« La souffrance est l’appel de la route », et la route est le grand chemin qui mène à l’inconnu, chemin où la mort ne fait que continuer la vie. Ecoutez plutôt :
« Une côte que l’on monte avec fatigue et en sentant la rudesse du fardeau… et c’est la vie » — On approche du sommet, on y est, telle une silhouette nette, puis les « pieds disparaissent, les Jambes ensuite, le buste est mordu, plus rien… et c’est la mort. »
Nul ne suit la route sans souffrir, et c’est le « problème de la souffrance » que pose M. Estauniè; trois amis en discutent, avec preuves à l’appui et c’est tout le roman. Disons que c’est un procès à la fois en règle et bienfaisant pour nous.
Le premier ami, Duclos, trouve la souffrance « injuste ». Ne s’est-elle pas abattue sur le pauvre Lormier, sans qu’il sache d’où partent les coups.
Un autre répond; Tinaut, lui, l’estime « incompréhensible ». A quoi bon, sous les apparences de la vie ordinaire, tous ces drames qui paraissent sans lien, brisent les cœurs et saccagent les vies de Lormier et de sa fille, de Mme Mauchon et de ses fils, de la famille Traversot, tous pantins séparés que relient des fils mystérieux et qui se font mal sans se connaître ?
Et le troisième conclut que la souffrance est « incomprise ». Un hasard a mis sur son chemin toutes ces victimes ou ces « élus » de la souffrance. Sans les avoir encore consolées. Elle a déjà produit ses plus nécessaires résultats: « le détachement et la croyance à l’au-delà ». Car on gravit toute côte pour découvrir un horizon dont l’existence n’est pas en doute, « le pays où la Justice de Dieu perdra son obscurité, parce qu’il y fait toujours clair. »
Livre à thèse, direz-vous ? Oui, mais la thèse est enveloppée dans un drame poignant, sans fracas, et, par-là, plus profond. Livre bon qui, en trois chapitres, donne à la souffrance son vrai sens et répond à beaucoup de nos questions.
L’Ouest-Eclair – 12 octobre 1922
