par Thierry Mudry
Depuis les années 1924-1925 jusqu’aux élections législatives de septembre 1930 qui, brusquement, projetèrent au premier plan le parti national-socialiste, le militantisme nationaliste était principalement représenté en Allemagne par les groupes paramilitaires (Wehrverbände), héritiers des Corps Francs et par les ligues de jeunesse (“Bünde”)(1). Sous l’effet de la crise économique, les éléments les plus radicaux de ces groupes et de ces ligues évoluèrent vers le national-socialisme révolutionnaire (tendance Strasser) ou le national-bolchevisme tandis que les autres (c’est-à-dire la plupart des membres des ligues et leurs leaders) cherchèrent un temps un accommodement avec le système et rallièrent de nouveaux partis, comme le Parti d’État allemand (issu de la fusion du Parti Démocrate et de l’Ordre Jeune-allemand d’Arthur Mahraun) et le Parti Populaire Conservateur (formé par les sociaux-chrétiens et des éléments issus du parti d’extrême droite, la D.N.V.P.) en essayant, en vain, d’en faire des instruments de rénovation de l’Allemagne.
Le socialisme “bündisch”
Les membres des ligues de jeunesse s’enflammaient pour le “socialisme bündisch”, variante du “socialisme allemand” auquel se ralliaient de nombreux milieux socio-professionnels et groupes politiques de l’Allemagne de Weimar. Le “socialisme bündisch” était très proche du “socialisme soldatique” que professaient leurs aînés des groupes paramilitaires. Dans les deux cas, le socialisme, c’était “l’accent mis sur le groupe”, pas seulement sur le Bund ou le groupe militarisé mais aussi sur la Volksgemeinschaft (la Communauté du Peuple) que sert le Bund ou le groupe et dans laquelle il s’insère(2). Tandis que le “socialisme soldatique” des aînés se basait sur l’expérience de la guerre et de la camaraderie du Front, le “socialisme bündisch” des plus jeunes s’appuyait sur l’expérience des randonnées à travers l’Allemagne, au contact du peuple allemand, et sur l’expérience communautaire du Bund, sur la camaraderie vécue au sein du Bund. Avec la crise et la radicalisation croissante de la jeunesse des ligues, le “socialisme bündisch” devient plus concret et se transforme en un socialisme national-révolutionnaire favorable à la nationalisation totale ou partielle des moyens de production, à l’économie de Plan et à l’autarcie allemande ou centre-européenne.
Le défi hitlérien
Après l’accession de Hitler au pouvoir, les principales ligues de jeunesse (c’est-à-dire exception faite des “Gueux”, les plus modérées, notamment l’importante Deutsche Freischar) s’unirent en mars 1933 dans le Grossdeutsche Jugendbund placé sous le patronage de l’Amiral von Trotha, un proche du Président du Reich Hindenburg. Elles espéraient ainsi échapper à la “synchronisation” (Gleichschaltung), c’est-à-dire à la dissolution et à l’intégration de leurs membres dans la Jeunesse Hitlérienne. De leur côté, les ligues les plus “dures”, les plus “völkisch” (pour lesquelles “Volk” était souvent synonyme de “Rasse”) et en même temps les plus critiques à l’égard de l’hitlérisme (qu’elles jugeaient d’un point de vue national-socialiste révolutionnaire ou national-bolchevique) se regroupèrent dans un Bündische Front für Wehr-, Arbeits- und Grenzdienst (Front bündisch pour le service de défense, de travail et de garde-frontières), sous la présidence d’un “trotskyste du national-socialisme”, le Dr Kleo Pleyer(3).
Les ligues de jeunesse furent, malgré leurs efforts désespérés, dissoutes lors de l’été 1933. Leurs membres entrèrent alors massivement dans la Jeunesse Hitlérienne et surtout dans l’encadrement du Deutsche Jungvolk (qui regroupait les éléments les plus jeunes de la Jeunesse Hitlérienne) pour y continuer leurs activités et y promouvoir l’esprit “bündisch”. D’autres, plus âgés (les proches de Friedrich Hielscher), entrèrent dans la SS et dans l’Ahnenerbe (“Héritage des Ancêtres”, secteur de la SS spécialisé dans la recherche scientifique, particulièrement dans la recherche historique et préhistorique). D’autres encore (les strassériens sous la direction de Heinz Gruber) choisirent d’entrer dans le Front du Travail afin d’en accentuer l’orientation socialiste. Enfin, le Dr Werner Haverbeck essaya de regrouper dans une organisation, le Reichsbund Volkstum und Heimat, association satellite de la KdF (Kraft durch Freude, “Force par la Joie”), la jeunesse d’esprit bündisch – cette organisation compta bientôt près d’un million de membres(4).
La répression commence
Mais, sous la pression notamment de Baldur von Schirach, chef de la Jeunesse Hitlérienne, qui craignait de voir son autorité sur la jeunesse allemande contestée, la répression s’abattit dès 1934 sur les anciens leaders bündisch : certains furent exclus de la H.J. (Werner Lass)(5), d’autres furent arrêtés (Heinz Gruber(6), Robert Oelbermann(7) ou contraints à l’exil (Eberhard Köbel dit “Tusk”(8), Fritz Borinski(9), Hans Ebeling(10), Karl-Otto Paetel(11), etc.), d’autres enfin assassinés (Kart Lämmermann(12), pendant la Nuit des Longs Couteaux). Le Reichsbund de Haverbeck fut dissous.
Malgré quatre interdictions successives (en 1933 et 1934, le 6 février 1936 et le 13 mai 1937) et l’incorporation obligatoire des jeunes Allemands dans la Jeunesse Hitlérienne, décidée en 1936, appliquée dans les faits en 1939, certaines ligues continuèrent leurs activités en Allemagne dans la clandestinité et l’illégalité. Ce fut le cas 1) de la “dj.1.11.”, fondée par “Tusk”, alias Eberhard Köbel, en 1931(13), en liaison avec Karl-Otto Paetel et Otto Strasser alors en exil (Helmut Kirsch, membre de la “dj.1.11.” et correspondant de Strasser, condamné à mort le 4 juin 1937, sera pendu à Plötzensee), 2) du Nerother Wandervogel(14) et 3) du Jungnationaler-Bund, deutsche Jungenschaft(15) démantelé en 1937 et dont les chefs seront lourdement condamnés lors du procès d’Essen.
Si certaines ligues purent survivre dans la clandestinité, avec des effectifs restreints, de nouveaux groupes apparurent, bandes d’adolescents qui refusaient l’intégration dans la H.J. et la militarisation de la jeunesse(16). Certaines de ces bandes imitaient les modes occidentales et préfiguraient les bandes de l’après-guerre, d’autres professaient un christianisme moralisateur et constituaient la survivance des organisations de jeunesse chrétiennes, d’autres encore renouaient avec l’idéal romantique des Wandervögel. Parmi ces nouveaux groupes, le plus connu fut sans conteste Die weiße Rose, dont certains membres parmi les plus âgés avaient appartenu à des ligues de jeunesse.
Les jeunes bündisch, et leurs émules, ne furent pas les seuls à résister au “fascisme” hitlérien : Il faut mentionner aussi la résistance des jeunes communistes en milieu ouvrier et des jeunes catholiques en Rhénanie et en Bavière. Tandis que les premiers s’appuyent sur l’infrastructure clandestine du Parti Communiste allemand, les seconds s’abritent derrière le Concordat signé en 1933 entre Hitler et le Pape.
L’idéal “bündisch” en exil
L’idéal bündisch, progressivement étouffé en Allemagne, se maintint à l’étranger en exil. Otto Strasser suscita la création d’un Ring bündischer Jugend qui s’intégra dans son Deutsche Front gegen des Hitlersystem (Front allemand contre le système hitlérien). Une revue anti-fasciste, contrôlée par les communistes vit le jour à Paris sous le titre Freie deutsche Jugend (ce vocable avait désigné entre 1913 et 1923 une fraction du mouvement de jeunesse indépendant et désignera après la Deuxième Guerre mondiale l’organisation de jeunesse de la RDA). Karl-Otto Paetel éditait à Stockholm, puis à Bruxelles et enfin à Paris les Schriften der jungen Nation et les Blätter der sozialistischen Nation (diffusés en Allemagne par les sœurs Siliava, membres de la “dj.1.11.” de Berlin). Enfin, en Belgique, Hans Ebeling et Theo Hespers fondèrent en 1935 l’Arbeitagemeinschaft Bündischer Jugend, auquel adhérèrent Paetel, Tusk, la revue Freie deutsche Jugend, etc., et qui donna naissance au Deutsche Jugendfront. Ce Front de la jeunesse était lié à des groupes néerlandais, belges et britanniques. Il était né de la volonté de regrouper toute la jeunesse allemande opposante. Mais cette tentative échoua à cause des manœuvres communistes et du manque de cohésion de ces jeunes opposants. Ebeling et Hespers, qui ne se décourageaient pas, firent alors paraître, de 1937 à 1940, la revue Kameradschaft.
Hans Ebeling et Theo Hespers
Le fac-similé de la revue Kameradschaft (Camaraderie)
constitue un important témoignage sur la résistance de la jeunesse bündisch à
l’État hitlérien et le projet d’État et de société que celle-ci a opposé au
fascisme. Cette revue de langue allemande, éditée en Belgique, était diffusée
clandestinement en Allemagne. Ses fondateurs, Hans Ebeling et Theo Hespers
étaient deux anciens chefs de ligues de jeunesse en exil. Le premier, né en
1897 à Krefeld, avait pris part à la Première Guerre mondiale (il en était
sorti avec le grade de lieutenant), aux combats de 1920 (en Rhénanie) dans les
rangs de la Reichswehr provisoire et à la résistance contre les troupes
d’occupation françaises dans la Ruhr. II avait rejoint peu après le
Jungnationaler Bund dont il s’était séparé en 1924 pour fonder le
Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft plus activiste et plus radical qui
évolua vers le national-bolchevisme. A partir de la fin de 1929 et jusqu’en
janvier 1933, Ebeling dirigea, avec le Professeur Lenz, la revue Der Vorkämpfer(17).
Theo Hespers, né en 1903, rentra à l’âge de 14 ans dans l’organisation de
jeunesse catholique Quickborn à laquelle il appartint jusqu’en 1927. II
participa lui aussi à la résistance passive contre l’occupation franco-belge de
la Ruhr. II adhéra ensuite à la Vitus-Heller-Bewegung(18) et dirigea la
Pfadfinderschaft Westmark qui constitua, avec la ligue d’Ebeling, celle de
Werner Lass (la Freischar Schill) et la Ligue Jeune-prussienne de Jupp Hoven,
le “comité de lutte des groupes nationaux-révolutionnaires de la Marche
occidentale” en Rhénanie.
Le “Bund”, alternative aux partis et au parti unique
Kameradschaft se voulait la tribune des jeunes opposants
à l’hitlérisme. Les “Jeunes-Nationaux”, “Jeunes-Socialistes”,
“Jeunes-Catholiques” et “Jeunes-Protestants”qui s’exprimaient dans
Kameradschaft s’y affirmaient à la fois bündisch, nationalistes völkisch et
grand-allemands, chrétiens, démocrates et socialistes.
Pour eux, le Bund constituait un modèle politique, le modèle d’une “démocratie
à l’allemande” fondé sur le couple Führer/Gefolgschaft (le “Führer”
charismatique, au service de l’Idée, librement choisi et soumis à l’approbation
permanente du groupe, n’étant ici qu’un “primus inter pares”). Ils opposaient
le Bund aux partis faillis de la démocratie weimarienne et au parti unique de
la dictature hitlérienne. Le Bund était aussi un modèle social fondé sur la
camaraderie (Kameradschaft) – opposée à la Schadenfreude hitlérienne – et un
modèle d’intégration de l’individu et de socialisation fondé sur l’enthousiasme
; un modèle d’éducation politique et le modèle même de la communauté de combat
révolutionnaire formée par la jeunesse activiste allemande, ennemie de Weimar
puis de l’hitlérisme.
Pour les collaborateurs de Kameradschaft, qui insistaient particulièrement sur
le rôle joué par le Bund en matière d’éducation politique et pour qui l’homme
bündisch était l’homme politique par excellence entièrement dévoué eu service
de l’État et du peuple, l’État hitlérien apparaissait comme une dictature
d’éléments petit-bourgeois apolitiques (associés à une Reichswehr politisée
mais fuyant toute responsabilité politique). La liquidation politique voire
physique sous le IIIe Reich de l’activisme nationaliste (groupes paramilitaires
et ligues de jeunesse), considéré comme dangereux par les nouveaux maîtres de
l’Allemagne, leur semblait révélatrice à cet égard(19).
Redéfinir la “Volksgemeinschaft”
Nationalistes völkisch, ils prenaient la défense du Volk et du Volkstum mais refusaient “l’impérialisme néo-allemand” des hitlériens. Dans l’esprit des collaborateurs de Kameradschaft, le nationalisme völkisch s’attachait à défendre l’indépendance et le Volkstum de tous les peuples. Ils prenaient également la défense des Volksgenossen, contre l’exploitation capitaliste qui perdurait et contre l’arbitraire de l’État hitlérien ; ils pronaient la constitution d’une vraie Volksgemeinschaft (communauté du peuple) sans rapport avec la soi-disant Volksgemeinschaft, produit de la dictature policière et de la massification hitlérienne ; la constitution de cette “vraie” Volksgemeinschaft nécessitait à leurs yeux un nouvel ordre socioéconomique (socialiste), qui mettrait fin à l’ordre des classes né du capitalisme et une réorientation spirituelle (völkisch) d’essence chrétienne, qui combattrait le désarroi matérialiste de l’époque(20).
Comme Otto Strasser, ils opposaient la tradition grand-allemande, fondée sur le refus du dualisme austro-prussien, dans laquelle ils se situaient, au pangermanisme.
Ils rejetaient l’économie capitaliste fondée sur le profit tout autant que l’économie de guerre et “l’anarchie bureaucratique” (dont l’Allemagne hitlérienne réalisait la symbiose) auxquelles ils prétendaient substituer un Plan (Plan allemand, puis européen). Ils préconisaient, dans le cadre de ce Plan, une économie destinée à satisfaire les besoins du peuple, la nationalisation des industries-clés qui briserait la puissance du grand capital et le partage des grandes propriétés terriennes, et enfin la constitution de coopératives dans tous les domaines de l’activité économique.
La tradition libertaire du “Wandervogel”
En fait, la rédaction de Kameradschaft se posait en héritière de deux traditions :
1. celle du mouvement de jeunesse indépendant, notamment de le “jeunesse allemande libre” née lors de la rencontre du Hoher Meissner en 1913.
Contre le monde paternel/paternaliste (Väterwelt), le mouvement de jeunesse avait affirmé sa fidélité aux pères originaires, aux ancêtres (Vorväter)(21). Contre la tutelle des institutions (école, église, famille) et la société bourgeoise, il avait revendiqué l’indépendance et choisi en son sein de jeunes chefs. Contre l’État wilhelmien et le chauvinisme bourgeois, il avait affirmé son amour pour le Volk et son allégeance au Volk(22). Contre la grande ville, le mouvement de jeunesse avait proposé le “Wandern”, la randonnée à travers le pays allemand (“l’Allemagne profonde”) au contact du Volk allemand authentique. Contre la religion révélée, il avait encouragé une religiosité germanique. Contre le tabagisme et l’alcoolisme qu’il condamnait, contre la dégénérescence physique, il avait exalté la force physique et la beauté nordique (dépeinte par le dessinateur Fidus), pratiqué la gymnastique.
Finalement, après l’épreuve de la Grande Guerre, le mouvement de jeunesse avait débouché sur les ligues de jeunesse issues en 1924-1925 de la fusion de groupes scouts dissidents et de Wandervögel, où, dès 1919, de la Jeunesse allemande libre.
La tradition des “Corps Francs”
2. celle des Corps Francs, qui avaient formé en 1919 la
Reichswehr provisoire avant de devenir les ennemis de la Reichswehr issue des
clauses militaires du Traité de Versailles (qui avait relevé les traditions
nobiliaires de l’Armée impériale, mettant ainsi un terme à la démocratisation
de l’armée, et notamment du corps des officiers, provoquée par la Grande Guerre
et ses suites), et celle des groupes paramilitaires nationaux-révolutionnaires
qui, succédant aux Corps Francs, s’en étaient pris à la réaction incarnée par
les industriels et les agrariens, les généraux de la Reichswehr et les
politiciens de droite.
Malgré l’originalité du phénomène hitlérien et l’originalité de
l’interprétation qu’en donnait la revue (interprétation qui se rapprochait à
certains égards de la “théorie du totalitarisme”), Kameradschaft reprenait
contre l’hitlérisme certaines critiques formulées auparavant par ses
prédécesseurs du mouvement de jeunesse à l’égard du wilhelminisme, par ses
prédécesseurs des Corps Francs ou des groupes paramilitaires à l’égard de
Weimar et de la Réaction à l’époque de Weimar (et notamment de la Reichswehr
associée au pouvoir hitlérien).
Les liens des “Bündische” en exil avec les “non-conformistes” et les planistes français
Outre ce lien de filiation évident entre le mouvement de jeunesse allemand, les Corps Francs et groupes paramilitaires et Kameradschaft, on constate une étonnante parenté entre les idées de la jeunesse bündisch telles qu’elles s’exprimaient dans Kameradschaft et celles des jeunes non-conformistes français des années trente qui adhéraient aux mots d’ordre patriotiques et fédéralistes, personnalistes et communautaires, planistes et corporatistes (ou syndicalistes).
Des contacts avaient existé entre représentants des ligues de jeunesse allemandes et groupes non-conformistes français : ainsi, Harro Schulze-Boysen (ancien militant de “l’Ordre Jeune-Allemand”, qui devait jouer plus tard un rôle de premier plan dans “l’Orchestre Rouge”), directeur de Planer, l’équivalent allemand de la revue française Plans, dirigée par Philippe Lamour, fut, avec Otto Abetz, l’un des délégués allemands au Front unique de la Jeunesse Européenne, créé à l’initiative des groupes français “Plans” et “Ordre Nouveau”(23). Par la suite, “Ordre Nouveau” entretint des contacts assez étroits avec Otto Strasser, le groupe constitué autour de la revue Die Tat et surtout la revue Der Gegner (L’Adversaire) – à laquelle Louis Dupeux consacre un chapitre de sa thèse sur le National-bolchevisme – animée par Harro Schulze-Boysen et Fred Schmid, fondateur et chef de la ligue de la ligue “das Graue Corps” (le Corps Gris), scission de la Deutsche Freischar(24).
Mais les contacts personnels ne peuvent expliquer à eux seuls une telle convergence : ce qui rapprochait les meilleurs éléments de la jeunesse allemande et française était tout à la fois un refus commun du libéralisme et du totalitarisme, qui en était issu, et une aspiration commune à une Révolution spirituelle (ou si l’on préfère : culturelle), politique et socio-économique.
Notes :
(1) “Pendant les quatre ou cinq ans de la brève prospérité de Weimar, et surtout entre 1925 et 1927, le premier rôle en matière d’activisme ultra-nationaliste revint aux ligues ou associations paramilitaires (Wehrverbände). Ces ligues étaient généralement issues des Corps Francs de l’immédiat après-guerre, mais elles recrutaient de plus en plus dans le mouvement de jeunesse “bourgeois”, dont elles aimaient d’ailleurs à se présenter comme parties intégrantes” (Louis Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice. Essai sur les différents sens de l’expression “national-bolchevisme” en Allemagne, sous la République de Weimar (1919-1933). Librairie Honoré Champion, Paris, 1976, pli. 244-245).
(2) “Le Bund, c’est la vigueur du lien communautaire, à l’opposé de l’individualisme anarchisant de l’ancien Wandervogel ; c’est l’accent mis sur le groupe (et qui permettra de parler d’un “socialisme bündisch”) mais aussi sur la hiérarchie, la sélection des membres et la libre désignation des “chefs”; c’est enfin l’auto-éducation d’une élite destinée à diriger et à servir l’Allemagne au terme d’une révolution culturelle ; c’est l’image même en miniature de cette nouvelle Allemagne” (Louis Dupeux, ibid., p. 335). Pour tous renseignements complémentaires sur le “socialisme bündisch”, son évolution ultérieure vers un socialisme national-révolutionnaire, se reporter au chapitre “Bündischer Sozialismus” in : Karl-Otto Paetel, Versuchung oder Chance ? Zur Geschichte des deutschen National-Bolschewismus, Musterschmidt-Verlag, Göttingen, 1965, pp. 130 à 152.
(3) cf. Haras-Christian Brandenburg, Die Geschichte der HJ, Verlag Wissenschaft u. Politik, Köln, 1982. pli. 137 et 139.
(4) cf. Hans-Christian Brandenburg, ibid., p. 194/195.
(5) Werner Lass : fondateur et chef de la Freischar Schill et de l’organisation secrète des Eidgenoßen (“Les Conjurés”).
(6) Heinz Gruber : fondateur et chef de la Schwarze Jungmannschaft, dissidence social-révolutionnaire de la Jeunesse Hitlérienne, devenue partie intégrante du Front Noir d’Otto Strasser.
(7) Robert Oelbermann : fondateur et chef du Nerother Wandervogel.
(8) Eberhard Köbel dit “Tusk”: fondateur et chef de la “d.j.1.11”, dissidence de l’importante Deutsche Freischar.
(9) Fritz Borinski : un des dirigeants de la Deutsche Freischar, social-démocrate.
(10) Hans Ebeling : fondateur et chef du Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft.
(11) Karl-Otto Paetel : fondateur et chef du Gruppe Sozialrevolutionärer Nationalisten.
(12) Karl Lämmermann : un des dirigeants de la Deutsche Freischar.
(13) Sur la “d.j.1.11” et “Tusk”, lire : Hans Graul, Der Jungenschafter ohne Fortune. Eberhard Köbel (tusk), erlebt und biographisch erarbeitet von seinem Wiener Gefahrten, dipa-Verlag, Frankfurt-am-Main, 1985 ; Helmut Grau, D.j.1.11 : Struktur und Wandel eines subkulturellen jugendlichen Milieus in vier Jahrzehnten, dipa-Verlag, Frankfurt-artt-Main, 1976.
(14) Sur le Nerother Wandervogel, lire : Stefan Krolle, “Bündische Umtriebe”. Die Geschichte des Nerother Wandervogels vor- und unter dem NS-Staat. Ein Jugendbund zwischen Konformität und Widerstand, Lit-Verlag, Munster, 1985.
(15) voir plus loin.
(16) Sur ces nouveaux groupes, lire : Fritz Theilen, Edelweißpiraten, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt a.M., 1984.
(17) Hans Ebeling participa en compagnie d’autres dirigeants bündisch (Werner Lass et Karl-Otto Paetel notamment) aux rencontres internationales de Freusburg (août 1927) et d’Ommen en Hollande (août 1928), destinées à préparer la fondation d’une ligue mondiale pour le paix. Ces rencontres internationales. lors desquelles les jeunes chefs bündisch nouèrent des rencontres avec des représentants de l’extrême gauche et des peuples colonisés, accélérèrent la radicalisation des ligues de jeunesse (remarquons que Hans Ebeling, Wemer Lass et Kart-Otto Paetel qui y participèrent devinrent par la suite des figures du national-bolchevisme) et déterminèrent Ebeling à fonder avec le Prof. Lenz, quelques mois plus tard, en janvier 1930, la revue Der Vorkämpfer d’orientation ultra-nationaliste, anti-capitaliste (le “Vorkämpfer” adoptait des éléments d’analyse marxiste) et anti-impérialiste (et pro-soviétique).
(18) Le mouvement de Vitus Heller auquel appartenait Theo Hespers était le seul mouvement national-bolchevique chrétien (les autres mouvements de ce type affectaient l’indifférence en matière religieuse, voire un athéisme agressif, ou se prononçaient pour un néo-paganisme germanique) et réellement implanté en milieu catholique (le national-bolchevisme était, comme l’a montré Louis Dupeux, un phénomène très majoritairement “protestant” – rien d’étonnant à cela d’ailleurs puisque le national-bolchevisme se rattachait à la tradition protestataire allemande des Arminius, Witukind et Luther – ce qui n’empêchait pas la Rhénanie catholique, région-frontière sensible aux thèses nalionales-allemandes, d’être, avec Berlin et la Franconie, une des places fortes du national-bolchevisme).
(19) Kameradschaft consacra deux gros articles aux procès intentés contre le Jungnationaler Bund, deutsche Jungenschaft, contre Niekisch et les “camaraderies Eberhard”.
(20) Les “nationaux-socialistes révolutionnaires” d’Otto Strasser et les “nationalistes sociaux-révolutionnaires” de Kart-Otto Paetel défendaient le même point de vue (à cette nuance près que la réorientation spirituelle envisagée par Paetel et ses amis aurait été plus païenne-germanique que chrétienne).
(21) cf. Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Hermann, Paris, 1973. p. 221.
(22) Pour George Mosse, le mouvement de jeunesse indépendant était indiscutablement “völkisch” mais son nationalisme s’opposait au nationalisme wilhelminien officiel, impérialiste et chauvin. Son nationalisme, fondé sur le Volk et non sur l’État, au lieu d’être agressif et expansif, était intensif ou introverti (cf. George Mosse, The crisis of German Ideology, Schocken Books, New York, 1981, p. 179).
(23) cf. Jean Louis Loubet del Bayle, Les non-conformistes des années trente, Seuil, Paris 1969, p. 98.
(24) J.-L. Loubet del Bayle, ibis., p. 113.
Thierry Mudry, Vouloir n°43/44, 1987.
En annexe de l’ouvrage d’Alain Thiémé – La jeunesse « Bündisch » en Allemagne au travers de la revue « DIE KOMMENDEN » (janvier 1930-Juillet 1931)