Jeunesse et Montagne – Groupement « Vignemale » – Le Balaïtous (20 mars 1942)

Il fait encore nuit noire lorsque notre caravane composée d’un chef d’équipe, de deux volontaires et de leur instructeur, quitte le Marcadau en route vers le col de la Fache et le Balaïtous. Nous montons à pied sur la neige bien gelée, skis sur le sac. Deux piolets, une corde, une pelle à neige et trois casse-croûte constituaient notre bagage.

Après un lever de soleil trouble et de mauvais augure, le ciel s’éclaircit et c’est dans un beau soleil que nous atteignons le col de la Fache (2738 m.). Après une brève halte, nous chaussons nos skis, face à l’Ossau et aux montagnes de la Partagua. Un petit vent glacial fait courir des ondes de poudreuse sur la neige dure.

Par le fond du thalweg, en quelques virages, nous atteignons le laquet de la Fache. Une courte montée nous amène sur le flanc ouest de la Pène d’Aragon. Reprenant la descente nous glissons entre les barres rocheuses pour aboutir au col de la Peyre Saint-Martin (2295 m.).

Nous attaquons une nouvelle montée, encore une fois à pied et skis sur le sac, sous un soleil qui commence à chauffer. Une longue traversée nous fait longer les contreforts du Gavizo-Cristail. Tout en poursuivant notre marche, nous nous plaisons à parcourir du regard les vastes pentes skiables qui vont du Campo-Plano à Piedrafita et au pied de Sancha Collones.

Mais soudain se découvre le cirque de Las Clouséres et l’on ne peut plus voir que ce magnifique bloc de granit et de glace qu’est le Balaïtous en hiver. Etayé d’une part par la Frondella, d’autre part par le Costerillo, il se dresse puissant et encore lointain dans la limpidité du ciel. Une rapide descente nous amène au fond du vallon de las Clouséres. On ne peut imaginer un site plus austère et grandiose en hiver. C’est un étroit vallon resserré entre de sombres falaises couronnées par une large vire de neige. Plus haut encore s’élancent les parois et les clochetons de la crête des Diables et de Costerillou, les murailles de la Frondella et du Balaïtous. Vers l’aval même des contreforts du Gavizo-Cristail et de la Montagne Fermée semblent vouloir clore l’accès de ce monde de silence et de blancheur.

Nous continuons de monter au flanc de la Frondella vers de plus libres espaces. Nous ne tardons pas à atteindre la base du couloir Latour. Les skis sont plantés dans la neige et liés ensemble afin qu’un coup de vent ne les envoie pas dans la vallée sans nous. Péniblement parce que la neige enfonce un peu et aussi parce que la fatigue alourdit nos pas, nous gravissons le couloir et arrivons à la brèche, jetons un coup d’œil vers les lacs d’Arriel endormis sous la neige ; puis nous inspectons le gendarme qui nous barre la voie du Balaïtous. Les pitons qui jalonnent l’itinéraire d’été sont inutilisables sous la glace qui recouvre aussi la traversée classique. Une solution s’impose que nous mettons aussitôt en œuvre. S’encorder et grimper au sommet du gendarme par la taillante de neige qui descend versant est. L’assurance est bonne tant pour le premier de cordée que pour le reste de la caravane. Heureusement car cette neige croûtée et fondante sur les dalles n’inspire pas confiance à celui qui sent son pied et son piolet la traverser et chasser sur le rocher sous-jacent. Qu’importe puisque la corde glisse autour d’un becquet solide et dans des mains sûres !

Maintenant la caravane monte le long de l’arête. Sur la face méridionale du pic de granit fauve, dégringolent quelques glaçons qui tintent dans les roches. La pente s’adoucit, l’horizon s’élargit tandis que la cordée approche du cairn qui émerge à peine de la neige soufflée.

Balaïtous ! Dans l’apaisement et la joie de l’effort couronné de succès, l’on se plaît à reconnaître les montagnes familières dans ce prodigieux enchevêtrement de crêtes et de vallons blancs. Là-bas vers la France, la plaine s’étend sous le soleil avec ses villes, et vers l’Espagne l’Agua Limpia démêle ses méandres qui s’étirent, luisants comme du mercure.

Balaïtous ! L’hiver a tu jusqu’aux voix des torrents sous un bâillon de neige et de glace. Pas un oiseau dans l’air glacé, pas un isard qui ait imprimé ses traces dans les hautes neiges. Rien qui vienne troubler d’un mouvement ou d’un son la paix du Haut Pays et y évoquer la vie des choses et des êtres.

Mais il faut quitter la cime, car le soleil commence à décliner vers les plaines d’Espagne. Nous longeons les corniches qui penchent leur front vers les profondeurs ombreuses de Las Néous, puis nous descendons par les pentes faciles qui rejoignent la brèche Latour. Un rappel de corde nous dépose dans le couloir au bas duquel nous retrouvons nos skis.

La belle descente commence vers Campo Plano. En quelques virages le lac de las Clouséres est atteint, puis par une traversée et d’étroits couloirs le lac de Campo Plano. Que dire de cette descente, si ce n’est que c’est du ski, du vrai ski libre et enthou­siasmant sur la neige vierge d’un beau pays.

Maintenant dans un ultime et rude effort nous remontons le col de la Fache, qui est atteint tandis que le soleil est près de disparaître au-delà des montagnes étranges de la Partagua. Dans le vent froid du crépuscule nous piquons vers le Marcadau où bientôt s’élève la flambée qui cuit le repas du soir et réchauffe nos doigts gourds.

Pendant toute la nuit, un vent violent heurte notre asile de ses coups de bélier. Quand nous nous levons, c’est pour voir qu’il neige dans la bourrasque. Qu’importe puisque la course est finie. Dans la tiédeur du coin du feu, nous pensons pourtant à la cime qui là-haut dresse son inhumaine solitude, mugissant sous les rafales qui l’empanachent de tourbillons de neige et de brume.

Instructeur Alpin JEANNEL. Bulletin pyrénéen, 141 – n°237

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