De quelques espèces de campeur, de la nature et du matériel
Il serait bien vain aujourd’hui d’essayer d’apprendre aux jeunes gens ce qu’est le camping. Et même à un certain nombre de gens qui ne sont plus tout à fait aussi jeunes. Car c’est un fait : le camping a fait une conquête rapide des plus endurcis.
Si l’on ne peut plus apprendre à personne ce qu’est le camping, on devrait apprendre à camper à bien des gens. Car savoir ce que c’est et savoir le pratiquer sont deux choses fort différentes. Il suffit d’observer les campeurs égaillés chaque année dans nos campagnes pour le constater.
Nous ne pourrions guère que répéter ici ce que nous avons écrit inlassablement et qui peut se résumer en une formule simple :
« Camper est un art »
Et le campeur doit être un artiste, ou tout au moins un artisan.
Un artisan qui ne se « monte » pas la tête sous prétexte qu’il a du beau matériel neuf. Et qui n’oublie pas qu’il a derrière lui une longue tradition qu’il importe de respecter.
Car c’est à tort qu’on imagine que camper est une joie toute moderne et qu’il fallut attendre l’invention des tentes légères et facilement transportables pour connaître ces délices.
Sans remonter à l’âge des cavernes (qui relèvent de l’urbanisme plus que du camping), sans parler des romanichels de toutes sortes et de tous pays, ouvrez Jean-Jacques Rousseau et vous saurez qu’aucune des époques qui se sont préoccupées de connaître la nature n’a négligé ce moyen de lier une nouvelle amitié avec les forêts, les campagnes, les prairies…
Mais longtemps ce plaisir n’était réservé qu’à quelques-uns : la nouveauté est que tous peuvent en profiter maintenant.
Il y a, aujourd’hui, bien des façons de camper. Elles ont ceci de commun qu’il s’agit en tout cas d’aller coucher sous la tente ou à la belle étoile, en préparant soi-même sa nourriture, en s’occupant à marcher, à regarder, à vivre quelques heures ou quelques jours dans la nature. Ce que les initiés appellent « aller dans la brousse ». La brousse, cela peut être la forêt de Fontainebleau, ou celle de Rambouillet.
Mais une fois atteinte la brousse, le campeur s’y comportera de bien des façons différentes, suivant son espèce.
Nous avons dit que camper est un art.
Cela suppose donc une technique Qui sera différente selon les degrés de raffinement et les catégories de campeurs.
On ne peut songer en un court article à énumérer toutes ces catégories, ni à les décrire bien longuement.
D’abord il faut citer le campeur-tout-confort. Ici ce ne sont pas les qualités personnelles de l’homme qui sont en cause, mais celles de son matériel. Non seulement il devra le choisir d’une qualité à toute épreuve, mais encore il lui faudra du discernement pour n’en pas emporter d’inutile. N’est pas campeur-tout-confort qui veut ! Et si les qualités d’équipement l’emportent ici sur les qualités physiques du campeur, ce n’est pourtant pas une catégorie à négliger ni à railler.
D’autant moins qu’elle permet de continuer à camper fort longtemps, quand on ne se sent plus d’âge à se mouiller dans la rosée du petit matin.
Pour les jeunes gens existent les catégories campeurs-solitaires ou cam-peurs-en-groupe. Ces catégories se subdivisent elles-mêmes en variétés multiples. Mais nous avons promis de ne pas faire une complète classification. En France, c’est le scoutisme qui est à l’origine du camping en groupe.
Pendant 24 heures, ou deux jours, ou quelques semaines, une collectivité de jeunes garçons vit dans les bois, à la montagne, ou quelque part au bord de la mer. Ils couchent sous la tente, font eux-mêmes leur cuisine, jouent, travaillent, apprennent ensemble à connaître les essences de la forêt, les secrets de cette nature dans laquelle ils ont choisi de vivre, pendant un temps.
Si la fraternité de bons camarades s’ajoute aux joies de ces campeurs, il n’est pas désagréable non plus de parcourir les routes, seul ou à deux, trois camarades, la tente sur le dos. On s’arrête un peu où bon vous semble : quelques règles simples (se présenter aux gardes forestiers, savoir où l’on a le droit de faire du feu…) suffisent à vous donner droit d’asile presque partout. Le temps n’est plus où les premiers campeurs étaient confondus avec les romanichels et les nomades et pourchassés par les gardes champêtres ! Il n’est plus guère de beau coin de France qui ne soit maintenant accoutumé à les recevoir.
Mais quelle que soit la catégorie de campeur à laquelle on appartient, il est des règles générales qu’il n’est pas permis d’enfreindre.
Nous ne pouvons guère que les énumérer :
— D’abord il faut avoir du bon matériel ; plutôt en avoir moins et qu’il soit de meilleure qualité.
— Ensuite il faut apprendre à se servir de ce matériel : avec amitié et avec le respect que méritent les choses utiles.
— Après quoi il ne vous restera plus qu’à apprendre vraiment à camper, à bien dormir, à utiliser toutes les ressources qui vous entourent (des orties pour la soupe aux fleurs d’acacia pour la gelée…)
Léon BASSAC, Vendredi, 8 avril 1938