Pour beaucoup de Parisiens la forêt de Fontainebleau est sans mystère. C’est une clairière, un beau château, enveloppé de grands bois, et des rochers. On connaît plus ou moins les gorges de Frauchard et d’Apremont; on y va rarement en famille, un ou deux dimanches privilégiés de l’année.
Le massif forestier de Fontainebleau mérite un meilleur jugement ; il est en effet assez peu connu des Parisiens, car il se trouve à l’a fois trop proche et trop lointain ; on connaît mal ses merveilleux paysages ; pour les découvrir, il faut être campeur ou bon marcheur, sinon, on reste fatalement lié à une corde de court rayon autour des gares desservant la forêt.
Le paysage du massif de Fontainebleau est remarquable à plus d’un titre, par ses rochers aux formes bizarres, formant des chaos étranges et pareillement orientés, par ses grandes sylves qui dans les réserves du domaine forestier permettent d’admirer des arbres splendides, par ses sables si fins et parfois si blancs qu’ils ressemblent à des névés alpins. Enfin, par la grande sauvagerie de ses sites qui rappellent tour à tour les Causses, les Landes, ou les guarrigues provençales.
Le massif de Fontainebleau n’est pas seulement la forêt domaniale dans l’enceinte de son vieux bornage, mais une région plus étendue du pays de Gâtinais (région des « Gastines », des mares) qui peut être approximativement limitée par un système hydrographique : Seine, Loing, Essonne, qui l’enserre de toutes parts, sauf au Sud-Ouest, triplant ainsi la superficie pittoresque mais trop étroite du domaine des Eaux et Forêts.
D’où viennent les sables et les curieux rochers qui donnent au massif de Fontainebleau une physionomie si captivante et si particulière ?
Il faut, pour trouver cette origine, remonter fort loin dans le cours des siècles.
Au début de l’oligocène, la mer se retirant une dernière fois du bassin parisien, laisse derrière elle des lagunes que viennent encombrer de sables les grands fleuves issus du Massif Central et du Morvan.
Ce sable se tasse lentement formant des bancs et des couches; un ciment calcaire ou siliceux les agglutine en épais rochers de grès. Une étape calcaire, dernier dépôt lacustre, va, par sa pression, modeler cette masse de grès. Puis les eaux se retirent définitivement, la faune et la flore envahissent le massif. Des pluies diluviennes érodent les bancs rocheux et creusent les vallons et les gorges en sillons parallèles, ce sont les vallées que nous admirons aujourd’hui.
Cette terre n’est guère habitable, à part quelques mares retenues par la roche imperméable et quelques « pleures » produites par de minces bancs d’argiles accidentels, on ne trouve pas d’eau. Aussi l’homme préhistorique n’habita que les abris sous rochers voisins des rivières, le long du Loing, de la Seine et de l’Essonne. On trouve encore aujourd’hui de nombreuses traces du passage de ces peuplades : silex taillés, dolmens, polissoirs, grottes aménagées, et surtout de curieux dessins rupestres tracés sur les parois d’auvents rocheux qui restent encore une énigme sur les écritures primitives des premiers habitants de la Forêt.
L’érosion des grès de Fontainebleau a produit des éboulements en chaos caractéristiques. Ceux-ci proviennent de la dislocation de la table supérieure des grès. Cette dislocation donne aux rochers des formes particulières, failles de ruptures à la partie la plus élevée et des entassements à la partie inférieure qui semblent parfois défier les lois de l’équilibre. Entre les rochers, le sable sous-jacent fréquemment emporté par les eaux pluviales laisse des vides, des « chambres », véritables petites grottes. Quelques-unes sont habitables et fort curieuses; on en compte plusieurs centaines dans rintérieur du massif de Fontainebleau. La grotte des Brigands est la plus célèbre. D’autres sont moins connues, comme la grotte du Bourrelier à Malesherbes, la grotte tunnel de Coquilin, la grotte des Cavachelins avec sa curieuse cascade, la grotte de Clair-Bois percée de deux gouffres, la grotte de la Vipère à Malesherbes, les chambres de Recloses (abris préhistoriques ayant servi d’habitation jusqu’au milieu du moyen âge).
La flore de Fontainebleau présente également un grand attrait pour le naturaliste, notamment pour les mycologues; les habitats de champignons y sont très variés. Le simple touriste admirera surtout les belles futaies de résineux (pins sylvestres et pins maritimes) qui conservent un aspect verdoyant à la forêt en plein hiver. Les grandes futaies de hêtres et de chênes sont encore plus belles. On trouve également des peuplements légers de bouleaux et de fort remarquables buissons de houx et de genévriers, l’arbre cher à nos pères gaulois.
La faune de Fontainebleau possède encore quelques fauves : biches, cerfs, chevreuils, sangliers; des serpents : couleuvres et vipères, surtout les aspics dont il ne faut pas toutefois exagérer le danger et le nombre, et de remarquables lézards verts pouvant atteindre vingt centimètres de longueur.
Nous avons établi pour visiter les sites les plus remarquables de ce très beau massif 16 itinéraires de randonnées à pied que nous conseillerons aux campeurs et aux marcheurs pour avoir de la forêt une idée très complète. Ils y verront tour à tour des grottes curieuses, des rochers remarquables et des panoramas imprévus.
Apprenez à observer la Nature en parcourant le massif forestier de Fontainebleau; jamais on ne se lasse de ses beaux horizons, de ses arbres magnifiques, de ses étranges collines de grès amoncelés. Le charme en est sans cesse renouvelé et lorsqu’on a goûté quelquefois aux âpres solitudes du pays des Gastines, on y veut toujours retourner.
Jean Loiseau, Regards, N°222, 14 avril 1938
Les dessins, plans, croquis et photos sont en partie extraits du « Massif de Fontainebleau », de J. Loiseau.
1938_04_14_Regards_Ballade de printemps en forêt de Fontainebleau