Dès le plus jeune âge, la plupart des garçons et filles adhèrent à un groupe de Wandervogel (littéralement : oiseaux migrateurs).
Ce nom symbolise l’amour du voyage, de la découverte. La tenue des Wandervogel peut se comparer dans l’ensemble à celle des scouts : chemise kaki ou blanche à col ouvert et culotte courte en toile ou en velours pour les garçons ; pour les filles, la robe classique est d’une coupe un peu spéciale : corselet court, jupe froncée à la taille, petites manches ballon, le tout en tissu bleu, ou bleu imprimé de blanc. Cela se rattache à un désir un peu puéril de se distinguer des autres. Garçons et filles sont tête et jambes nues pendant la belle saison. Il ne s’agit pas d’une institution hiérarchisée comme celle des éclaireurs ; aucun uniforme n’est imposé, on ne cherche que ce qui laisse le plus de liberté au corps ; il n’y a ni grades, ni discipline, ni préparation militaire. Le seul but est de parcourir du pays en s’instruisant, de savourer les joies du grand air et de la vie errante, pour le développement du corps et de l’âme. Des Wandervogel parcourent ainsi toute l’Allemagne et vont même en pays étranger. Ils réduisent leurs besoins, ne consomment ni alcool, ni tabac, et sont pour la plupart végétariens.
Étant donné leurs infimes ressources, il ne pourrait être question pour eux d’aller à l’hôtel. Ils sont pourvus de cartes et de renseignements indiquant dans quelle grange ils peuvent recevoir asile dans chaque village. Sinon, ils se rendent devant la maison du maire ou de l’instituteur, et là entonnent une de leurs chansons. Quand l’aubade est finie, le maire les remercie en criant : Heil (salut) ! et les fournit de paille en leur désignant un logement.
Ceci est pour le cas où ils ne se trouvent pas à proximité d’une de ces Auberges de la Jeunesse (Jugendherberge) qui sont mises gratuitement à leur disposition. Il y en a environ trois mille dans toute l’Allemagne, situées à la bifurcation de grandes routes. Les Wandervogel y font la cuisine avec le matériel qu’ils doivent remettre en place, et dorment sur des lits de camp. J’ai visité à Lorch, près du Rhin, une très belle auberge pourvue de salles de bain et comprenant une salle de réunion, de concert ou de conférences. Une auberge du même type est en projet à Francfort.
Dès l’âge de dix ou douze ans, les enfants font seuls des excursions le dimanche, soit groupés entre camarades d’école, soit garçons et filles ensemble. Il arrivé que des adolescents passent la nuit sous la tente sans que la jeune fille ait le moins du monde l’impression d’être compromise.
Rien n’est joyeux, vivant et sympathique comme ces bandes de jeunes rencontrées dans les gares, dans la campagne ou sur le chemin du retour le dimanche soir, l’allure plus lasse, chargés de fleurs et de branchages, trouvant encore la force de chanter leurs chansons, que quelques-uns soutiennent de l’accordéon, du banjo ou de la mandoline. Un de ces jeunes musiciens jouait d’une guitare dont le manche s’adornait de flots de rubans de toutes couleurs. On m’explique que ce sont des rubans brodés d’une devise par la mère, la sœur, la fiancée, ou simplement par les camarades, en témoignage de bonne amitié. A en juger par le nombre de rubans décernés à ce garçon, il devait savoir s’ouvrir tous les cœurs.
Il m’a été donné d’assister à une soirée de danses des Wandervogel, soirée donnée simplement pour s’amuser entre eux. Dans le même costume rudimentaire avec lequel ils courent les routes, jambes nues toujours, et pour certains pieds nus, ces adolescents se livrèrent à des danses vives, mouvementées, avec des figures qui rappellent un peu l’ancien quadrille. Ils valsèrent aussi en se tenant écartés l’un de l’autre, à la mode rhénane. Les mélodies dont ils chantaient les paroles en même temps étaient d’une pauvreté et d’une banalité bien étonnantes pour un peuple de musiciens.
Simone May, La Femme de France, 17 août 1930