Une « visite » à M. Léo Lagrange…
Avant de partir, je ne manquai pas de demander une audience à celui que d’aucuns appellent « L’Ami des usagers des auberges de la jeunesse » : M. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’Etat aux Sports et aux Loisirs.
M. Léo Lagrange reçut très aimablement le représentant de Match.
En l’écoutant m’exposer tout le bien qu’il pensait des auberges de la jeunesse, j’eus la très nette impression qu’il méritait parfaitement l’estime en laquelle le tiennent de si nombreux habitués de ces auberges.
M. Léo Lagrange s’est rendu compte, par lui- même, de ce que c’était qu’une auberge de la jeunesse, une « A. J. * comme l’on dit plus couramment, et de tout ce qu’une semblable réalisation comportait d’intéressant pour les jeunes. Il ne s’est pas contenté de lire des rapports ; il a tenu à se déplacer directement, à participer, en personne, à différentes cérémonies d’inauguration, comme ce fut le cas dernièrement, par exemple, à Dammartin-sur-Tigeaux où sa présence fut saluée avec enthousiasme par des centaines d’usagers. Il est venu, il a vu et il est bien décidé à vaincre ! Souhaitons, pour les jeunes, qu’il puisse avoir le temps suffisant pour venir à bout de la routine, de la force d’inertie ou du manque d’initiative de tous ceux qui pourraient faire obstacle ou essayer de faire obstacle à la vulgarisation toujours plus grande des A. J.
« Je tiens, nous expliqua-t-il, la création des A. J. comme l’un des mouvements de jeunes les plus intéressants qui existent à l’heure présente. Grâce aux A. J., les jeunes de toutes conditions peuvent mener une vie simple et saine. Et puis, comme vous le constaterez certainement au cours de votre reportage, il existe dans les A. J. un esprit de camaraderie vraiment remarquable qu’il convient de signaler particulièrement.
« J’ajoute que le développement des A. J. ne peut que favoriser le tourisme. Or, notre pays est si bien partagé au point de vue du tourisme que les usagers n’ont que l’embarras du choix. Ah ! si nous pouvions avoir un réseau d’un millier d’A. J. nous aurions la possibilité de mettre sur pied toute une série de déplacements extrêmement intéressants pour tous les jeunes désireux de mieux connaître leur pays, et cela dans des conditions très avantageuses !
— Monsieur le Ministre, on m’a signalé qu’il y avait, en France, plusieurs organisations d’A. J. L’union entre ces différents centres est-elle complète ?
— Puisque vous venez de prononcer le mot d’ « union », je tiens à vous dire que je voudrais justement réaliser une union véritable entre les centres en question. Il faudrait, en quelque sorte, créer une fédération mère qui grouperait les différentes associations. Il faudrait réaliser l’union afin que tous les usagers puissent bénéficier de toutes les installations existantes. C’est là un projet qui est à l’étude et auquel, je ne vous le cache pas, je m’intéresse particulièrement. »
Tous les amis sincères des A. J. ne pourront qu’applaudir à cette déclaration de M. Léo Lagrange. ” L’union fait la force » répète-t-on fréquemment. Cette devise, chère à nos amis les Belges, est profondément juste. Malheureusement, trop souvent, les hommes la veulent ignorer. Puissent les différents organisateurs d’A. J. ne pas tomber dans les mêmes errements, à ce sujet, que d’autres réalisateurs !…
En effet, on ne peut que souhaiter que les A. J. connaissent un développement de plus en plus marqué en France. Ainsi que j’ai eu l’occasion de le constater au cours de ce reportage, les A. J. et tout ce qui s’y rapporte exercent une grande influence tant sur le physique que sur le moral des usagers. Ce qui m’a le plus frappé, assurément, c’est bien la camaraderie qui règne dans ces auberges. Je crois que c’est là le caractère principal à souligner quand on traite des A. J.
Qu’est-ce donc qu’une auberge de la jeunesse ? !
Mais qu’est-ce donc qu’une auberge de la jeunesse ? Pour employer la définition donnée par la » Ligue française pour les auberges de la jeunesse » qui fut la première à s’occuper, en France, des A. J., nous dirons qu’une Auberge de la jeunesse « est essentiellement un gîte temporaire ou permanent où, pour une somme modique, les jeunes peuvent trouver un abri. »
« Le type d’une auberge de la jeunesse est infiniment souple, depuis l’auberge complète, comprenant : dortoirs, salles de douches, restaurant, cuisine pour ceux qui veulent préparer leurs repas eux- mêmes, salles de séjour, bibliothèque, terrains de sport, etc., jusqu’au petit gîte primitif composé d’un ou deux dortoirs avec quelques lits de camp, un robinet pour les ablutions et une grande cheminée où faire chauffer les gamelles…
« Les trois éléments essentiels qu’il faudra réunir pour créer une A. J. sont les suivants : un local ; un « Père » ou une « Mère » aubergiste ; quelques fonds pour l’achat ou la mise en état du matériel et le lancement de l’œuvre… Acheter ou louer un local est une solution difficile, au début d’une œuvre. L’Auberge, une fois lancée, couvrira tout juste ses frais ; dès lors, impossible d’assurer le loyer ou l’amortissement. La meilleure solution est donc d’utiliser un local donné, ou prêté gratuitement, soit par un particulier, soit par une Association, soit par une Municipalité ou, plus généralement, par les pouvoirs publics…
« Il convient d’insister sur la nécessité de choisir des « Parents aubergistes », capables et sûrs. Ce sont, en effet, eux qui donnent le ton à l’A. J. Celle-ci vaudra ce que ceux-là vaudront. Ils sont l’âme de l’A. J… En aucun cas, les Parents aubergistes ne devront considérer leurs fonctions comme une entreprise commerciale. »
L’organisation des A. J. en France
Actuellement, en France, il existe trois groupements d’auberges de jeunesse : La Ligue française pour les Auberges de la jeunesse, 34, boulevard Raspail, à Paris, fondée la première en date par Marc Sangnier ; Le Centre laïque des Auberges de jeunesse, 1, rue de l’Ave-Maria, à Paris ; enfin, Les Auberges du Monde nouveau, 237, rue La Fayette, à Paris, dont le président est Jean Giono. Dans les deux premiers groupements, toutes discussions politiques et religieuses sont interdites. C’est là une excellente décision, une mesure dont il convient de se réjouir ! En effet, grâce à elle, la camaraderie, les bons rapports ne peuvent qu’être facilités entre usagers n’ayant pas toujours, et cela se conçoit aisément, la même opinion, les mêmes sentiments, la même façon de penser. Au cours de mes « stages » dans différentes A. J., j’ai apprécié particulièrement l’accueil fraternel qui me fut réservé, comme il l’est d’ailleurs à tout nouvel arrivant. En eût-il été de même si dame Politique avait eu droit de cité ? Sincèrement, je ne le pense pas !
J’approuve donc pleinement M. Marcel Moreau quand il écrit dans le bulletin du Centre laïque « Tolérance, camarade, tolérance dans tes propos, tolérance dans tes attitudes envers ceux qui osent ne pas penser comme toi. Surtout tolérance envers ceux qui, ne désirant nullement prendre part à tes polémiques, subissent tes paroles… Camarade, ne prends pas l’Auberge pour un club politique. L’Auberge n’est pas faite pour décrier tel état de choses ou pour entretenir de petites discussions mesquines, mais pour nous mieux unir, nous, les jeunes, qui voulons essayer de tout comprendre, pour tout aimer. Ce n’est pas le mépris, encore moins la haine, que l’on doit y trouver, mais l’amour fraternel. Camarade, ne rends pas le séjour de l’Auberge intolérable pour certains. Pas de grandiloquentes discussions politiques à l’Auberge, mais des rires, des chansons, de l’amabilité, de la camaraderie. C’est ce que certains viennent y chercher. Il ne faut pas que ces réfugiés qui fuient les petitesses de la vie ordinaire retrouvent chez nous les mêmes sentiments coléreux auxquels ils veulent échapper ! »
Les cotisations annuelles pour les trois associations citées précédemment oscillent entre 10 et 15 francs, suivant l’âge de l’adhérent. Quant aux prix du séjour dans les auberges, ils varient eux aussi et sont également des plus démocratiques, ainsi que j’ai pu m’en rendre compte personnellement. En effet, ils sont de l’ordre de 2 à 4 francs par nuit. Pour les usagers désirant prendre leurs repas tout préparés, les trois repas coûtent de 7 à 12 francs, en moyenne.
En résumé, la journée complète dans une A. J. revient donc à 16 ou quelquefois 18 francs au maximum. Dans certaines auberges, l’usager ne dépense pas plus de 10 francs !
On peut donc espérer que les jeunes ouvriers et petits employés et les étudiants viendront de plus en plus nombreux passer, chaque semaine, quelques heures aussi agréables que profitables dans les A. J., et faire, grâce aux relais qu’elles constituent, de l’excellent tourisme. Ils n’en retireront que des avantages certains, tant au point de vue du physique que du moral.
Jeunes ouvriers et employés, venez plus nombreux aux A. J. !
Jusqu’à présent, la plus grande partie de la clientèle » des A. J. était constituée par des étudiants et des instituteurs. L’élément dit ouvrier n’était pas aussi nombreux qu’on le pouvait souhaiter ; de même pour ce qui est des petits employés… Or, maintenant, il y a du nouveau : les « accords Matignon ». Voilà qui devrait permettre aux jeunes ouvriers et employés de faire plus amplement connaissance avec les A. J. et, par suite, avec leurs habituels usagers. Cette fusion, cette union des classes est particulièrement souhaitable à notre époque où les esprits ne sont pas toujours aussi calmes qu’il se devrait !…
Actuellement, on compte près de 400 A. J. en France. Ce n’est pas encore assez ; c’est même très insuffisant si l’on fait, par exemple, la comparaison avec certains pays comme l’Allemagne où les A. J. sont au nombre de 2.200. Il est vrai que c’est en Allemagne que la première A. J. fut créée. Cela remonte à… 1910. Un instituteur, Richard Schirrmann, eut le mérite de faire ouvrir, à Altena, la première Auberge de la jeunesse. Depuis, un grand chemin a été parcouru ! La preuve en est que, présentement, le réseau international des A. J. compte quelque 5.600 auberges ! Le dernier Congrès international des A. J. se tint, en 1935, à Cracovie. Au premier repas en commun on put noter la présence des délégués de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la Belgique, du Danemark, de Dantzig, de l’Ecosse, des Etats-Unis, de la France, de l’Irlande, de la Hollande, du Luxembourg, de la Pologne, de la Roumanie, de la Suisse, de la Tchécoslovaquie.
Le Congrès de cette année se tiendra, en septembre, à Copenhague. Quant à celui de 1937, il aura ses assises en France. On peut être certain qu’à cette époque le nombre des A. J. dans notre pays sera considérable. En effet, chaque mois, il s’en crée de nouvelles.
Actuellement, c’est le « Centre laïque des A. J. » qui en possède le plus. En juin 1933, le C. L. A. J. contrôlait seulement… 5 auberges ; en 1934, 40; en 1935, 86, et maintenant, il en compte plus de 200 !
Quant à la Ligue française pour les A. J., dont la première auberge-celle de l’Epi d’or, à Boissy-la-Rivière, par Etampes (S.-et-O.) – fut créée en 1929 par Marc Sangnier, elle contrôle présentement près de 150 A. J.
Enfin, nous croyons savoir qu’un autre groupement — ce sera donc le quatrième en France — va, lui aussi, s’occuper des A. J. et apporter à ce magnifique mouvement une aide puissante…
Souhaitons, oui souhaitons, qu’ils soient de plus en plus nombreux ceux qui voudront bien « entendre » cet émouvant « message » de Richard Schirrmann :
« Chaque forêt, chaque plaine, chaque fleuve, chaque montagne, chaque village et chaque ville sont des pages détachées de votre patrie. C’est avec elles qu’il faut vous familiariser, et non pas seulement par la lecture. Le domaine est très vaste. Il faut acquérir la connaissance de votre patrie en la parcourant de préférence à pied, malgré le chemin de fer, le bateau, l’auto et l’avion. Le voyage à pied vous familiarise avec le détail des choses et c’est la plus précieuse des joies sur notre planète. C’est pour cela que nous bâtissons des auberges de la jeunesse dans les campagnes.
« Mais voyagez aussi au-delà des frontières de votre pays, allez chez les peuples voisins et apprenez à connaître à fond et à estimer les pays et les gens qui ont une autre langue.
« Pour cela, pays voisins et amis, bâtissez également des auberges de la jeunesse et ouvrez-les à toute la jeunesse du monde comme foyers de la paix, pour le bonheur de l’humanité. »
Ph. Encausse. Match, 18 aout 1936
1936-08-18_Match_ Connaissez-vous les A.J.