Quelles sont les représentations et les valeurs qui justifient, aux yeux des premiers campeurs français, la pratique d’un loisir aussi insolite que le camping ?
Des éléments de réponse se trouvent dans les articles qui ont été publiés avant 1914 par le Touring Club de France (tcf). Cette association, en effet, est l’un des acteurs majeurs de l’introduction du camping en France. Le terme apparaît dès janvier 1905 dans le compte rendu d’une réunion du Comité de tourisme nautique qui décide « qu’une installation d’objets et de matériel de camping sera organisée dans le local affecté au Touring Club à l’exposition de l’Automobile, du Cycle et des Sports au Grand Palais ». Le ton est donné : si le tcf s’intéresse à cette activité, c’est qu’elle est étroitement associée aux loisirs nouveaux (voyages à bicyclette, à pied, descente de rivières en canoë, yachting léger) que l’association est en train d’organiser au sein de la société française.
Entre 1905 et 1914, le tcf intervient, selon sa stratégie habituelle, dans deux directions. Dans un premier temps, l’association contribue à fixer les valeurs associées à la pratique du nouveau loisir de plein air en diffusant des récits de voyages modèles et s’appuie, pour ce faire, sur les organisations de jeunesse protestantes qui semblent les seules à pratiquer réellement le camping en France. Ensuite le tcf contribue à l’institutionnalisation de la pratique en organisant en son sein un « comité de camping », qui propose des normes pour le matériel, repère des emplacements propices et organise les premiers camps fixes. Le tcf agit pour le camping comme il le fait au même moment dans de nombreux domaines liés à une culture de plein air : il précise et diffuse des normes culturelles et organise, en se substituant au besoin aux pouvoirs publics, les conditions concrètes de la pratique.
Dans ce contexte, les modèles élaborés pour le camping au sein du tcf paraissent singulièrement dépourvus d’originalité. Alors qu’individuellement les premiers campeurs revendiquent la nouveauté d’une pratique qu’ils ont le sentiment de découvrir, la revue du Touring Club de France, au fil des articles qu’elle lui consacre, réinscrit au contraire le camping dans une politique générale de développement des sports de plein air qui fait appel à un ensemble de considérations morales déjà largement partagées dans le milieu où œuvre l’association. Condamnation de la ville, éloge de la nature, goût de l’effort individuel et célébration de la solidarité du groupe, tous ces thèmes ont déjà été explorés, répétés, ressassés, dans les pages de la revue aux temps pas si lointains (les années 1890) où cette dernière s’occupait de cyclotourisme. Ils ne sont en rien propres au camping et sont utilisés, à l’époque où le tcf découvre les charmes des nuits passées sous la tente, pour faire, en parallèle, la promotion du canoeing, du yachting, de la randonnée pédestre et du tourisme scolaire.
Comme les autres loisirs de plein air, le camping est supposé développer chez ses pratiquants le goût de la nature, l’autonomie, l’indépendance, le sens des responsabilités, une santé florissante et un caractère adapté à la vie collective. Il est d’ailleurs difficile de savoir exactement à quel point les auteurs des articles sont convaincus par ce qu’ils écrivent et dans quelle mesure ils légitiment une activité qui leur plaît grâce à des arguments qui sont dans l’air du temps. On soupçonne parfois, à lire de trop éloquents plaidoyers associant la pratique du camping et le développement des qualités militaires, que leurs auteurs ont saisi un argument de circonstance. Dans l’ensemble, cependant, les discours et les pratiques qui président à la naissance du camping au tcf illustrent parfaitement l’esprit d’une association et la culture d’une époque. Ils légueront aux campeurs des décennies suivantes un ensemble de représentations remarquablement solides et propageront les valeurs et le projet collectif de la bourgeoisie innovatrice des années 1900, à un moment où la guerre l’a définitivement affaiblie en tant que groupe social.
Bertho-Lavenir Catherine, « Camper en 1900. De l’ascèse laïque au loisir élégant », Ethnologie française, 2001/4 (Vol. 31), p. 631-640. DOI : 10.3917/ethn.014.0631. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2001-4-page-631.htm
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