Invité par le chef du Centre Bruneaud (Entremont-le-Vieux, Savoie), à passer trois jours avec ses équipes de haute montagne, stationnées provisoirement à Pralognan-la-Vanoise (Savoie), j’accepte avec un vif plaisir. Je vais enfin avoir l’occasion de les connaître, ces rudes gars, qui dirigés dans leur activité par les guides de l’école nationale de haute montagne et de ski, accomplissent leur volontariat dans les rangs du mouvement Jeunesse et Montagne.
Jeunesse et Montagne est, depuis quelques jours, reconnu par le Gouvernement Français, au même titre que les Chantiers de Jeunesse et de la Marine, pour former les jeunes agés de vingt ans, durant une période de huit mois.
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Le lundi 15 septembre, je quitte Chambéry par un ciel chagrin, en compagnie de mon hôte, le chef de Centre Etter, et des guides Prat et Payot. A notre arrivée à Pralognan-la-Vanoise, nous retrouvons le guide Poncet, instituteur de haute montagne, qui demain dirigera nos pas vers les Aiguilles de la Glière et vers l’Aiguille de la Grande-Casse (3,860 m.). La neige est tombée dans la nuit précédente, et le ciel s’assombrit toujours. Néanmoins, l’expédition est organisée et le départ fixé au lendemain à 7 h. 30.
Après avoir reconnu le toit qui nous abritera cette nuit, nous nous dirigeons vers la fromagerie désaffectée, qui constitue provisoirement la popote commune et le logement des équipes en stage.
Accueil sympathique et cordial, de la part des Chefs, des Moniteurs, et des hommes figés dans un impeccable garde-à-vous, l’avant-bras replié à la hauteur du cœur, dans un présentez-arme imaginaire.
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Le 16, le réveil est fixé à 6 heures ; après la toilette, quelques minutes de « décrassage », nous nous dirigeons vers le P. C. où à 7 heures, nous assistons à l’envoi des couleurs. Après le café pris à la hâte, le rassemblement pour le départ s’effectue. Il a été maintenu à 7 h 30 puisque, à notre grande joie, le ciel se dégage peu à peu et le baromètre monte progressivement.
A l’heure fixée, le chef Poncet donne le signal du départ pour la première étape : de Pralognan-la-Vanoise au chalet Félix-Faure, c’est-à-dire deux heures quinze environ de marche. Tranquillement., de leur pas souple de montagnards éprouvés, nos guides progressent lentement vers le but ; seuls les débutants comme moi activent l’allure, malgré les exhortations des chefs ; mais après la première heure, tous ont compris et marchent, maintenant avec une prudente lenteur.
Nous nous élevons peu à peu, par un chemin muletier, à travers une futaie magnifique de sapins et d’épicéas. Voici les hauts alpages où sont actuellement tous les troupeaux des vallées.
D’accès plus difficiles, ce sont ensuite les premières moraines glaciaires, sources d’un torrent aux eaux bouillonnantes et claires. Ces moraines sont suivies d’une série de petits lacs tel le lac des Vaches et le lac Long. Enfin, masqué derrière l’aiguille de la Vanoise, le chalet Félix-Faure, but de notre première étape, apparaît. Chacun met bas le lourd sac de montagne, et après un rapide casse-croûte, les cordées s’organisent. Jusque-là, nous n’avons guère eu de difficultés, et je commence à me dire, que même sans entraînement, ce n’est pas si dur que cela de faire de la montagne.
Le chef Poncet fait l’honneur au débutant que je suis, de le prendre dans sa cordée, en compagnie du chef du centre. L’ordre du départ est donné ; il est 10 h. 30 et si tout va bien, à 14 h. 30 nous serons au sommet de l’aiguille principale de la Glière (3,386 m).
Nos piolets en main, nous démarrons d’un pas tranquille ; voici le lac Long, que nous longeons cette fois-ci à l’Est, et c’est sous un autre aspect qu’il nous apparaît. Nous nous élevons rapidement à travers les moraines du glacier de la Grande Casse et, après avoir franchi un petit glacier très enneigé, nous attaquons la paroi Sud-Est d’un massif schisteux. La pente en est très raide, le sol glissant, et attention aux chutes de pierres toujours possibles.
Nous voici maintenant au col des Schistes, bien contents d’en avoir fini avec ce mauvais terrain. Quelques minutes de repos dont nous profitons pour reprendre des forces et nous voilà repartis. Cette fois-ci, nous abandonnons le piolet et prenons la corde ; la progression maintenant est plus lente, car nous avons à contourner ou à escalader de nombreuses dalles. Mais voici le glacier de la Glière, qui dans la partie que nous traversons, est presque plat. Les crevasses y sont nombreuses, mais peu profondes ; malgré tout, nous nous en méfions, et arrivons sans encombre au col de la Glière.
La véritable escalade commence alors ; jusqu’ici, nous n’avions pas rencontré de véritables difficultés, si ce n’est cette longue marche d’approche, et le sol et les prises verglacées.
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L’ascension devient maintenant de plus en plus intéressante. Par une succession de murs et de cheminées, où il est nécessaire de s’assurer solidement, nous atteignons enfin, à 14 heures 30, le sommet. Le panorama est magnifique, le ciel pur et bleu, et le Mont-Blanc apparaît majestueux dans le cadre grandiose des Hautes-Alpes. On distingue même au loin les points culminants des massifs suisses et italiens.
Bien que la plateforme terminale soit assez large, nous ne quittons pas la corde, car les chutes sont possibles et la vue du précipice ne nous inspire pas grande confiance. Le vent est très violent, le froid est vif, malgré le soleil. Mais que sont ces désagréments, à côté de notre satisfaction d’être parvenus au but à l’heure fixée. Malheureusement, le brouillard se lève et, à mesure que nous descendons, il deviendra de plus en plus dense. Vers 18 h. 30, notre cordée arrive la première au chalet ; nous sommes tous à la fois fatigués et prêts à recommencer de semblables journées.
Les deux cordées suivantes, dont nous avions dû nous écarter en raison des chutes de pierres, ne rentrent qu’environ une heure après nous. Le dégel ayant effacé nos traces et le brouillard s’étant, fait subitement beaucoup plus épais, elles ont eu beaucoup de peine à retrouver leur route et à rejoindre le chalet.
Une soupe bienfaisante, due à l’ingéniosité du chef Cheron, nous réunit à notre grande satisfaction, dans ce chalet qui représente pour tous ce soir, le summum du confort. Après le dîner, nous restons au coin du feu à échanger avec nos guides les impressions de la journée ; pour moi, ce sont les premières, mais je dois avouer que, malgré mes courbatures, je suis à jamais gagné par le charme de la montagne.
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Mais fini le passé, c’est vers l’avenir que ces jeunes ont pris l’habitude de regarder… L’avenir, c’est demain à 5 h. 30, le départ pour le sommet de la Grande Casse (3,861 m). Chacun s’affaire autour des cordes, sacs et piolets et, après un bref exposé du chef Poncet sur ce que sera cette ascension, chacun gagne qui son lit, qui sa tente, le chalet étant trop petit pour nous tous.
Personnellement, ne me sentant pas suffisamment entraîné pour accompagner ces infatigables grimpeurs, je dois renoncer à cette nouvelle ascension. Après une nuit sans rêve, je suis réveillé par l’équipe qui s’en va. Puis, je profite de ma journée pour refaire avec le guide Payot une partie de notre promenade d’hier. Je peux ainsi admirer tout à mon aise les admirables paysages que la veille, tout à mon escalade, je n’avais pu apprécier.
Les cordées de la Grande Casse rentrent au chalet absolument enthousiasmées, n’ayant pu cependant, et cela à cause du vent qui soufflait là-haut à plus de 150 Km/h, atteindre le point culminant de l’arête de la Grande Casse.
Et c’est maintenant le retour. La descente s’effectue rapidement par le chemin que nous connaissons déjà pour l’avoir gravi à l’aller. Signalons au passage le cachet particulier d’un petit village fromager situé à quelque mille mètres de Pralognan-la-Vanoise.
Nous rentrons à Pralognan-la-Vanoise heureux de ces deux jours de haute montagne et de franche camaraderie.
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N’allez pas croire, lecteurs, qu’avec la pratique journalière du ski en hiver, se borne l’activité de ces jeunes. Car, comme dans les autres formations de jeunesse, des travaux de forestages sont entrepris d’une façon régulière. Les jeunes n’hésitent pas non plus à prêter leurs bras aux travaux agricoles et je peux également vous citer l’exemple du Groupe des Allues (Savoie), qui a entrepris, malgré les difficultés, la reconstruction d’un village (le France.
En dehors du plaisir de ces trois jours d’excursions, je remporte la conviction que notre pays sera toujours digne de son passé, tant qu’il y aura des garçons aussi ardents à le servir.
OBISSIER, délégué. J. F. O. M. Savoie. Franc-Jeu, 25 octobre 1941