Randonneurs impénitents et skieurs moyens, nous étions quatre ajistes qui rêvions de combiner ces deux moyens de tourisme et de faire du ski camping.
Mais une tente isothermique coûte très chère et constitue une surcharge de poids qui rend la ballade moins agréable. Aussi décidions nous d’essayer le camping en igloo.
Nous avions dévoré les quelques documents relatant les expériences déjà faites. En effet, en 1933, la Skifrämjaudet, en Suède, publia un rapport sur l’adaptation au camping de l’igloo. Pendant les deux ou trois années précédant la guerre, plusieurs expériences furent faites. En 1938, le centre des moniteurs du Centre Laïque des Auberges de Jeunesse essaya la formule au col du Lautaret. Cette même année, un campeur resta plusieurs jours au sommet du Mont Blanc sous une violente tempête.
Tous ces promoteurs trouvaient l’igloo supérieur à la tente, plus confortable et résistant surtout aux hautes altitudes. La tente, outre sa cherté et son poids, résiste assez mal aux vents violents des hauteurs, et nécessite pour cela la construction d’un mur alentours, ce qui rend insignifiant le gain de temps du montage que la tente pourrait avoir sur l’igloo dans l’établissement d’un abri.
La région choisie fut le Queyras et le camp de base le petit village de Ceillac, situé à 1.600 mètres, en plein cœur du massif. On a déjà célébré dans « Routes… » les beautés du Queyras en été, mais cela n’est rien comparé aux splendeurs hivernales qu’il nous réserve, surtout en février-mars. Des sommets de 3.500 mètres, beaucoup de cols à 3.000, des pentes magnifiques qui, par leur exposition (face nord) sont presque toujours en belle poudreuse, des ballades extraordinaires avec de belles forêts de mélèzes et, par-dessus tout ça, le climat des Alpes du Sud : soleil et ciel bleu.
Nous choisissons le matériel et stockons les vivres de réserve. Puis nous fabriquons deux pelles et un couteau à neige qui rempliront bien leur emploi – sauf un excès de pois – et que l’on trouve par ailleurs dans le commerce.
Après deux heures de prise de contact avec la neige, nous partons pour le col Tronchet puis, par la Riaille, nous remontons vers le lac Saint-Anne. Des avalanches incessantes descendent de la Font-Sante vers le lac.
Là, nous construisons notre premier igloo. Mais après une heure et demie d’efforts, à quatre, la nuit étant venue, nous devons abandonner et nous replier en toute hâte vers une cabane de berger dont nous avions dégagé l’entrée en vue d’une retraite.
Le lendemain, montée au col Girardin. Froid intense au col et descente sur la neige tôlée. Puis, sur une neige à nouveau poudreuse, descente par le lac de Pre-Soubeyran et le Mélézé.
Après un jour de repos, nous repartons vers le Bois Noir, alpage situé dans la vallée de Cristallan vers 2.400 mètres.
Forts de notre expérience toute neuve, nous cherchons le coin favorable à une nouvelle construction et jetons notre choix sur un replat où la neige paraît bonne. Avec un bâton de ski, nous traçons un cercle de 2 mètres à 2 mètres 50, puis tous, à la queue leu leu, en chantant et dansant, nous tassons la neige sur une largeur de 30 centimètres à l’extérieur de ce cercle, constituant ainsi un anneau de base.
Pendant que deux d’entre nous s’attaquent à la « carrière », débitant des blocs de neige de 40 à 50 cm de long sur 25 de large et 25 de haut, le troisième à l’intérieur du cercle place les blocs que lui apporte le quatrième, en les retaillant au couteau pour qu’ils collent bien. Les blocs se soudent entre eux assez vite.
Un véritable chantier. Où êtes-vous bâtisseurs de cathédrales !
Quand le premier rang est terminé, on retaille dans les blocs le commencement de la spirale en inclinant vers le centre et en se déplaçant de la gauche vers la droite. Petit à petit les blocs s’inclinent vers le centre en voûte. Par temps doux, les blocs sont plus longs à se souder et nous nous servons alors des bâtons de ski, la rondelle contre le bloc et la poignée calée sur le sol, pour les soutenir.
Il faut faire attention de donner suffisamment de pente au colimaçon sinon on risque fort de finir en flèche de cathédrale.
Enfin il ne reste plus qu’à boucher le trou qui reste au sommet. On taille alors un bloc plus gros que les autres, que l’on pose comme un chapeau ou une clé de voûte sur l’édifice. Le bâtisseur de l’intérieur taille le bloc à l’aide d’un couteau pour lui permettre de s’emboîter.
Le copain devenu prisonnier découpe alors au ras du sol et côté opposé au vent une petite ouverture arrondie, juste le passage du corps en reptation. Le morceau découpé servira de porte pour la nuit.
Il reste à fignoler l’igloo : polissage grossier de l’intérieur, calfeutrage des fissures aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, confection d’un couloir d’entrée et tassement du sol à l’intérieur de l’igloo et voilà la maison prête.
Las ! Il s’avères qu’elle est trop petite pour quatre ! Mais comme d’autre part deux d’entre nous n’étaient pas très décidés à risquer de se geler, disent-ils, nous nous séparons. Les mous, ricanant sous notre muette réprobation, vont coucher aux chalets un peu plus loin.
Nous, nous gonflons nos matelas pneumatiques et en avant pour l’expérience !
Alors que dehors avec la nuit, la température descend jusqu’à -20, au bout de dix minutes nous avons +8 à 10 à ‘intérieur en faisant notre cuisine sur le réchaud à alcool.
Nous faisons un petit trou dans le dôme et c’est largement suffisant pour l’aération.
Au dodo ! Dévêtus dans nos duvets, nous passons une excellente nuit malgré un petit inconvénient : je m’éveille deux ou trois fois, trompé par le clair de lune qui, avec la transparence des parois, donnait l’impression du petit jour.
Le lendemain matin, nous voyons arriver nos deux camarades tout transis et regrettant amèrement de ne pas avoir couché dans l’igloo. Nous ricanons à notre tour.
Partant d’assez bonne heure, nous sommes vers midi au Col de la Cala puis aux crêtes frontières avec l’Italie. Une pause rapide et nous entamons une longue descente (de 3.200 à 1.600 m.) dans une neige splendide.
Depuis, nous avons renouvelé plusieurs fois cette expérience et toujours pour notre plus grand plaisir.
Il est toutefois à noter qu’il faut une certaine expérience et ce n’est qu’après plusieurs essais que l’on arrive à monter convenablement et assez rapidement un igloo. Pour une équipe de deux skieurs entrainés, il faut compter 1h30 environ, l’état de la neige faisant varier ce temps. En effet, si la neige est tassée, on pourra employer des blocs assez petits, mais si la neige est assez molle et peut compacte, il faut se servir de blocs beaucoup plus gros. Le camping igloo nécessite l’emploi d’un tapis de sol imperméable et, ce qui est mieux un tapis de laine par-dessus.
Outre ses qualités propres : bonne aération, température agréable, solidité, il offre de grandes possibilités. Par exemple l’igloo que nous avions construit au Bois Noir est resté en état plus d’un mois. Possibilité de rayonner et peut-être même, pourquoi pas ? verrons-nous un de ces jours l’igloo, « cabanon » des champs de neige, faire la joie des skieurs de week-end et peut-être faire de la concurrence aux A.F.J. !
R.D. – Routes n°16 – décembre 1943