La propagande par la Jeunesse – Marc Sangnier

Les rudes exigences de l’heure présente, au nom desquelles le gouvernement français entend opposer aux menaces une force matérielle qui donne à réfléchir à la violence des Etats totalitaires, ne doivent pas nous faire oublier que la puissance d’une nation ne dépend pas seulement de son potentiel militaire. Les dictateurs eux-mêmes le savent parfaitement, dont on peut bien dire qu’à l’heure actuelle l’arme privilégiée, c’est la propagande. Voici, qu’on le veuille ou non, un témoignage rendu à l’esprit par ceux-là mêmes qui semblent le respecter le moins.

Pourquoi faut-il que nos démocraties se laissent distancer sur ce terrain, alors pourtant que les causes qu’elles défendent, celles de la liberté et du respect de la personne humaine, apparaissent comme si particulièrement riches de valeurs spirituelles ? Le dynamisme de leur propagande serait irrésistible si seulement elles avaient gardé la confiance et la foi en l’idéal qu’elles incarnent.

Hélas ! ne donnons-nous pas trop souvent prétexte aux injurieuses accusations qui nous représentent, nous autres Français, comme un peuple sans énergie vitale, en pleine décroissance, soucieux seulement de maintenir des privilèges acquis, incapables des grands sursauts de vie et n’opposant aux revendications de peuples dont rien ne saurait arrêter l’expansion qu’une fragile barrière qui, tôt ou tard, sera brisée ?

Nous ne devons pas accepter que le problème puisse être ainsi posé. Remarquons, toutefois, qu’il ne suffit pas de nous indigner devant de tels propos : nous devons faire un sérieux retour sur nous-mêmes, nous livrer à un sincère et courageux examen de conscience.

La France ne sera forte que de la force de chacun de nous. C’est donc celle-ci qu’il faut que nous ayons à cœur de développer et d’exalter par un incessant travail parce qu’elle est librement consentie, la discipline démocratique n’en doit être que plus vigoureuse. Moins qu’aucun autre régime, la démocratie véritable ne saurait être un régime de facilité et de moindre effort. Tous les sacrifices doivent y être joyeusement consentis, toutes les règles morales qu’impose la discipline, aussi bien collective qu’individuelle, et, en particulier, cette indispensable discipline des mœurs dont le relâchement engendre le péril d’une natalité qui nous laisse exténués et sans défense en face du danger. Saurions-nous nous résigner | à ce que la France soit ainsi condamnée à une fatale absorption, alors qu’il ne s’agit pas seulement de sauvegarder un territoire vidé chaque jour de ses habitants et objet d’une naturelle convoitise, mais alors que la France est porteuse d’un grand message de paix et de fraternité et que sa ruine risquerait d’appauvrir l’humanité entière ?

Un groupe de volontaires de la Paix avec Marc Sangnier
Un groupe de volontaires de la Paix avec Marc Sangnier – Novembre 1935

Dès lors, ce serait un bien coupable aveuglement que de limiter nos préoccupations au seul souci de la défense militaire immédiate, quelque urgente que puisse apparaître celle-ci. Il faut, de toute nécessité, songer à intensifier la vitalité française en même temps que son rayonnement et, tout d’abord, accorder un soin tout particulier à la jeunesse. Reconnaissons que les Etats totalitaires ont eu du moins l’intelligence de se préoccuper d’elle avec une extraordinaire vigilance. S’ils se sont penchés vers elle dans un but d’asservissement et pour des fins de domination, accepterons-nous de faire moins pour libérer, affermir et exalter, dans la paix et la fraternité, la nouvelle jeunesse du monde ?

Jamais je n’ai eu plus nettement le sentiment que c’est vers la jeunesse qu’il faut nous tourner, si nous ne voulons pas perdre cœur et désespérer de l’avenir. Tel est le but, le sens et l’esprit dans lesquels j’adjure nos amis de travailler avec nous ; nous avons encore, assurément, une grande pauvreté de moyens matériels, mais aussi, si nous le voulons, quelle magnifique richesse de bonnes volontés agissantes ! Je n’ai, pour m’en convaincre, qu’à faire un tour d’horizon et qu’à évoquer tous ceux que, depuis vingt ans, nous avons rencontrés sur notre route et qui, s’ils ne se contentaient pas de nous prodiguer les marques d’une inopérante sympathie mais restaient unis pour l’action, feraient le plus magnifique faisceau de forces fécondes.

Dans quelques jours, à Bierville, et aussi, je l’espère, dans le reste de la France, nous allons commencer la grande expérience de propagande, le grand travail qui ne doit pas être seulement un geste et un symbole, mais qui doit porter des fruits. Je réclame la collaboration effective de tous. Il y va d’un tel enjeu que je ne vois pas bien qui aurait le courage de refuser son concours !

MARC SANGNIER, L’éveil des peuples, 9 juillet 1939

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