Course de patrouille
A Huez les épreuves commencent par le secourisme. Les Pyrénéens s’en tirent honorablement avec la place de sixième sur treize concurrents.
C’est ensuite la grande épreuve, la course de patrouilles.
Treize patrouilles sont au départ pour la longue randonnée qu’est le circuit Huez-Saint-Sorlin-Huez par les cols de Sarene, des Quirlies, du Glandon et de la Croix de Fer. Les départs sont échelonnés de dix en dix minutes et nous partons dixièmes. Les sacs sont pesés et contrôlés à plus de dix kilos. Ils doivent contenir, outre les vivres, deux cordes de caravane, deux pelles à neige, deux piolets, la trousse de réparation et le traineau Pourchier.
Dès le départ, une allure assez vive est adoptée. Après un quart d’heure de plat et une descente difficile, la patrouille attaque la première montée qui va nous amener de 1600 m. à 2400 m. Malgré quelques incidents matériels, la progression est bonne car les retardataires après avoir réparé ont à cœur de recoller le groupe le plus vite possible. Une descente se présente. Nous gardons les peaux de phoque ce qui nous procure un gain de temps appréciable. Regroupés, nous nous lançons dans la rude montée du col des Quirlies qui s’élève à plus de 3000 mètres. Nous recueillons maintenant le fruit des peines que nous procura la rude vie de cet hiver. La patrouille des Pyrénéens, entraînée par les ravitaillements bi-hebdomadaires des chalets éloignés, plus tard par le beau raid Urdos-Luchon et par les courses en haute montagne, surclasse nettement nombre de patrouilles des Alpes. Plusieurs d’entre elles, parties plus de vingt minutes avant nous, sont rattrapées et distancées. Certaines sont éparses, dispersées, tandis que la nôtre avance impeccablement groupée, habituée à une bonne discipline de marche. Enfin, le col des Quirlies est atteint. L’équipe d’Entremont démarre du col avant que nous ne soyons prêts. Peaux de phoque dans les sacs, après un rapide coup d’œil sur la Meije, les aiguilles d’Arves et les beaux séracs bleutés du glacier des Quirlies, nous partons à sa poursuite. C’est cette équipe d’Entremont qui va gagner l’étape. Nous sommes bien décidés à la rattraper. La patrouille descend le col des Quirlies, traverse le replat des lacs et monte, péniblement il est vrai, le dernier ressaut qui nous sépare du col de la Balme. Nous y voici. La descente de Saint-Sorlin nous est ouverte. Bien que très fatiguée par son effort, l’équipe est toujours homogène. Gonflés à bloc par le succès qu’ils pressentent possible et même assez probable, les jeunes exultent. La descente commence…
Et de suite c’est l’accident. Bloqué par la poudre profonde, le volontaire Lacroix tombe et ne se relève pas, la cheville fracturée. Un appareil d’immobilisation est hâtivement fait d’un piolet et d’un manche de pelle. Tandis que notre Pourchier remonte vers nous, une équipe concurrente nous prête courtoisement le sien. Rapidement monté et chargé, le traineau s’en va maintenant vers l’hôpital tandis que s’écroulent nos espoirs et que le blessé redit : « Tant pis pour ma jambe, mais c’est la course que je regrette. Cela marchait si bien, si bien ! ».
Mélancoliquement, tandis que les patrouilles rivales nous dépassent une à une, nous mesurons le temps de retard qu’elles auraient eu sur nous.
L’évacuation se poursuit sans encombre. Le blessé ne se plaint pas et nous veillons de notre mieux à diminuer l’inconfort de sa situation.
Neige pourrie, puis neige croûtée ; les hommes de la patrouille malgré la fatigue supplémentaire et la cruelle déception mènent à bien leur dure tâche et passent le contrôle de Saint-Sorlin. Malgré son aventure, l’équipe des Pyrénées n’est pas dernière ; mais elle doit poursuivre l’évacuation de son blessé jusqu’au Pont Saint-Jean-d’Arves. C’est l’abandon imposé par les circonstances.
Une partie de l’équipe couche à Saint-Sorlin, devant rejoindre Huez par la vallée. Une autre partie conduit le blessé à Saint-Jean-d’Arves, d’où la sanitaire le conduira à l’hôpital de Saint-Jean-de-Maurienne.
Le lendemain à Huez, les patrouilles franchissaient l’arrivée et s’immobilisaient devant les Chefs du mouvement, au commandement de « Faire Face ». Sur les visages tirés par l’effort, on lisait une légitime fierté. Les Pyrénéens qui contemplaient ce spectacle avaient bien le cœur un peu serré, mais ils avaient aussi la fierté de savoir que leurs hommes aussi, avaient fait face, là-haut.
Instructeur Alpin JEANNEL. Bulletin pyrénéen, 141 – n°237