D’aucuns prétendent que l’ajisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui diffère totalement de celui d’hier. Un tel jugement nous parait quelque peu sommaire, sinon excessif. Bien sûr, les ajistes de maintenant ont beaucoup changé par rapport à leurs aînés d’il y a trente ans. Ils n’ont plus tant la ferveur et l’enthousiasme des « purs » d’alors qui s’en allaient à pied, en bandes joyeuses par monts et par vaux, sac au dos et en chantant. Pour eux, l’auberge de jeunesse était, selon Marc Sangnier, une porte ouverte au bord de la route, un lieu de rencontre permettant une grande camaraderie, où tout le monde était accueilli en ami. Motos, autos, avions charters et tourisme de masse ont beaucoup contribué à changer le comportement et la psychologie de nos ajistes. Ces derniers pratiquent généralement l’autostop ou se déplacent dans leurs propres autos plutôt que de se servir de grosses chaussures à clous ou de simples bicyclettes. D’ailleurs, la circulation automobile de plus en plus intense et dangereuse ne permet plus de cheminer insouciant, comme un Bohème, sur les routes. Grâce à l’utilisation de véhicules à moteur, les ajistes se déplacent plus rapidement et peuvent élargir toujours davantage leurs itinéraires et visiter les contrées éloignées qu’ils ne pouvaient atteindre à pied ou à bicyclette. C’est ainsi que les ajistes ont perdu leurs habitudes de « randonneurs » (Wanderer) et se sont mues en touristes qui voyagent, (Reisender) pour connaître le monde. Une enquête a été faite, l’an dernier, dans un certain nombre d’auberges allemandes pour savoir quelle importance les jeunes attachent au « Wanderer ». Dans l’ordre des réponses reçues, il vient en cinquième place, après les divertissements, les Beat-Partys, les danses et les sports.
Comment les jeunes considèrent-ils l’auberge de la jeunesse ?
D’après un sondage réalisé en 1964, pat l’association néerlandaise des A.J. la majorité des ajistes hollandais questionnés considéraient l’auberge de jeunesse comme une institution démodée, inconfortable, trop stricte et ne répondant plus aux exigences modernes des jeunes. 32% trouvaient les parents aubergistes trop autoritaires. Pour bon nombre d’ajistes de certains pays, l’auberge est un gîte sûr et bon marché où l’on arrive le soir, en quête d’un repas et d’un lit, et que l’on quitte le lendemain, pour aller plus loin. Il est certain que la modicité des prix des auberges constitue une vraie aubaine et l’un des plus importants facteurs d’attraction pour les ajistes étudiants et jeunes ouvriers qui ne disposent généralement que d’un faible budget de vacances. Notons à ce propos que la nuitée dans les auberges luxembourgeoises coûte 25 fr., le petit déjeuner 20 fr. une tasse de cafe 5 fr., un repas complet avec dessert 55 fr. Ces prix sont, dans l’ensemble, à peu près, les mêmes dans les auberges allemandes, françaises, néerlandaises et belges.
En ce qui concerne l’évolution du confort dans les auberges, on constate que les gouts et les exigences de la masse des jeunes ont beaucoup changé. Tandis que leurs ainés se contenaient d’un à peu près en cette matière, les ajistes de maintenant désirent disposer d’installations modernes et confortables, présentant un aspect sympathique aussi bien extérieurement qu’intérieurement. Ils n’aiment pas la vétusté. Ils veulent avoir moins de dortoirs considérés comme des taudis de vacances, mais plus de chambres séparées de 2 à 4 lits au maximum, un foyer de réunion et surtout des équipements permettant de pratiquer certains sports et disposer de parkings. De telles installations ont déjà été réalisées notamment dans les pays Scandinaves, en Allemagne de l’Ouest, de même qu’en Angleterre et en Ecosse. De sérieux efforts dans cette voie sont aussi en train de se faire en France, ainsi qu’en témoigne le Livre Blanc édité par la Fédération-Unie des Auberges de Jeunesse de France. Signalons encore l’initiative prise par l’Association italienne des A.J. qui a fait aménager en auberges de jeunesse un grand nombre de châteaux et de villas. On en compte actuellement une soixantaine totalisant 5 000 lits. Certaines sont très modernes et peuvent loger des centaines de personnes ; tandis que d’autres plus petites, n’en peuvent recevoir que quelques dizaines. Ce sont surtout ces dernières qui ont pu garder intact leur aspect original et leurs murs séculaires, grâce à de minutieux travaux de restauration. Mais ce n’est pas seulement la modernisation des moyens d’hébergement, c’est aussi le système de règlement intérieur des auberges qui préoccupent les jeunes. Ce règlement leur parait retrograde et trop contraignant. La fermeture des auberges à partir de 22 heures, la discipline de pensionnat, l’interdiction de fumer à l’intérieur de l’Auberge, la defense de stationnement des voitures et motos sur le terrain de l’auberge, sauf autorisation spéciale des P.A. telles sont les dispositions réglementaires qui rebutent le plus les artistes. Ils reclament instamment l’assouplissement de cette réglementation qu’ils qualifient d’anachronique.
Notons que la majorité des délègues à la dernière conference de la Fédération Internationale des A.J. s’est prononcée en faveur d’un assouplissement à condition cependant que « soient maintenus en vigueur les principes éducatifs essentiels qui ont régi le mouvement des auberges de jeunesse pendant la premiere moitié de ce siècle. » Toutefois, il ne suffit pas d’assouplir cette réglementation, encore faut-il, dans certains cas, reconvertir la mentalité des parents-aubergistes. Une telle reconversion ne peut qu’améliorer les rapports de ces derniers avec les jeunes filles et garçons chevelus et en blue jeans plus ou moins délaves, dont le comportement peu con- forme aux bons usages du temps passé choque maints parents-aubergistes.
Mais quelle que soit la méthode que l’on adopte pour la modernisation et le fonctionnement des auberges, rien ne peut être fait sans argent, pas même la prolongation des heures d’ouverture des auberges dans les villes, qui exige l’engagement d’un personnel special et coûteux. Il faut surtout des moyens importants pour la construction de nouvelles auberges, ainsi que pour la renovation des auberges existantes. En outre, la multiplication des services de distraction qu’exigent les jeunes requiert un équipement très onéreux. Et tout, les frais de gestion normaux ne font que s’accroître d’année en année.
Aussi, sans l’intervention financière des pouvoirs publics, bon nombre d’associations nationales ont du mal à boucler leur budget et cela, maigre le relèvement des prix d’auberge auquel beaucoup ont dû recourir, ces derniers temps. C’est pourquoi aussi, certaines associations cherchent à améliorer la rentabilité de leurs auberges en étendant l’utilisation de ces dernières pendant les périodes creuses de l’année. Elles mettent leurs installations à la disposition de groupements scolaires et autres qui sont à la recherche de locaux pour des sorties, des journées éducatives et même pour des vacances actives.
Notons que le système des vacances actives connait un succès croissant depuis quelques années. L’on sait que dans de nombreux pays, des jeunes consacrent une partie de leurs vacances à des activités de restauration de monuments, à des fouilles archéologiques, à la mise en valeur de sites et à la conservation de la nature. Après leur travail, ces jeunes se rendent dans les auberges pour y loger, prendre leurs repas et se distraire entre eux. Cette polyvalence d’utilisation des auberges ne manquera pas de contribuer à l’amélioration de leur situation. On voit que technologiquement parlant l’auberge de jeunesse tend à devenir, par la force des choses, un hôtel de jeunesse.
Letzeburger Land, 29 octobre 1971