La douce ankylose spirituelle de l’été vous amène souvent à repenser les gestes passés, à tenter la justification des derniers mois, à se recueillir en face de soi-même et interroger ses actes.
Quelques lecteurs ont dû faire cela en même temps que moi puisque certains m’ont écrit à ce propos, pour reprocher l’élargissement de la Tribune (grandes écoles, universités), d’autres son envahissement par le camping et les auberges de la jeunesse.
Dans le moment oppressif où nous vivons, avec les brusques balans d’angoisse qui s’abattent sur les jeunes, l’incertitude du destin jointe à celle du pain de chaque jour ont fait peu à peu naître, une conscience de génération. Quelques-uns, comme Petitjean et Ulmann, veulent, dans leur nouvelle revue, ne s’appuyer que là-dessus. C’est peut-être un tort, mais il est certain que l’on peut miser sur l’importance de ce phénomène inéluctable.
C’est ce à quoi nous avons toujours tendu ici. Faire connaître toutes les tentatives des jeunes, dans tous les domaines, afin de les stimuler et plus encore afin que tous s’aperçoivent de leur propre richesse et évitent d’aller se soumettre à des relents de mots, de disciplines ou de gens dont la maturation est déjà passée et où les premiers signes de tassement et de faiblissement apparaissent.
C’est le propre des aînés de toujours chercher à nous diviser et nous faire battre, si besoin est, pour des mots, des idées, des notions plus ou moins abstraites auxquelles ils ne croient plus. Sachons éviter cela. Sachons réintroduire parmi nous la confiance et l’amour. De tous côtés le monde nous presse et veut nous faire entrer dans des voies que nous n’avons pas choisies, dans des fosses qu’eux-mêmes ont reconnues comme des culs de sac et des tombeaux inutiles.
Sachons réserver notre intolérance à tous ceux dont la vie déborde, ô combien, ostensiblement ! de mensonges et de trahisons, de lâchetés et de reniements.
Sachons dégorger ces mots et ces habitudes, mâchurées par le temps et les expériences décevantes.
L’effort nécessaire sera considérable pour balayer tout ce qui est en nous et autour de nous, pour nettoyer et assainir.
Et Lanza del Vasto, dans un de ces préceptes du retour à l’évidence qu’il a donné dans le très bon numéro des Cahiers du Plateau, n’énonce-t-il pas :
« Celui qui n’est pas dépouillé ne goûtera jamais la nudité des choses. » ?
Plus la tâche est forte, plus il sera nécessaire d’avoir des êtres rudes, austères, habitués à lutter contre la facilité et le confort trop émolliant, habitués à simplifier leur existence, à durcir leur corps, à tendre leurs muscles et, j’espère, à affermir leur esprit au contact plus direct de la nature et des autres hommes.
Qu’on le veuille ou non, le camping, la vie en plein air, l’esprit de communauté des auberges sont en train de marquer notre génération. Ne l’oublions pas et, là aussi, sachons comprendre que c’est une splendide école de perfectionnement et d’élargissement de la vie.
Penser et réaliser, œuvrer à la fois par toutes les arcanes de l’esprit et les membrures du corps, assoiffer son sang de tous les désirs matérialisables, et gonfler d’espoir ferme tout le menu de la vie, voilà à quoi nous devrions être ainsi amenés.
Mais auparavant, que notre génération prenne conscience de son existence, de son unité et plus encore de la nouveauté, de l’urgence et de l’importance de la tâche qu’il nous appartient à tous de réaliser en commun.
Gaston Diehl. Marianne, 23 aout 1939