Les vieilles chansons provinciales sont tombées dans l’oubli, constatait tristement M. Jean Perrigault dans l’Epoque du 10 mai. On ne les chantait plus, en effet ! Les jazz, les pick-up, la T. S. F. déversaient, sur une jeunesse apathique et dissolue, le flot des « scies » à la mode.
Avec le goût de la terre, le goût de la forêt et des granges, le goût des plaines et des monts, la joie s’était en allée, et avec elle les chants qui l’expriment.
C’est aux Scouts, et particulièrement aux Routiers, que nous devons la réhabilitation du si riche chansonnier ancestral.
En lançant le recueil populaire « Roland », Paul Doncœur expliquait l’angoisse qui l’avait étreint un soir de 1914 tandis qu’il était à Noyon, prisonnier des Allemands : dans la nuit éclate la fusillade et dans le cœur des captifs revit l’espoir de libération chaque jour déçu ; puis une fois de plus le rythme du tir se ralentit et une fois de plus, les fantassins remontent vers la ville. Alors, parmi ceux-ci une voix jaillit…
« Seule ?… Non, la voix collective de la compagnie tout entière qui scande et balance son chant de guerre, tour à tour fière et tendre mélodie qui se développe et emplit les rues… Rien ne m’a inspiré plus d’angoisse que ces chants de relève, expression formidable de discipline, de force et de foi.
« Lorsque, dans la nuit du 20 octobre, passant la frontière allemande, nous entendîmes monter de tout le train, glissant lentement dans la neige, la lente et poignante mélopée : « Ich hatt’ einen Kameraden !” nous pûmes mesurer les énergies secrètes d’une armée dont la puissance matérielle ne nous avait point émus. »
Certes, elle est forte, elle est splendide et presque invincible la jeunesse qui sait chanter sa foi, ses enthousiasmes, ses espoirs, ses pures amours.
Chantez, Eclaireurs et Scouts de France, chantez « à la peine et au danger », chantez avec l’alouette qui se lève et le soir encore quand la nuit descend sur le camp recueilli ! Chantez quand le sac fait ployer le dos, chantez quand du fagot jaillit la flamme, chantez sur les routes larges et belles votre limpidité, votre cran, votre jeune audace !
Chantez, Routiers, par les chemins et les monts, les chants de chaque province, depuis l’Ardenne jusqu’à la Provence, depuis le Languedoc et le Pays basque jusqu’au Pays normand, chantez sur les « lieux où souffle l’esprit », puis revenez vers vos frères des villages et des cités les mains et l’âme ouvertes pour partager avec eux les richesses incommensurables puisées au vivifiant contact de la nature et du terroir !
Chantez, Jeunesses chrétiennes, chantez la joie au travail, les chants des guérets reverdis et des blés qui ondulent, chantez la mer et la forêt !
Chante, jeunesse de France et du monde ! Jeunesse des Auberges, jeunesse encore méconnue et suspectée par ceux dont tu heurtes les hypocrisies, les lâchetés ou simplement les préjugés ! Jeunesse ajiste, sois patiente, et ne crains rien sinon de t’amortir ou de transiger avec ton esprit ! Va, confiante et joyeuse, vers l’avenir ! Chante par les clairières et les sous-bois, par les routes et les sentiers, par les pistes blanches et les moraines !… Chante ta liberté et ta force !
Tu portes dans ton regard une telle lumière que tu n’as rien à envier aux jeunesses embrigadées et qui crient leur haine à la face du monde. Chante la vie qui en toi déborde ! Entraîne dans ta ronde d’amour tous tes frères ajistes des autres pays ! Ensemble, vous aurez raison des forces malsaines et des forces qui détruisent.
C’est toi, jeunesse ajiste, fraternelle à tous les jeunes de bonne volonté, qui nous aidera à nous libérer des servitudes de l’argent, des compromissions et des peurs, lesquelles, demain peut-être, nous obligeraient à nous entretuer, nous qui avons ensemble chanté et qui ensemble avons partagé le pain.
ANDREE DUMAY. L’éveil des peuples, 25 mai 1938