Heller-Goldenberg (Lucette), Jean Giono et le Conladour. Un foyer de poésie vivante. 1935-1939. Paris. Les belles lettres. 1972 ; un vol. in-12°. 392 p. (Publications de la Faculté des lettres et des Sciences humaines de Nice, n° 9).
Il est exact, comme le signale Lucette Heller-Goldenberg dans l’introduction de la thèse de doctorat du troisième cycle quelle consacra en 1969 au Contadour et qui vient de connaître les honneurs de l’impression, que l’aventure vécue avant la guerre de 1939-1945 par une poignée d’admirateurs de Giono s’entourait jusqu’ici de pas mal de mystère et semblait relever en partie du mythe ou de la légende.
Au terme d’une patiente enquête au cours de laquelle, ayant retrouvé la trace des principaux participants à ces journées de «poésie vivante», elle a sollicité et recueilli leur témoignage (celui de Giono lui-même ne laisse pas d’être révélateur de son évolution esthétique et idéologique), l’essayiste a pu reconstituer assez fidèlement le film chronologique des différentes rencontres qui, entre 1935 et 1939 réunirent sur un plateau désert de Provence un petit groupe d’intellectuels séduits à la fois par le lyrisme de Colline ou de Regain, mais unis également par un amour profond de la paix et le besoin de fuir l’agitation des villes pour retrouver, au contact de la nature sauvage, certaines valeurs essentielles de l’homme.
A partir des origines lointaines et indirectes de ce qui fut moins un mouvement qu’une aventure spirituelle, l’auteur nous conduit logiquement à son dénouement, sans négliger ses implications politiques et sociales ni les répercussions parfois tragiques qu’une confiance aveugle dans les utopies poétiques de Giono entraînèrent pour certains fidèles, trop prompts à confondre littérature et réalité.
Très objectif, l’essai de Lucette Heller-Goldenberg lave Giono de beaucoup d’accusations injustes, mais ne dissimule pas non plus les faiblesses du grand homme ; s’il apparait nettement qu’on ne peut rendre l’auteur des Vraies richesses responsable de certaines erreurs commises en son nom, il n’en demeure pas moins que son attitude, lors de la mobilisation de 1939, s’explique difficilement et ne laisse pas d’être équivoque : abandonnant ses amis du Contadour, Giono rejoignit à Digne le poste d’auxiliaire mentionné sur son fascicule ; il fut néanmoins arrêté le 16 septembre et emprisonné jusqu’au 11 novembre, en raison de son activité pacifiste antérieure. Sans doute avait-il estimé qu’aucune chose, même la paix, «ne vaut la peine qu’on meure pour elle» (p. 192). Par un étrange acharnement du sort, c’est au nom du même idéal pacifique et au nom des mêmes thèses «naturelles», exaltées à contretemps. il est vrai, que Giono fut arrêté à nouveau en 1944, bien qu’il eût, pendant la guerre, hébergé des juifs et des réfractaires.
Le livre de Lucette Heller-Goldenberg se termine par un «bilan du Contadour» et l’élude de l’influence exercée par ces rencontres à la fois sur Giono lui-même et sur ses amis. Il est complété par un appendice d’une bonne centaine de pages, constitué principalement par un choix de poèmes des Contadouriens les plus marquants (Lucien Jacques, André Jean, Armand Monjo, Maurice Poussot et Alfred Campozet) et la reproduction de documents historiques souvent significatifs. Une très bonne bibliographie et une table analytique des matières contribuent à la valeur scientifique du volume, qu’on eût souhaité cependant écrit d’un style plus léger et plus élégant.
Robert Frickx-Montal, Revue belge de philologie et d’histoire, 1976, tome 54, fascicule 1, pp 181-182
Via Persée (portail de revues scientifiques françaises)