’en face, à vingt-cinq mètres de nous, les soldats allemands chantaient des chants de Noël.
Au moment où j’écris ces lignes, j’ai devant moi une lettre écrite par un enfant de sept ans, d’une grosse écriture qui tremble et où l’on sent l’effort que représente chaque signe tracé. Le texte tient en deux lignes : « Je ne pense pas qu’il y aura la guerre. » La lettre est datée du 28 septembre 1938.
Je voudrais vous parler encore d’autre chose, évoquer les joyeux Noëls d’autrefois, les réveillons pleins d’allégresse, les cloches sonnant dans la campagne. Je ne le puis. Noël, c’est un message, précisément le même message qu’essayait d’exprimer cette lettre maladroite, un message apporté par des anges à des bergers sous le ciel de Palestine, il y a mille neuf cent trente-huit ans : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. »
Dans l’église Sainl-Gervais, à Paris, se trouve un vitrail datant du XVIe siècle, et qui est peint avec d’exquises couleurs. On y voit un berger assis surf l’herbe tandis que son chien fait le beau devant lui, il s’interrompt de jouer de la cornemuse et relève la tête pour considérer l’ange qui dans la pointe du vitrail lui annonce la bonne nouvelle, à lui ainsi qu’à deux autres bergers qui sont debout à droite et à gauche et qui écoutent avec ravissement le message céleste. À leurs pieds, dans l’herbe très verte, des moutons paissent.
Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! C’est la définition de l’idéal des scouts. Avant tout, le secourisme est une fraternité.
J’ai rencontré dans la vie bien souvent des scouts que je ne connaissais pas, qui ne me connaissaient pas. Nous étions parfois l’un et l’autre en habits civils et n’avions pour nous reconnaître qu’un insigne à notre boutonnière. Cependant, dès les premiers mots, nous sentions qu’il y avait entre nous un lien qui effaçait les différences d’âge, de milieu ou de langue. Nous avions une Loi commune qui nous dictait à l’un et à l’autre la même « bonne volonté ».
« La seule fondation saine sur quoi l’on puisse bâtir, a écrit Baden-Powell, est un esprit d’amour et de bonne volonté entre les peuples. Cela pourrait sembler pure rêverie d’utopiste, bonne tout au plus à être tournée en ridicule, si l’expérience faite avec le Mouvement des Scouts et des Guides n’avait déjà démontré (sur une échelle modeste, il est vrai) que ce n’est peut-être pas impossible. »
Et Baden-Powell rappelle que chez neuf millions de jeunes répartis dans quarante-deux pays, le scoutisme a répandu un esprit d’amitié et de bonne volonté mutuelle.
Neuf millions, n’en déplaise à la modestie du fondateur du scoutisme, ce n’est certes pas un chiffre négligeable. Mais la valeur d’un chiffre en soi n’est rien. Ce qui compte, c’m l’esprit dont sont animés ces neuf millions de jeunes.
Une belle coutume des scouts, c’est la B. A. (la bonne action) de Noël. Chaque troupe de scouts sc fixe ce jour-là une bonne action à accomplir en commun : apporter un arbre de Noël à une famille dans la misère, rendre visite à un malade. Bref, de quelque façon que ce soit, chaque scout doit être ce jour-là un messager de joie. Mais la plus belle B. A. des scouts, celle que tous en commun peuvent réaliser, c’est de travailler pour la paix.
La paix entre les peuples, cela nous paraît une grande chose si lointaine, si difficilement réalisable dans le présent. Mais les grandes choses 11c se font que par les efforts réunis de millions et de millions d’hommes.
Vous connaissez ce « slogan » d’une huile d’automobile : « l’huile dont chaque goutte compte ». II en est de la paix entre les hommes comme de celte huile. Chaque effort individuel, chaque bonne volonté individuelle compte. La fidélité apportée par chaque scout à suivre sa Loi, la même pour tous les scouts du monde, c’est une tâche précisé, à la portée de chacun.
Frère Gris.
Jeunesse magazine, 25 décembre 1938