LA GUERRE ET l’OCCUPATION
En zone Nord, les Allemands finirent par interdire en 1943 l’ajisme indépendant dont ils craignaient l’esprit frondeur. 200 militants furent déportés pour leurs activités clandestines, tandis qu’en zone Sud, Pétain procédant avec davantage de souplesse, autorisait un mouvement d’usagers auquel il avait voulu, sans y parvenir d’ailleurs, donner des directives, dans l’esprit de l’époque.
En revanche, il impose un organisme « technique » ayant seul qualité pour gérer et aménager les A.J.
Dès 1940, en effet, des Ajistes de la première heure, récemment démobilisés, s’étaient regroupés à Uriage avec l’intention de reconstruire sur des bases nouvelles l’organisation des Auberges de Jeunesse en France.
Il s’agissait de créer un mouvement unique, puissant, officiel.
Le secrétariat général à la Jeunesse finit par s’intéresser au projet qui comportait d’abord la suppression des deux organisations existantes, puis leur remplacement par deux organismes aux buts et attribution nettement distincts.
L’un, les Auberges Françaises de la Jeunesse (A.F.J.), instrument technique chargé de la création et de la gestion des Auberges ainsi que de la formation des P.A. (parents aubergistes).
L’autre, les Camarades de la Route (C.D.R.), groupement éducatif pour jeunes gens des deux sexes, dont le but était de regrouper les membres des anciens groupements et de susciter de nouvelles adhésions.
Un décret réalisant les deux propositions fut rédigé en avril 1941, mais n’eut force de loi qu’en zone Sud. Les autorités d’occupation ayant toujours refusé de donner leur accord pour son application en zone Nord.
Dans cette dernière zone, les deux mouvements existants alors, le C.L.A.J. et la L.F.A.J., furent admis un certain temps à continuer leur action. Mais le C.L.A.J. fut bientôt interdit et mis sous séquestre. Il reparut peu après avec une nouvelle direction reconnue sinon choisie par les autorités d’occupation. La Ligue fut interdite à son tour en août 1943.
APRES LA LIBERATION
Après la Libération, les anciens ajistes du C.L.A.J., de la L.F.A.J. et des C.D.R. s’unirent en un seul mouvement d’usagers :
Le Mouvement Uni des Auberges de Jeunesse
Avec Marc Sangnier comme président d’honneur.
Parallèlement, les membres de l’Organisme technique de zone Sud décidèrent de faire admettre sur le plan national la nécessité d’un tel organisme, calqué sur celui précédemment imposé par Vichy. Ce qu’ils firent, et leurs promesses de « démocratisation » restèrent lettre morte.
Il prit le nom d’Union Française des Auberges de la Jeuness (U.F.A.J.) et hérita des A.J. de zone Sud et de quelques-unes existant encore en zone Nord.
L’U.F.A.J. gère actuellement 120 auberges, se prétend « organisme technique au service de tous les jeunes » et fut créée en vertu d’un accord signé par les présidents des organisations d’Auberges qui existaient avant et pendant l’occupation : la L.F.A.J., le C.L.A.J., les A.F.J.
Le vent était donc à l’union et les promoteurs de ces organisations se félicitaient eux-mêmes de telles initiatives.
Cependant, Marc Sangnier, signataire au nom de la L.F.A.J. du protocole d’accord U.F.A.J. et président d’honneur du M.U.A.J. fondait quelques mois plus tard avec l’aide des milieux catholiques l’Office Central des Camps et Auberges de Jeunesse (O.C.C.A.J.).
Ce nouveau groupement prétendait devenir un organisme technique au même titre que l’U.F.A.J. et mouvement usager tout comme le M.U.A.J. C’était un premier coup de canif dans le contrat, tant vis-à-vis de l’Union Française que du Mouvement Uni.
L’U.F.A.J. combattit pour conserver le monopole des Auberges et le M.U.A.J., après avoir expulsé un président d’honneur qui avait une conception assez singulière de l’union, se transformait en Mouvement Laïque des Auberges de Jeunesse (M.L.A.J.).
Au cours du Congrès (novembre 1945) où cette décision fut prise, le représentant de l’Union de la Jeunesse Républicaine (U.J.R.F.) déclarait que le Mouvement ajiste ne correspondait plus aux aspirations des jeunes et qu’en conséquence ordre allait être donné aux adhérents de l’U.J.R.F. de se retirer du M.L.A.J.
Effectivement l’U.J.R.F. tentait de constituer quelques temps plus tard une section de plein air « Les Ajistes et Campeurs de France ».
Des camarades dont la quasi-totalité du Comité directeur du Mouvement ajiste de zone Sud durant l’occupation, qui par leur militantisme, avaient acquis une grande influence dans les milieux ajistes et qui avaient été pour la plupart les promoteurs du Mouvement uni des Auberges de jeunesse à la libération, éditaient quelques temps après le congrès de novembre 1945, une brochure (Livre blanc) : « Nous ne voulons pas être complices ». Ils y exprimaient leur déception en constatant que le mouvement n’avait pas cru devoir les suivre dans la voie qu’ils pensaient être la bonne. Leur conclusion était la condamnation catégorique du Mouvement Laïque des Auberges de Jeunesse.
L’Union de la Jeunesse républicaine de France déclenchait parallèlement une violente attaque contre le M.L.A.J.
L’U.F.A.J. dont l’administration était – et est toujours d’ailleurs – fortement influencée par les signataires du Livre blanc, se livrait aussi mais d’une manière moins nette, à une offensive contre le M.L.A.J. Celui-ci « encaissait » les coups plus ou moins bien et se défendait plus ou moins mal.
A son congrès de novembre 1946, le M.L.A.J. décidait de lutter pour obtenir la suppression de la dualité usagers-organisme technique et pour donner la gestion démocratique des Auberges aux usagers. C’était la rupture définitive U.F.A.J. – M.L.A.J.
Devant l’attitude inamicale de l’U.F.A.J., les membres du M.L.A.J. avaient peu à peu déserté les Auberges de l’organisme technique et celui-ci voyait venir le jour où aucun usager ne fréquenterait plus les Auberges. L’U.F.A.J. fut ainsi amenée à délivrer directement les cartes aux usagers, marquant ainsi elle-même la faillite d’une formule. Dans certaines régions, des groupes U.F.A.J. tentaient même de se constituer.
Pendant ce temps, la section de plein air de l’U.J.R.F., « les Ajistes et Campeurs de France », végétait et les dirigeants de l’organisation reconnaissaient eux-mêmes l’échec en conseillant à leurs membres de rejoindre le M.L.A.J.
L’équipe de l’U.F.A.J., considérant l’isolement dans lequel glissait de plus en plus l’organisme technique malgré l’essai de distribution des cartes et craignant l’action du M.L.A.J., décidait de résoudre le problème en obtenant l’accord de l’Etat, de la C.G.T., de la Ligue de l’Enseignement, du Syndicat des Instituteurs, de la C.F.T.C., de l’Union Nationale des Associations familiales, du Centre Laïque des Auberges de Jeunesse, de la Ligue Française des Auberges de Jeunesse et des Auberges Françaises de la Jeunesse pour constituer la Fondation Française des Auberges de Jeunesse.
L’accord pour la Fondation, de la Ligue Française des Auberges de Jeunesse n’empêchait nullement Marc Sangnier de reconstituer celle-ci, sans doute pour venir en aide à l’O.C.C.A.J. qui n’avait connu qu’un succès très modeste depuis sa création.
Le M.L.A.J. entrait violemment en lutte contre la Fondation à qui il reprochait de n’être pas laïque et encore plus autoritaire que l’U.F.A.J. Sous sa pression, le Syndicat des Instituteurs qui avait déjà refusé avant-guerre de siéger à côté des cléricaux, se retiraient de la Fondation. Il était dès lors difficile pour les partisans de celle-ci d’envisager l’action sans l’appui du Syndicat des Instituteurs. D’autant plus que le retrait de la Ligue de l’Enseignement et de la C.G.T. allait suivre celui du S.N.I. Cependant le pseudo-syndicat des Parents Aubergistes qui jusqu’alors s’était abstenu officiellement de prendre parti au sujet du conflit U.F.A.J. – M.L.A.J., se déclarait partisan de la Fondation et demandait aux grandes Organisations de soutenir celle-ci de toutes leurs forces.
Le Comité directeur du M.L.A.J., comprenant qu’il n’était pas possible de combattre une solution sans apporter la sienne, avait envisagé de proposer la reconstruction du C.L.A.J. sur des bases nouvelles.
Dernièrement, quelques groupes du M.L.A.J. en désaccord avec l’orientation suivie par le Mouvement, et quelques autres personnes auraient cru très adroit, alors que les membres du M.L.A.J. recherchaient une solution dans le C.L.A.J., de créer eux-mêmes un autre mouvement d’usagers adhérents à l’U.F.A.J. qui porterait le nom de Centre Laïque des Auberges de Jeunesse. La confusion est actuellement extrême comme on peut s’en rendre compte. Néanmoins, les Ajistes réunis en Congrès à Tours, les 23, 24 et 25 janvier 1948, mandataient le Comité directeur nouvellement élu pour qu’il entame sans tarder des pourparlers avec la C.G.T., F.O. et la C.N.T. en vue de réaliser en grand mouvement ajiste.
Il va sans dire que toute notre sympathie accompagne le M.L.A.J. et qu’il peut compter sur notre appui dans le combat qu’il mène avec ferveur et dynamisme.
Notes: Objectif du MLAJ.
« À la Libération se crée le Mouvement unifié des Auberges de jeunesse (MUAJ), sous la présidence de Marc Sangnier. Il est le seul mouvement existant et réunit tous les usagers des auberges. Pourtant son caractère large déplaît aux éléments confessionnels qui préfèrent se retirer au sein de l’Organisation centrale des camps et auberges de jeunesse (OCCAJ), dont Marc Sangnier accepte également la présidence. Mis en demeure de choisir entre les deux associations existantes, il s’y refuse et les camarades du MUAJ n’hésitent pas à inscrire le mot laïque dans le titre de leur association, afin de bien marquer son caractère largement ouvert à tous les jeunes gens sans distinction d’opinions ni de religion. Les dissensions du clan confessionnel, amènent la vieille Ligue française des Auberges de jeunesse à reprendre son activité et, une fois encore, Marc Sangnier en accepte la présidence, sans d’ailleurs cesser pour autant de prêcher l’union […]. Enfin l’Union française des Auberges de jeunesse, voyant la majorité des usagers lui échapper, […] est bien embarrassée. Pour maintenir à toute fin la formule de dualité sur laquelle elle repose, quelques-uns des éléments qui l’animent créent le Centre laïque des Auberges de jeunesse, association qui ne se propose pas d’aménager des auberges de jeunesse, mais uniquement de rassembler des jeunes qui les fréquentent. Il ne semble pas qu’à ce jour ce CLAJ connu sous le nom de CLAJ Auvert, du nom de son président-fondateur, soit parvenu à en rassembler beaucoup […].
Aujourd’hui, l’État se refuse à continuer la politique de répartition des subventions entre plusieurs mouvements. Il désire que ceux-ci ne forment plus qu’une seule organisation ouverte à tous les jeunes. Cela aurait l’avantage de ne pas disperser les efforts et d’arriver à des résultats plus positifs. Sur ce point, nous sommes tous d’accord. Encore faut-il savoir quelle structure on veut donner à cette organisation. Pour nous, il ne saurait y avoir qu’une solution. Celle d’une association vraiment laïque et démocratique, dans laquelle toutes les possibilités éducatives de l’ajisme, pourraient être largement utilisées. Pour que les auberges soient vraiment laïques, il faut que les jeunes y viennent en tant qu’individus et non pas sous la bannière d’un mouvement quelconque. C’est pourquoi nous sommes contre la représentation des mouvements de jeunesse à la direction de l’association […].
Cette structure se trouve, d’ailleurs, au sein du Centre laïque des Auberges de jeunesse et du plein air, qui vient de se créer. C’est en son sein que se groupent tous les efforts de ceux qui veulent arriver à une solution efficace dans ce domaine » (décembre 1948).
« Il est créé entre les associations susdites un Comité national de coordination qui a pour tâche de synchroniser les efforts des associations composantes, tant sur le plan de la défense d’intérêts communs que sur celui de l’organisation interne d’activités ou de la recherche, et la mise en pratique des techniques des moyens d’éducation […].
Qu’est-ce que cela signifie ? Très exactement ceci. Le comité directeur du MLAJ et l’Équipe nationale route EDF se sont réunis avec une représentante de la FFE pour voir s’il n’y avait pas des possibilités d’activité, d’action commune. C’est à la suite de cette réunion où nous nous sommes trouvés singulièrement proches les uns et les autres que l’accord ci-dessus a été signé » (cité dans Le Routier, juillet/septembre 1948).