La France doit organiser à son tour le tourisme à pied pour la jeunesse
Dans une petite brochure des plus recommandables, le professeur Jean-Louis Faure a écrit : « … j’at la conviction que pour l’avenir de la France, mieux vaut cent fois le rapprochement franco-allemand… » Disons plus — et nos lecteurs le savent mieux que quiconque — la paix et la réorganisation de l’Europe en dépendent.
Or, le meilleur moyen de rapprocher les peuples n’est-il pas de créer un contact cordial entre les jeunes, entre ceux qui, demain, seront l’élément neuf, actif et dirigeant des divers pays ?
Le premier grand pas en ce sens a été fait (il faut le reconnaître), par notre ex-ennemie, l’Allemagne, qui, enfin libérée « de l’armée, de la féodalité, de la bureaucratie divinisées », a subi l’impulsion des forces profonde de la rue et permis aux « Wandervogel », — oiseaux migrateurs — de prendre un libre essor sur tout son territoire ; mieux que cela, leur a assuré le gîte et parfois le couvert, à un minimum fort encourageant.
Les « Wandervogel » sont des jeunes gens, garçons et filles, étudiants et autres, et de toutes conditions. Ils vont très simplement vêtus, chaussés de lourds brodequins et le rucksack au dos. Vagabonds sportifs, ils cheminent de villes en villages chantant de vieux refrains, partout bien accueillis, car ils apportent la gaîté. Ils parcourent par dizaines de milliers, en petits groupes, l’Allemagne, l’Autriche, certaines parties de l’Europe centrale et la Scandinavie…
Tout, d’ailleurs, a été organisé, en premier lieu en Allemagne, pour faciliter leurs randonnée : non seulement les compagnies de chemins de fer ont prévu des tarifs très bas, parfois môme une 4ème classe, et toujours accordent sans formalité des billets collectifs très avantageux, mais les municipalités ont encore créé des hôtelleries spéciales, les « Jugendheberge » — en 1928 déjà leur nombre était de 2.209 ; plus de trois millions de « Wandervogel » y passèrent, — hôtelleries où pour la modique somme quotidienne de 60 pfennings (un peu plus de 3 francs français), les voyageurs trouvent un dortoir, une cuisine confortable, quelquefois une table d’hôte économique. Dans ces « Jugendheberge » se rejoignent les « oiseaux migrateurs » allemands, autrichiens, anglais, scandinaves, hollandais garçons et filles. Le malin, après avoir bien dormi, prépare le déjeuner et fait le ménage, le personnel étant réduit au strict nécessaire, on repart à l’aventure, à la poursuite du soleil et de la Beauté.
La France et les pays latins en général sont restés indifférents à ce mouvement. Et parmi les « Wandervogel », on ne rencontre presque pas de Français, d’Italiens, d’Espagnols…
Cela est assurément regrettable.
Le tourisme à pied ainsi conçu ne réalise-t-il pas une des meilleures formules de l’éducation physique et morale et du rapprochement international ? Il est à noter, on effet, qu’il n’y a pas chez les « oiseaux migrateurs » d’esprit de nationalisme, de caste ou de religion.
Nous serions donc inexcusables si, plus longtemps, nous tenions fermés et les yeux et les frontières.
En France, il est évidemment moins facile qu’ailleurs d’obtenir des subventions des municipalités ou des riches particuliers. Il ne faut guère songer à construire de suite des « Jugendherberge ». Mais il suffirait d’une simple circulaire ministérielle et d’un peu de bonne volonté.
Les « oiseaux migrateurs » voyagent l’été, à l’époque des vacances, où les lycées et collège- — munis de dortoirs et de cuisines — et les écoles communales — facilement adaptables — sont inoccupés, par conséquent disponibles. De toute évidence, inviter proviseurs et directeurs à mettre certains de leurs établissements à la disposition des « Oiseaux migrateurs », serait « résoudre la question ».
Municipalités et syndicats d’initiative sont tout indiqués pour la réalisation de cette œuvre. Des organismes comme le Touring-Club peuvent, sans grands frais, se charger de la publicité indispensable, la liste des différents « foyers » doit être connue de tout le Monde.
Il n’est pas douteux que la Fédération internationale des Instituteurs, le Bureau international des Professeurs de l’Enseignement Secondaire, la Croix-Rouge de la Jeunesse… par exemple, prêteraient leur précieux concours.
Que d’avantages à tirer d’une telle organisation !
Les jeunes étrangers, après avoir parcouru notre pays, y avoir noué des amitiés, seraient, de retour dans leur patrie, d’excellents propagandistes de l’idée française auprès de leurs parents et amis ; plus tard ils reviendraient !
Les jeunes Français, trop sédentaires, apprendraient à connaître leurs voisins et s’habitueraient à penser que l’horizon humain n’est point borné par les frontières.
« Il est bon de voyager…. cela étend les idées et rabat l’amour-propre… Si Sainte-Beuve vivait encore, il pourrait ajouter : et cela sert l’entendement international et la cause de la paix.
« Mieux se connaître pour mieux s’aimer » : ce mot de notre haut-commissaire au Tourisme, M. Gaston Gérard, n’est-il pas lu conclusion idéale. A. Ahond.
14 Août 1930 – Le Quotidien – L’œuvre des Wandervogel sert rapprochement des peuples