Il est 7 heures 30, le Groupe du Lisey s’éveille alors que le jour semble avoir quelque peine à se libérer de l’obscurité encore maîtresse de la vallée. Déjà, depuis un moment, le Chef entend le cuisinier de service s’agiter, fendre du bois, remuer les casseroles dans la pièce voisine…
Mais il est temps de rompre la voluptueuse léthargie qui, après une journée bien remplie et une nuit réparatrice, s’empare de tous les corps et de tous les esprits au réveil.
« Tout le monde debout » !… Et c’est la toilette en attendant le jus qui rassemble le Groupe dans le réfectoire. Chacun regagne ensuite son « home », et près du lit aux couvertures soigneusement pliées, s’apprête et s’équipe pour la leçon de ski. On farte, on resserre un étrier ou une diagonale pendant que quatre camarades sont allés chercher à la source l’eau nécessaire à la cuisine.
Neuf heures : tout le Groupe est rassemblé et aligné sur la neige encore durcie par le gel nocturne, tandis que monte le long du grand mât les trois couleurs qui signalent aux curieux ou aux touristes qu’ici, au fond de ce cirque dont les crêtes commencent à flamboyer sous les premiers rayons de soleil, vingt-cinq jeunes gens saluent la France, leur Patrie.
Et aussitôt commence la leçon de ski. Les jeunes gens sont divisés en deux « classes » car les derniers arrivés sont encore en retard sur leurs « anciens » et ne possèdent pas la méthode française suffisamment pour les suivre dans les « schuss » ou dans les passages de bosses… L’air est vif, la neige est gelée sur les pentes que l’ombre semble garder jalousement et ne laisser envahir que comme à regret par la lumière crue et déjà aveuglante. Sur l’ordre du moniteur on quitte les anoraks, on abaisse les lunettes et on s’adonne avec griserie à ce sport qui a fasciné tous ces jeunes et qui a été pour une grande part dans leur décision de venir accomplir leur S.N.O. à Jeunesse et Montagne.
Après le dernier « schuss », les deux classes se retrouvent près du chalet. Il est onze heures et demie. On discute tout en exposant les skis au soleil, de Christiania, d’avancée… de fautes de carres, tandis que le cuistot écoute en pensant : « Demain ce sera mon tour pourvu qu’il fasse beau ! ».
« A la soupe » !… Et voilà le moment de calme, les appétits aiguisés par l’air frais d’une altitude de 1600 mètres, et aussi par les vingt ans de tous ces jeunes gars pleins d’ardeur. D’ailleurs on a besoin de se préparer au travail de l’après-midi qui sera rude. Une patrouille descend avec pelles et pioches pour déneiger le chemin tandis que l’autre va jusqu’à Cauterets chercher le ravitaillement.
La neige est devenue de la « soupe » sous le soleil qui tape. On enfonce jusqu’au genou et souvent plus loin. Mais bientôt elle disparait et on atteint la magnifique forêt de sapins entre lesquels les prés de la vallée et les maisons de Cauterets jettent les taches claires et nous font sentir toute la beauté du site… Nous voici arrivés au P. C. du Centre : on remplit les sacs de carottes, choux, navets qui constituent la plus grande partie de ce ravitaillement ; mais tout le monde a le sourire car on plaint sincèrement ceux qui vivent en bas dans l’atmosphère étouffante des vallées loin des champs de ski et de l’air pur… Chacun ensuite va faire les courses en ville, prendre un bain, chercher des photos, acheter le journal. Et à l’heure fixée, la caravane, chef en tête, reprend le chemin du retour. Les sacs sont lourds mais ces jeunes épaules sont déjà entraînées et on ne fera qu’une seule halte pendant la montée des 700 mètres de dénivellation qui nous séparent du chalet. La cadence est lente et mesurée, mais on néglige les lacets pour prendre les « raccourcis ». Après une halte, la neige reparaît ; elle n’a pas encore gelé et on enfonce presqu’autant qu’à la descente : c’est la partie la plus dure. Mais on voit bientôt le mât auprès duquel quelques silhouettes s’agitent. La montée devient plus pénible, les échines se courbent sous le poids des sacs. On marche soigneusement dans les traces du chef tandis que tout près la cascade du torrent nous fait penser aux belles truites qui feront peut-être un jour un supplément de choix aux menus de l’intendance… On monte toujours, on reconnaît un arbre, un passage difficile à franchir et brusquement débouchant de la plantation de sapins, on arrive sur le plateau en vue du chalet. Nous arrivons à point pour assister à la descente des couleurs. Les sacs sont aussitôt apportés au magasinier qui se chargera d’établir avec le Chef d’équipe les menus jusqu’au prochain ravitaillement.
Chacun goûte alors au soleil la grande joie d’être en montagne, loin des villes, loin de tout, d’être en équipe avec vingt camarades, vingt amis solidaires dans toutes les épreuves, dans tous les travaux, dans toutes les joies.
Et c’est le dîner qui est annoncé par le cri traditionnel, dîner où se retrouve la bonne humeur de tous ces jeunes heureux d’avoir passé une journée de plus dans « leur chalet », bonne humeur qui sera concrétisée d’ailleurs ce soir par la veillée prévue, car le Chef a désigné un des nombreux marseillais pour faire une causerie sur sa ville natale.
Aussitôt après le repas, les chansons viennent naturellement aux lèvres, puis tout le monde s’apprête à écouter l’orateur, s’attendant à des affirmations un peu difficiles à admettre étant donné le lieu d’origine de ce dernier et la nature de son exposé. Les appréhensions ne tardent pas à être justifiées et ce n’est qu’émaillée d’interruptions et de contestations que la causerie, par ailleurs fort bien préparée et composée, se termine en une orgie de lumière et de ciel bleu…
Encore quelques chansons et voici l’heure de rejoindre son lit. Bien qu’en planches, il semble à tous ces jeunes corps sainement fatigués par une journée bien remplie, beaucoup plus doux que celui qu’ils pourraient trouver dans le meilleur hôtel d’une ville de la plaine.
Henri ABBADIE. Bulletin pyrénéen, 141 – n°237