Campeurs, sachez pêcher ! – 1939

Campeurs, sachez pêcher !

Le campeur qui s’en irait planter sa tente avec une gaule, une épuisette et un panier en bandoulière serait un peu ridicule, me semble-t-il.

Mais le campeur qui s’évade pour le week-end ou les vacances avec, dans le crâne, des tas de projets de pêche pour ravitailler sa popote montre qu’il a beaucoup de ressources en soi-même.

La pêche, sur la côte ou en mer, c’est l’un des meilleurs délassements de vacances. C’est une reprise de contact avec la nature nourricière afin d’en tirer pâture.

— D’accord, mais rester planté toute la sainte journée à surveiller son bouchon rouge, très peu pour moi, me disait un campeur intrépide !

— Mais qui te parle de demeurer immobile des heures entières à lorgner ton flotteur ? On peut à la fois pécher et se donner de l’air et du mouvement… Je dirais même qu’on peut en même temps pêcher et aller se balader !…

Un campeur qui se débrouille avec 10 francs.

La mer recèle des trésors : du crabe agile à la moule parquée sur sa roche. Comment chasser ce trésor sain, nourrissant, gorgé d’iode et de phosphore ?

Il s’agit d’être débrouillard.

Tenez, pas plus tard que dimanche dernier, je vous ai pêché une de ces bouillabaisses : anguilles, girelles, mou­les, sarans, arapèdes, roucaoux…

J’ai commencé par acheter un panier. Vous savez, un de ces pièges à rats pour poissons que l’on trouve dans le commerce pour une dizaine de francs. Dedans, j’y ai mis des moules écrasées, quelques morceaux de crabes attra­pés « avé » la main, des croûtes de fromage…

J’ai calé ma nasse à cinquante mètres de la tente, dans une faille de rochers, et je suis allé faire un tour. Quand je suis revenu, le panier était plein d’arc-en-ciel à arêtes ; tout cela frétillait, sautait, cabriolait…

— Tu vois, dis-je à un camarade en sortant le butin de sa prison, les paniers d’osier sont meilleurs que ceux en fil de fer…

— En effet, le poisson se méfie moins de ces.fagots que des pièges métalliques brillants !

Ce tableau de pêche n’était qu’un commencement. Après, il y eut des « favotüUes » (crabes, en provençal), une girellp royale, un rouquier et cinq ou six gobis.

Plusieurs fois renouvelé, mon panier devait nous rap­porter une des plus succulentes bouillabaisses qui se puissent savourer entre la Marsiale et le pays des Mokos.

De la vraie bouillabaisse.

Pourquoi « n’en ferlez-vous pas autant, campeurs de l’Océan ou de la Méditerranée ? Avec une modeste mise de deux fois cent sous, à vous les bonnes fritures, les soupes de poissons, les bouillabaisses-campeur…

Vous ne savez pas la faire, la bouillabaisse ? Hé bé, rien de plus facile en camping… Procédez comme les brave » pescadous du Var et, fan de chichourle, vous m’en direz des nouvelles !

Dans votre popote, versez une cuillerée d’huile (d’olive, naturellement) et faites-y revenir ail et oignon. Coupez ensuite une ou deux tomates égrenées. Lorsque tout est blond à point, ajoutez-y votre pêche : poissons, crabes, moules, etc.

Remplissez votre popote d’eau (moitié eau.de mer, moi­tié eau douce), assaisonnez de safran, poivre, ét des épices que vous avez cueillies sur la colline (fenouil, thym, romarin).

Laissez bouillir. Dix minutes avant, de servir, coupez quelques pommes de terre en rondelles et mettez-les dans le bouillon odorant qui chantonne sur le feu.

Serves sur des tranches, de pain cette soupe d’or qui embaume la mer, le soleil et la garrigue.

La palangrotte pour capturer des loups.

Pour les campeurs patients et persévérants, il est un autre moyen d’attraper du poisson : la pêche à la palan-grotte.

On pêche d’un rocher, d’une jetée ou d’un canoë.

La meilleure palangrotte est constituée par une ligne en crin d’une cinquantaine de mètres à laquelle on peut mettre un ou « deux hameçons. Vous amorcez avec des vers de vase (escavennes), des morceaux de moules, des petits escargots jaunes, des piades (bernard-l’ermite) ou, à la rigueur, des morceaux de chair de poisson.

La pêche consiste à laisser descendre la ligne, entraînée par le plomb, jusqu’au fond de la mer. Ça mord, ça « pile » quand, en tenant la ligne entre les doigts, on sent des secousses rapides…

Ferrez d’un coup sec et remontez la ligne en prenant soin de ne pas l’emmêler (à ce sujet, le crin est merveilleux !).

Un bon tuyau : évitez de pêcher sûr un fond de sable. Choisissez plutôt les fonds d’algues ou les rochers.

Les campeurs, canoéistes peuvent pratiquer la pêche à la traîne. Ils n’ont qu’à attacher à leur bateau une longue ligne d’une quarantaine de mètres pourvue d’un plomb d’autant plus lourd que le bateau va plus vite. Au bout de cette ligne, un hameçon « esché » d’un morceau de chair de poisson qui imite la forme d’une petite sardine. Avec cette ligne, suivant les endroits, vous prendrez des maquereaux, parfois des loups ou des dentis.

Pour peu que votre canoë ou kayak soit gréé d’une voile votre subsistance sera assurée.

Et sans scaphandre…

A votre panier et votre ligne, vous pouvez ajouter à peu de frais une* fouëne (prononcez fouine). C’est une sorte de trident aux pointes acérées pourvues d’un ardil­lon comme les hameçons.

Cet engin est monté sur un manche de bois.

A la fouëne, vous prendrez de gros crabes, des araignées de mer (esquinades, dans le Midi), des anguilles, et parfois les plies — turbots, soles, limandes — des poulpes et des pieuvres.

Les petits poulpes, préalablement bien battus, sont excellents avec du riz.

Si vous aimez les coquillages, prenez des oursins, des moules, des palourdes, des arapèdes…

Ces différentes pêches ne présentent aucune difficulté. Pour les oursins, méfiez-vous de leurs, piquants si vous les prenez à la main. Servez-vous plutôt d’un roseau de deux mètres dont les fibres ont été écartées à son extrémité au moyen d’une petite pierre ou, si vous avez dix francs de trop, d’une « grappe » aux griffes de métal.

Vous décrochez l’oursin de son rocher et le remontez sans difficulté. S’il y a des risées sur l’eau, employez des lunettes de plongée, ou plus simplement une boîte de conserve pourvue d’une vitre ; enfoncez-la un peu dans l’eau et vous y verrez d’une façon surprenante.

Les oursins sont très nourrissants et délicieux.

Campeurs du bord de la mer, vous avez à portée de la main une alimentation saine, excellente et… économique. Profitez-en !

Jean Bazal, Marianne, 16 août 1939

 

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Comments

  1. La vraie histoire du camping date du début du 20 ème siècle avec les caravannes scolaires du club alpin français et des vacances des étudiants lors des étés.
    Le scoutisme marqua une étape importante dans la pratique du camping grâce au père fondateur des sentiers de grande randonnée.
    Il conduit de nombreuses excursions pédestres, sac au dos, en itinerance parcourant avec les jeunes pratiquants la découverte de regions proches ou lointaines de Paris. Son nom est largement évoqué sur le site. En Belgique, un groupe de jeunes excursionnistes découvrent les Ardennes méconnues en parcourant le massif entre Ourthe et Meuse et la vallée de l’Ourthe.
    Ils empruntent les chemins des touristes qui sont les premiers sentiers pédestres balisés par le Vieux Liège et Charles Comhaire.
    L’histoire du Vieux Liège date de 1984 lors de sa création.
    L’histoire du camping est une suite logique de ce périple pédestre de jadis.
    La difficulté de trouver du matériel adapté et de son développement à l’itinerance sac au dos.
    Puis la création de mouvements de jeunesse, de la naissance des amis de la nature en 1895 à Vienne en Autriche, la création des auberges de jeunesse en 1909 en Allemagne, les souvenirs des Wandervogel, la naissance des boys scouts et du scoutisme et le développement du plein air.
    Les clubs alpins et les touting clubs ont été un élément fondamental de la pratique du tourisme au sens large du terme.
    Avec les congés payés de 1936 les randonneurs parcouraient la France entière à la découverte de nouveaux paysages.
    Le développement du tourisme social, populaire, les hébergements en auberge de jeunesse et amis de la nature répondait à cet engouement du plein air.
    Les excursionnistes campaient lors de séjours de p’usieurs jours. Pour d’autres c’était la rando en itinerance sac au dos comme maintenant trekking ou rando bivouac organisé en Belgique par les sentiers de grande randonnée. Moi même j’ ai découvert le camping à l’âge de 1 an et demi.
    Grâce à mes parents m’amenant à découvrir cette belle nature et les futurs sentiers GR en préparation en Belgique.
    Tous ces souvenirs, anecdotes et l’histoire de la rando et des sentiers dd grande randonnée vous est largement expliqué en toute simplicité sur le net.
    Un expert randonneur historien est largement connu pour son travail de recherches historiques.
    C’est Jean Pierre Englebert qui fut aussi un historien méconnu et un ancien baliseur GR bénévole.
    En 2026 il fêtera 60 ans de randonnées pédestres.
    Bonne découverte du camping pédestre.
    Jean Pierre

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