Les Auberges de la jeunesse en France – 1933

C’est à Marc Sangnier, un homme d’action et un idéaliste, que nous devons la première Auberge de la Jeunesse française, l’Épi d’Or.

Elle ressemble à ses sœurs d’Allemagne ou, déjà, plus de deux milles auberges s’ouvrent aux millions de jeunes gens qui parcourent la campagne en chantant leurs Lieder, soutenus par la guitare ou le violon, et se retrouvent aux étapes des longues randonnées pour communier profondément avec l’âme de leur race. Il est vrai que la Ligue allemande des auberges de la jeunesse est beaucoup plus ancienne que la Ligue française. C’est, en effet, avant la guerre, qu’un simple instituteur, Richard Schirrmann, fondait les premières auberges. Et chacun sait que les allemands on le gout de la vie errante et du contact intime avec la nature, bien davantage que les jeunes français.

Le choix de Bierville, comme point de création de la première auberge française est largement motivé. C’est là qu’en 1929 plusieurs milliers de jeunes gens de toutes les nations et de toute race, fraternisèrent dans le travail et dans la joie. Autour des feux de camp allumés sur les pentes de Bierville, toute la jeunesse du monde pouvait se reconnaître et se reconnaissant, s’aimer. Entre Allemands et Français, les dernières préventions tombèrent, faisant place à une sympathie réciproque. Et l’on parla d’auberges de la jeunesse qui présenteraient les visages, diversement aimables, de nations dont les différences ne sont point des motifs de haine, mais bien d’amitié et d’enrichissement pour chacune.

L’idée était lancée. Le 27 août 1929. Marc Sangnier fondait la Ligue française pour les Auberges de la Jeunesse en France, cependant que s’élevant, à proximité des bois et des organisations du Foyer de la Paix, la première auberge française. Dans le même temps, sous la présidence de Marc Sangnier, un Comité d’honneur était formé dont l’éclectisme indique suffisamment dans quel esprit et pour quelles fins la nouvelle Ligue a vu le jour en France. […]

Tout de suite. La Ligue française s’est mise en relation avec les Ligues d’Auberges de la jeunesse des divers pays d’Europe et elle a fait connaître son but : « Permettre, pendant les mois de belle saison surtout, le tourisme à bon marché. à travers la France, aux jeunes gens isolés ou appartenant aux sociétés sportives, aux boys-scouts, routiers, à des associations d’étudiants ou de jeunesse ouvrière, aux lycéens, aux collégiens, aux écoliers désireux d’employer leurs loisirs d’été à sortir de l’atmosphère peu salubre et déprimante des grandes villes pour parcourir la France, soit à pied, soit à bicyclette, soit au moyen de trajets successifs en chemin de fer et trouvant, dans le plus grand nombre de régions possible, le gîte et le couvert dans les conditions les moins onéreuses et les plus agréables. (Rapport de M. R. de Richement sur les Auberges de la Jeunesse.)

En quelques années, une quizaine d’auberges ont pu être aménagées dans diverses régions de France. A Paris, c’est le « Gui », situé sur la montagne Sainte-Geneviève, qui offre à la jeunesse étudiante internationale un gite aimable, presque champêtre, et qu’anime la bonne grâce souriante d’une « mère aubergiste » simplement exemplaire. Mlle Cathe Descroix et de sa collaboratrice Mlle Dembuyant. En Seine-et-Oise, il y a Sainte-Europe à Monthléry et la Maison Sedaine à Saint Prix. Dans les Alpes, l’Auberge de la Motte-les-Bains. La Bretagne a Kerabandu (île de Batz) et Le Folgoet ; la Champagne, Mont-aimé, à Coligny (Marne) ; l’Alsace possède, à Strasbourg, le Foyer Daniel-Legrand ; à Mulboch, la Vogesia. Dans les Vosges, Gérardmer ; Bon Accueil. à Neuville- Château (Char.-Infér.) ; La Maison du Spectacle, au Cap Ferret (Gironde) : .Mon Wigemann dans l’Aisne ; le camp du Trait-d’Union dans la Vallée de Chevreuse ; L’Enfance heureuse dans l’île d’Oleron ; en Savoie, enfin, région privilégiée, Jeannette, à Saint-Gervais-les-Bains. D’autres auberges sont en projet au Vésinet. à Hénin-Liétard, Marseille-en-Beauvaisis, Waltwiller, Thouars, Annecy, au col de Voza à Gondrin, Hosségor, Séguret, Tourette, Semur, Treignac, etc.

1933-06-21_Vu_275_Les auberges de jeunesse_Carte de France des Auberges de jeunesse
Carte des Auberges de la jeunesse en France. L’organisation de chacune d’elles étudié des Itinéraires d’excursions dans la région. Itinéraires prévus pour 3. 8 ou 15 fours ou plus, suivant le désir exprimé par le jeune touriste. Un mime système d’itinéraires est à l’étude de concert avec les pays étrangers voisins des régions où sont situées ces auberges.

 

Mais la Ligue française n’entend pas seulement faire surgir à travers tout le pays des auberges, comme autant de germinations spontanées, elle veut ordonner celles-ci en itinéraires déterminés, ce qui permettra aux jeunes voyageurs d’avoir tout un réseau d’auberges réparti le long des grandes routes qui partent de Paris et s’en vont vers les régions de France les plus pittoresques, qu’il s’agisse de l’Auvergne, des Alpes, de la Bretagne, des Pyrénées ou du bord de la mer. Des parcours précis sont actuellement à l’étude, notamment pour la Savoie et les Vosges, en accord avec les Ligues d’auberges suisses et allemandes.

En relations constantes avec les organisations similaires existant à l’étranger, la Ligue française a été reconnue officiellement à la récente conférence internationale d’Amsterdam où douze nations étaient représentées.

1933-06-21_Vu_275_Les auberges de jeunesse_La distribution des couvertures
La distribution des couvertures

— Les auberges de la Jeunesse, nous dit Marc Sangnier, permettront aux jeunes gens peu fortunés de jouir de la vie au grand air, de connaître plus intimement et dans ses profondeurs l’âme et le corps de notre beau pays de France, il ne faut pas que ces joies artistiques soient le privilège exclusif d’une classe sociale. Il faut que les jeunes ouvriers, comme les autres, aient le droit d’en être réconfortés. Je dois bien vous avouer qu’en fondant les Auberges de la Jeunesse, nous avons, d’une façon toute particulière, songé aux jeunes ouvriers qui, surtout maintenant que le chômage et bientôt, sans doute, l’organisation économique elle-même leur apporterait des loisirs de plus en plus considérables, auront besoin d’utiliser ces loisirs. Il faut donc que les Auberges de la Jeunesse soient largement ouvertes aux jeunes prolétaires. Mais il faut qu’elles servent à réunir dans un même désir d’épanouissement de vie physique, intellectuelle et morale, tous les jeunes gens de France. C’est ce qui fera la grandeur et la beauté de nos auberges, c’est qu’elles ne seront ni des auberges bourgeoises, ni des auberges prolétariennes ; je dirai même volontiers qu’elles ne seront pas simplement des auberges françaises, mais quelles seront des auberges humaines, ouvertes a tous les jeunes de tous les pays.

1933-06-21_Vu_275_Les auberges de jeunesse_Le dortoir de l'auberge du Gui à Paris
Le dortoir de l’auberge du Gui à Paris

On a pu croire que le mouvement des auberges était, à proprement parler une œuvre pacifiste…

— Non, rectifie Marc Sangnier ! Ce n’est pas là son but. Notre Ligue se propose de permettre aux jeunes hommes la vie au grand air, le tourisme, la marche, le sport pédestre ; mais je dirai volontiers qu’en leur fournissant l’occasion de le rencontrer, de se retrouver avec des jeunes hommes de tous les pays, elle prépare des rapprochements indispensables et sert très utilement la cause de la paix. Car ce ne sont pas seulement les œuvres spécifiquement et directement pacifistes qui travaillent pour la paix, ce sont peut-être au moins également toutes les œuvres qui en assurant la culture physique ainsi qu’en favorisant les progrès de la vie intellectuelle et morale, développent l’intelligente compréhension que les hommes doivent avoir les uns des autres. A ce titre, nous pouvons bien dire que les auberges de la jeunesse mériteront excellemment de l’œuvre de la paix dans le monde. C’est pourquoi je demande à tous de travailler avec ardeur et générosité à faire aboutir notre effort, non seulement pour le bonheur et pour l’épanouissement de la jeunesse française, mais aussi pour le rapprochement de tous les peuples et afin que la nouvelle jeunesse du monde puisse réaliser l’œuvre de paix et de fraternité que nous, les aînés, nous aurons bien pu souhaiter et préparer, mais dont seule elle pourra faire une bienfaisante réalité

 

Maurice COQUELIN, Photos : Gaston PARIS, VU, 21 juin 1933

 

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