En même temps que Péguy, les cartes de pain, les revues poétiques et le rutabaga, la période actuelle a remis en honneur le folklore.
C’était naguère un domaine réservé presque exclusivement aux sociologues, historiens des religions et ethnologues pour qui les traditions populaires sont une mine pleine de trésors. La naïveté des contes ou des chansons populaires d’autrefois éclaire nos sentiments actuels d’un jour nouveau. Nous retrouvons ainsi les racines profondes de nos croyances et de nos mythes. Mais c’est là affaire de spécialistes.
La beauté des vieux costumes, la fraîcheur des chansons anciennes et la reposante simplicité des contes populaires, qui peut rester insensible à cela ? L’esprit de l’homme moderne, déformé par la mauvaise prose des journaux et le mauvais cinéma, saturé de littérature coupée d’avec la vie, indifférent souvent à l’art véritable qui passe au-dessus de lui, éprouve alors l’impression d’une source fraîche. Mais qui songeait à fonder sur ces danses, ces histoires ou ces chansonnettes toute une éducation ?
Aujourd’hui, tout est changé. Le folklore est devenu grand personnage et se prend pour un roi. Dans les mouvements de jeunesse, en particulier, il semble qu’un Noël du XVIe siècle soit le dernier cri de l’art, qu’une bourrée ou une bourguignonne ait plus d’importance que les tentatives de Nijinsky et que le langage de nos arrière-grand’mères soit l’idéal auquel la jeunesse moderne doive s’efforcer.
Est-il permis — avec tout le respect dû au folklore — de dire qu’il y a de l’abus ?
On se plaint justement du divorce du peuple d’avec l’art ; on cherche à recréer des mythes où l’homme moderne puisse se reconnaître et s’exalter ; on pressent des formes d’art nouvelles auxquelles le tourneur sur métaux ou le vigneron aussi pourront adhérer. Sans doute, de tels espoirs demandent-ils pour se réaliser des conditions sociales, économiques, politiques différentes de celles que nous connaissons. Mais, en tout cas, il serait vain de croire que l’ouvrier de Détroit, d’Essen ou de Billancourt ne puisse jamais trouver sa pâture intellectuelle dans des chansons de l’âge du rouet. Et cela est vrai aussi du paysan armé de ses machines, de l’employé qui prend le métro, du bourgeois qui, demain, ne se déplacera qu’en avion. Il trouvera sans doute, durant cinq minutes, un charme rétrospectif à telle manifestation du folklore. Il sourira peut-être en disant : « Quelle heureuse époque c’était ! » Ne lui en demandez pas plus. Il ne peut pas vivre de cela. Il lui faut autre chose ; autre chose qui reste à créer ; que les écrivains et les artistes de demain devront savoir créer. Alors, laissons donc le folklore à sa modeste place.
Mais peut-être y a-t-il précisément derrière cette rentrée en scène un peu trop bruyante une manœuvre plus ou moins consciente ? Image d’une vie toujours semblable à elle-même ; voiture ne sortant jamais des mêmes ornières ; le fils imitant le père et la fille la mère jusqu’à la consommation des siècles ; une jeunesse dont on a peur parce qu’elle risque de faire écrouler un vieil ordre vermoulu en faisant un geste nouveau ; est-ce cela ? On amuse ces jeunes garçons ou ces filles avec des fables inoffensives (« Mon Dieu, si ça ne leur fait pas de bien, ça ne leur fait pas de mal. ») et, pendant ce temps, ils ne songent pas aux problèmes des temps présents. D’autres, cependant, feront leur destin à leur place. Quel destin ?
Nous voulons bien chanter les chansons de nos grand’mères et danser leurs danses car il faut aussi nous amuser et nous reposer. Mais l’éducation qu’un mouvement de jeunes digne de ce nom veut donner à ses adhérents ne saurait se fonder presque exclusivement sur la tradition. Ce n’est pas en se promenant dans, les cimetières qu’on risque d’apprendre grand-chose sur la vie.
HENRY-ROGER
« Route », bulletin des camarades de la route – Nov-Dec. 1942 – Numéro 6