Mes jeunes camarades, vous avez, pour venir ici, connu des arbres, de la terre, et généralement toute la beauté du monde. Aucune lutte, aucune technique, aucune richesse ne pourra jamais vous en donner plus. Là est toute la gloire de la vie. Il n’y en a point d’autre ailleurs, où que ce soit.
Cette jeunesse que vous avez, il n’est point juste, il n’est jamais juste qu’on vous la fasse dépenser pour quoi que ce soit d’autre. Aucune patrie, aucun parti, ne peut vous faire plus riche que ce que vous êtes aujourd’hui. Je vous parle avec le simple bon sens qui peut vous faire voir clair vous-même autour de vous. Ici se trouve le grand exemple de la liberté. Pour avoir la liberté, ni richesse capitaliste, ni richesse d’état collectif ne vous est nécessaire. Il vous suffit d’avoir un métier que vous aimiez, et que vous sachiez faire tout entier, du commencement jusqu’à la fin. Le travail là, est un loisir. Vous aurez la joie de vous y sentir de jour en jour plus habile. Vous pourrez avec lui faire de véritables chefs-d’œuvre. Les plus grands objets d’art qui font notre admiration sont de simples œuvres d’artisans amoureux. Voilà pour la liberté de votre individu.
N’agglomérez pas vos individus. Restez libres. Repoussez tout ce qui coagule. Unissez-vous pour un seul but : LA PAIX.
Il n’y a qu’un seul moyen de construire la paix, c’est de détruire l’armée, le militaire, le soldat, tous les soldats, rouges et blancs. Il n’y a pas plus de frontières idéologiques qu’il n’y a de frontières territoriales à défendre. Il n’y a à défendre que la vie. On ne peut défendre la vie qu’en détruisant le soldat, dont le métier n’est pas de défendre comme insidieusement on essaye de vous le faire croire, mais dont le vrai métier est de tuer.
Les gloires d’autour de vous, ici, sont valables partout, pour tous, tant que vous resterez purs, pacifiques et libres.
Amicalement à vous,
Jean GIONO, Au devant de la vie, n°1, septembre 1937