Paris a fait, samedi et dimanche, une enthousiaste et solennelle réception à lord Baden-Powell, fondateur, « inventeur » du scoutisme. Vingt-cinq mille garçons et jeunes filles, éclaireurs, éclaireuses, louveteaux, routiers, cheftaines et chefs — pour employer les termes consacrés — étaient venus affirmer leur admiration et leur affection pour celui qui fut l’initiateur d’une méthode d’éducation qui groupe maintenant des milliers et des milliers de jeunes dans le monde tout entier.
Le scoutisme, c’est une « méthode ». Comme toute méthode d’éducation, celle-ci peut servir à tous les usages : c’est-à-dire qu’on peut, avec les moyens qu’elle offre, donner à ceux qu’on éduque tous les principes de vie qu’on voudra.
Le scoutisme lui-même, qui s’interdit en principe toute orientation politique, n’en est pas moins orienté souvent — dans un sens ou dans l’autre — par la position même de ceux qui en forment les cadres.
En France il existe, à l’heure actuelle, trois mouvements de scoutisme « officiel ».
Les Eclaireurs de France, qui sont d’inspiration laïque ; les Eclaireurs unionistes de France, qui furent fondés au sein des unions chrétiennes de jeunes gens et dont beaucoup de troupes travaillent en liaison avec les églises protestantes ; les Scouts de France, enfin, les plus récents, qui sont nettement catholiques.
Nous aurons sans doute à revenir quelque jour sur ces différentes branches du scoutisme français, qui travaillent d’ailleurs en collaboration grâce à un Bureau inter fédéral français du scoutisme (le B.I.F., comme on dit en langue scoute, qui est un dialecte amoureux des abréviations à mystérieuse allure).
Mais profitons du passage à Paris de lord Baden-Powell of Gillvell — la langue scoute abrège ici encore en : B.P. — pour parler un peu de lui.
Quiconque a été scout — et l’on en retrouve maintenant d’anciens un peu partout, aussi bien à la tête des jeunesses politiques de gauche que chez ; les ex-V. N. — ne peut oublier le rôle qu’a joué dans sa formation ce personnage devenu un peu un personnage de légende : B. P., le fondateur, l’ancêtre celui qui avait écrit le Livre : Eclaireurs…
A l’âge où l’on est éclaireur, on aime suivre des héros. Baden-Powell le savait bien. Mais il ne savait sans doute pas qu’il deviendrait lui-même un de ces héros.
Robert Stephenson Baden-Powell avait été lui aussi un petit garçon Et, même le quatrième d’une famille du Pays de Galles, où il était né en 1857. Il ne songeait guère au scoutisme, alors, bien entendu.
Il attendit même assez longtemps.
Entre temps, il fut d’abord moussaillon : sur le bateau « familial » — son frère aîné en était capitaine ! — -il fit, dès l’âge de 7 ans, du cabotage, tout en apprenant tous les secrets du marin, le débrouillage, le bricolage, les nœuds-qui-servent-à-tout, la cuisine, toutes autres sortes d’arts dont il vit plus tard toute l’utilité pour sa méthode d’éducation. Il fit aussi ses des études comme n’importe quel garçon, et entra dans l’armée.
Ce qui lui donna l’occasion d’aller aux Indes, où il apprit d’autres secrets : non plus ceux du bateau, mais ceux de la terre, de la jungle, de la forêt, les mille secrets de la nature.
Il eut aussi l’occasion d’être « agent secret ». Il rapporta d’ailleurs ses aventures de l’époque dans un savoureux petit livre traduit en français sous le titre sans ambages : Mes aventures comme espion.
Ce moment de sa vie, dit-il, lui prit aussi bien des petits « trucs » qui lui servirent plus tard à établir sa méthode.
Le métier militaire, enfin, lui fournit d’autres occasions : de remporter quelques victoires, de subir des défaites qui l’amenèrent à réfléchir sérieusement sur la formation des hommes de troupe, et finalement d’être nommé en 1900 général par la reine Victoria.
Cette promotion le décida, après qu’il eut organisé la police en Afrique du Sud, à prendre quelque loisir.
Un loisir qu’il occupa à lancer enfin cette idée qu’il nourrissait depuis longtemps : le scoutisme.
En 1907, le général Robert Baden Powell organisait donc le premier camp de « scouts » dans l’île de Brownsea, en Angleterre.
Il publia peu après son livre : Scouting for boys. Depuis, la méthode s’est, si l’on peut dire, perfectionnée. Beaucoup de jeunes éducateurs y travaillèrent, comme Roland Phillips, qui fut l’initiateur du système des patrouilles, c’est-à-dire de petits groupes de jeunes organisés sur leur propre initiative, dirigés par eux-mêmes dans le cadre de troupes plus larges.
Et le mouvement gagnait le monde.
Depuis la guerre, périodiquement, de grands rassemblements internationaux — prononcez : jamboree — réunissent des représentants de tous les scouts qui sont maintenant au nombre de quatre millions environ.
C’est ainsi qu’en 1929, à Birkenhead, Baden-Powell fut fait Lord au milieu de près de 60.000 scouts de cinquante-six nations.
Mais le scoutisme, ce ne sont pas seulement tous ces scouts, encore une fois.
C’est une méthode, une grande méthode d’éducation.
Dont on n’a pas fini de s’inspirer, ici et là.
André ULMANN, Vendredi – 18 décembre 1936