Un souffle bienfaisant d’esprit national, de nouveau, vivifie la France, De toutes parts, on constate un sincère effort d’union en faveur des œuvres propres à assurer l’avenir du pays. C’est cette union qui a permis le grand, succès de la souscription en faveur des aéroplanes. Il est un autre domaine où le même concours de bonnes volontés, venant d’hommes de tous les partis, pourrait rendre à la nation un autre mais très grand service.
Nos lecteurs connaissent ce que sont les Boy Scouts en Angleterre.
Le 28 juillet 1909, le Petit. Journal, toujours à l’avant-garde, a fait connaître pour la première fois en France la remarquable organisation de jeunes gens créée en Angleterre, par le général Baden-Powell sous le nom de Boy Scouts. Aujourd’hui, de l’autre côté de la Manche, les Boy Scouts sont près d’un demi-million. Au milieu des amertumes de l’heure présente, ils constituent pour l’Angleterre une puissante réserve d’espoirs, car ces jeunes Anglais, que le scoutisme a rendus vigoureux, bien armés pour la vie, d’une moralité solide et profondément dévoués à leur patrie, exerceront certainement une influence bienfaisante sur l’avenir de la Grande-Bretagne.
Comme on sait, le scoutisme est basé sur les trois observations pratiques suivantes :
La plupart des jeunes gens sont séduits par les récits de la vie active des explorateurs ou des cow-boys du Far-West américain. En France, le succès des romans : Bas-de-Cuir le Dernier des Mohicans, etc., qui ne s’épuise jamais, est une preuve que le même état d’esprit anime notre jeunesse.
D’autre part, les sports en plein air plaisent généralement aux jeunes garçons.
Enfin, on obtient beaucoup d’eux au point de vue moral si l’on fait appel au respect de la parole donnée.
Le scoutisme (de scout, en anglais, « éclaireur », homme de frontière, bon observateur aux sens exercés et au cœur vaillant) résulte de la combinaison ingénieuse des idées suggérées par ces constatations. Le scoutisme permet aux jeunes gens, munis d’un uniforme pratique qui rappelle celui des Boers et des cow-boys, de mener, quand ils le veulent, même aux alentours de nos cités les plus modernes, une vie qui, par certains de ses aspects, est analogue à celle des trappeurs coloniaux du Far- West américain.
Ils apprennent à connaître pratiquement les plantes, les arbres, les animaux, à courir, à nager, à construire un radeau, une hutte, à retrouver et à suivre une trace, à s’orienter le jour et la nuit, à faire la cuisine en plein air, à bivouaquer, à soigner les blessés, à éteindre les incendies. En outre, le scout doit agir conformément aux règles de l’honneur formulées en un bref serment et un code très court qui constituent ses règles de conduite dans toutes les circonstances de la vie.
Tel est, en résumé, le scoutisme.
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Or, la valeur, du scoutisme n’est nullement limitée, comme on pourrait le croire, aux pays anglo-saxons. On compte maintenant les scouts par milliers en Russie, en Allemagne, dans des pays latins comme l’Italie et comme l’Argentine. C’est pourquoi, convaincu de la nécessité de faire bénéficier nos jeunes gens des avantages matériels et moraux que donne incontestablement le scoutisme à tous ceux qui le pratiquent, un groupe de Français vient de fonder la société : les Eclaireurs de France (Boy scouts français), 140, rue Montmartre.
Cette association’ est placée sous le patronage d’hommes représentant des nuancées d’opinion différentes mais qui, tous, préconisent l’énergie et l’union entre Français :
MM.
- Abel Ballif, président du Touring-Club de France.
- André Beaumont, aviateur (enseigne de vaisseau J. Conneau).
- Vice-aminal Besson.
- Gabriel Bonvalot, explorateur, directeur du Comité Dupleix.
- Docteur Jean Charcot, explorateur.
- Charles-Roux, ancien député, président de la Compagnie Générale Transatlantique.
- Paul Deschanel, de l’Académie Française.
- Henry Deutsch de la Meurthe.
- Général Dodds.
- Paul Doumer, sénateur, ancien gouverneur de l’Indo-Chine.
- Marcel Dubois, professeur à la Sorbonne.
- Vice-amiral Fournier.
- Gabriel Hanotaux, de l’Académie française.
- Jules Harmand, ambassadeur honoraire.
- Baron Mulot, secrétaire général de la Société de Géographie.
- Général de Lacroix, ancien généralissime.
- Henri de la Vaulx, vice-président de l’Aéro-Club de France.
- Ernest Lavisse, de l’Académie française, directeur de l’Ecole normale supérieure.
- Georges Lecomte, président honoraire de la Société des gens de lettres.
- Colonel Marchand, explorateur. Louis Marin, député de Nancy. Colonel Monteil, explorateur.
- Edmond Perrier, de l’Institut, directeur du Muséum.
- Charles Prevet, directeur du Petit Journal.
Le but de l’association « les Eclaireurs de France » est de faire des jeunes hommes courageux, énergiques et dévoués, afin de compenser les lacunes de l’éducation moderne qui, s’adressant presque uniquement à l’intelligence, ne développe pas assez le caractère ; l’énergie et la discipline librement consentie.
Le caractère ne peut se développer en faisant appel uniquement à l’intelligence, il lui faut un point d’appui moral. Or, de tout temps le Français a été sensible à l’amour de- la gloire, au sentiment de l’honneur. C’est pourquoi l’honneur et la fidélité à la parole donnée paraissent former la base morale la plus solide sur laquelle peuvent s’entendre des hommes de toutes les opinions. Par conséquent, de même que le scout anglais, l’Eclaireur de France prête un serment dont voici la formule :
Je promets sur mon honneur :
D’agir en toute circonstance comme un homme conscient de ses devoirs, loyal et généreux.
D’aimer ma patrie et de la servir fidèlement en paix comme en guerre ;
D’obéir au code de l’Eclaireur.
Le code de l’Eclaireur contient en douze articles les règles de conduite suivantes :
- La parole d’un Eclaireur est sacrée. Il met son honneur au-dessus de tout, même au-dessus de sa propre vie.
- L’Eclaireur sait obéir. Il comprend que la discipline est une nécessité d’intérêt général.
- L’Eclaireur est un homme d’initiative.
- L’Eclaireur prend en toute circonstance la responsabilité de ses actes.
- L’Eclaireur est courtois et loyal envers tous.
- L’Eclaireur considère tous les autres Eclaireurs comme ses frères, sans distinction de classe sociale.
- L’Eclaireur est généreux et vaillant, toujours prêt à se porter à l’aide des faibles, même au péril de sa vie.
- L’Eclaireur fait chaque jour une bonne action, si modeste soit-elle.
- L’Eclaireur aime les animaux et s’oppose à toute cruauté à leur égard.
- L’Eclaireur est toujours gai, enthousiaste et cherche le bon côté de toute chose.
- L’Eclaireur est économe et respectueux du bien d’autrui.
- L’Eclaireur a le souci constant de sa dignité et du respect de soi-même.
Quant à la vie à mener en plein air, l’association des Eclaireurs de France a déjà préparé un manuel pratique qui va devenir prochainement tout à fait complet, car elle s’est assuré le droit exclusif de traduction du fameux manuel du général Baden-Powell : « Scouting for boys ». (Le scoutisme pour les garçons). Il existe déjà d’ailleurs des groupes d’Eclaireurs de France en plein fonctionnement dont une très remarquable section fondée à l’école des Roches par son dévoué directeur M. Bertier.
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Il faut qu’il soit bien compris que l’association des Eclaireurs de France, par le but même qu’elle se propose, ne peut entraver en rien les sociétés de gymnastique, de sport ou de préparation militaire, patronages et autres en pleine prospérité. Au contraire, et beaucoup d’entre elles l’ont déjà compris, ces sociétés auront intérêt à voir se former dans leur sein une élite de jeunes gens animés de l’esprit de l’Eclaireur.
Il ne s’agit pas non plus de refaire les bataillons scolaires. Les Eclaireurs de France ne constituent pas un groupement militaire. Sans doute, la formation morale et pratique donnée aux Eclaireurs contribuera à faire d’eux d’excellents soldats, mais cette formation a un but plus élevé, celui de permettre aux jeunes gens de devenir de bons citoyens agissant avec loyauté, énergie, décision dans toutes les circonstances de la vie.
Il est indispensable enfin qu’il soit bien nettement établi que les Eclaireurs de France n’ont aucune couleur politique. Ils accueillent tout jeune homme quelles que soient ses opinions personnelles ou ses convictions religieuses du moment qu’il accepte de prêter le serment et d’observer le code de l’Eclaireur. L’association des Eclaireurs de France, fondée uniquement dans le but de contribuer à l’union nationale, est donc résolument ouverte aux Français de toutes conditions sociales : le cultivateur, l’ouvrier, le bourgeois, le pauvre comme le riche.
Plus que jamais, la France a besoin de l’union de ses enfants. Tous les hommes clairvoyants et de bonne volonté en ont le sentiment très net. Il est donc hautement désirable que professeurs, éducateurs, parents surtout comprennent le but national que se proposent les Eclaireurs de France.
André Chéradame. Le Petit Journal. 2 avril 1912