Hommage à Peter Schmitz

Peter Schmitz était un garçon formidable, calme et doux, déterminé et sûr de son engagement. Quiétude et détermination, voilà les deux qualités que Schmitz reflétait d’emblée.

Il nous avait rendu visite deux fois lors de séminaires du comité de rédaction de Vouloir et Orientations, qui se tenaient chaque année en Flandres, avant que nous ne joignions nos efforts à ceux de la FACE, pour organiser nos universités d’été estivales. Thierry Mudry, Christiane Pigacé, nos camarades marseillais de Libération païenne et plus tard de l’équipe de Muninn, Ralf Van den Haute du magazine Europe-Nouvelles, Eric Van den Broele, Rein Staveaux, les jeunes du mouvement « De Vrijbuiter », les Burschenschafter viennois, Alessandra Colla, Marco Battarra et moi-même conservons un souvenir ému de celui qui avait rendu justice au mouvement des Artamanen en leur consacrant une thèse de doctorat. C’est en son souvenir, notamment, que nous voudrions activer l’initiative « Jeune d’Europe ». La responsable allemande de ce projet, Beate-Sophie Grunske, rend ici à Peter Schmitz l’hommage qu’il mérite et nous reproduisons la recension qu’avait consacré à son livre l’historien Jan Creve, créateur du mouvement de jeunesse libertaire, régionaliste et écologiste flamand « De Vrijbuiter » (RS).

Il y a un an environ, notre ami Peter Schmitz est mort inopinément dans un accident d’auto. Beaucoup d’entre nous l’avaient connu sous son nom de randonneur, « Wieland ». Dans tout le mouvement de jeunesse allemand, Peter Schmitz avait acquis une popularité bien partagée grâce à son livre Die Artamanen, Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland 1924-1935.

C’est en 1985 que sa thèse sur le mouvement des Artamanen est publiée sous forme de livre. Quand Schmitz a abordé cette thématique, une véritable mutation s’est emparée de sa personne, a modifié la trajectoire de sa vie. Mais, indépendamment de cette sorte de transfiguration personnelle, sa thèse est très importante car elle constitue une contribution à l’histoire du mouvement de jeunesse allemand à équidistance entre la rigueur scientifique, la distance que celle-ci implique et l’intérêt et l’enthousiasme que cette thématique peut susciter chez le chercheur.

Les Artamanen constituaient en effet un courant particulier au sein du mouvement de jeunesse allemand de l’époque de Weimar, dont la pensée et les idées motrices étaient pour une bonne part dérivées de la matrice dite völkisch (« folciste »). « Folciste », cela signifiait pour une ligue comme celle des Artamanen, focalisée comme l’indique le titre du livre de Schmitz sur le travail rural et sur la colonisation de terres en friche, un phénomène typiquement urbain, dans des villes où l’on cultive justement la nostalgie de la vie à la campagne et des rythmes immuables de l’existence paysanne. Les jeunes citadins, en cette époque de crise, constataient qu’ils ne devaient plus espérer une embauche dans l’industrie ou dans le secteur tertiaire, en dépit des aptitudes professionnelles qu’ils avaient acquises ; une fraction d’entre eux a donc décidé de se consacrer entièrement à l’agriculture, non pas dans l’espoir de faire fortune, mais justement pour vivre en conformité avec leurs idéaux folcistes.

L’intention des Artamanen était aussi nationaliste et anti-capitaliste : les associations de propriétaires terriens faisaient venir des travailleurs agricoles et saisonniers polonais dans les provinces orientales de l’Allemagne (Poméranie, Brandebourg, Silésie), ce qui donnait à ces Polonais le droit de revendiquer le sol qu’ils cultivaient. Dans leur logique folciste, les Polonais et les Artamanen disaient : le sol appartient à celui qui le cultive. Ensuite, à l’instar de tout le mouvement de jeunesse de l’époque, les Artamanen souhaitaient lancer un pont entre, d’une part, les citadins aliénés, ignorant l’essentiel que sont le travail et la production agricoles pour la vie d’une nation, et, d’autre part, les populations rurales qui conservaient tout naturellement les linéaments d’une culture paysanne germanique pluri-séculaire, des coutumes fondamentales dans le patrimoine de la nation et surtout les réflexes communautaires de la vie villageoise.

Dans leur majeure partie, les travaux agricoles entrepris par les Artamanen étaient ponctuels et temporaires : ils exécutaient des tâches saisonnières de mars à décembre. A une époque où le chômage était omniprésent et où l’État n’assurait pas le minimum vital parce qu’il ne le pouvait plus, l’« Artambund » devenait automatiquement le lieu où la jeunesse idéaliste se retrouvait, où ces jeunes condamnés au chômage recevaient une aide en échange d’une activité productive : ils bénéficiaient d’un logement et de la nourriture et/ou d’un salaire modeste correspondant à celui des travailleurs saisonniers polonais. L’égalité de traitement entre les Artamanen, aux mobiles idéalistes, et les travailleurs polonais a conduit à des conflits avec les propriétaires terriens car ceux-ci refusaient les revendications des Artamanen qui exigeaient un minimum de partenariat social. Résultat de ce conflit : les Artamanen établissent leurs propres communautés agricoles, où ils pouvaient pleinement vivre l’idéal du « Nous » communautaire, le fameux Wir-Gefühl, typique du mouvement de jeunesse.

Comme toutes les autres ligues de jeunesse, l’Artambund a été dissout après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes. Ses idées sont récupérées et reprises dans le cadre du « Service Rural » de la Hitlerjugend. Après 1945, les Artamanen ne ressuscitent pas, car la jeunesse prend malheureusement une toute autre attitude face à des valeurs telles l’altruisme, le sens du service et de la camaraderie ; ensuite, les conditions de la vie agricole sont complètement bouleversées. Les régions où se trouvaient avant-guerre les latifundia allemandes sont sous administration polonaise.

Au début des années quatre-vingt, Peter Schmitz, fils d’un médecin de Duisburg dans la Ruhr, commence à s’intéresser à ce mouvement et en fait l’objet de son travail de fin d’études. C’est donc en rédigeant une thèse sur les Artamanen qu’il termine son cycle d’ingénieur agricole à la Haute École de Kassel. La rédaction de cette thèse a été pour lui un tournant important dans son existence : il a eu l’occasion, au cours de son enquête, de rencontrer d’anciens Artamanen ainsi que tous ceux qui les avaient côtoyés. Peter Schmitz a pu ressentir tout l’enthousiasme qui les avait animés lors de leur engagement dans les années vingt. Il reste quelque chose de cet enthousiasme dans les ligues de jeunesse actuelles, ce qui a décidé Schmitz à s’engager à son tour et à participer à cette longue aventure.

Via un ami de son père, Peter Schmitz prend connaissance du « Wandervogel Deutscher Bund » et, dès la fin de ses études, au milieu des années quatre-vingt, il s’engage dans le mouvement de jeunesse, à un âge où la plupart des Wandervögel mettent un terme à leur vie de randonneurs, fondent une famille et amorcent une carrière professionnelle. Avec Holger Hölting, « Chancelier » de la Ligue, il co-dirige le mouvement « Deutsch Wandervogel ». Très vite, les deux hommes font une excellente équipe. Schmitz préférait rester à l’arrière-plan, s’occuper des questions logistiques et des tâches de rédaction, tandis que Hölting prenait en charge la direction concrète du mouvement. Cela ne signifie pas que Schmitz restait confiné dans son bureau et que la vie du mouvement se déroulait sans lui. Schmitz, pourtant un garçon très calme, aimait les imprévus et les fantaisies qui émaillent la vie de tout mouvement de jeunesse. C’est ainsi qu’une expédition prévue pour le Sud-Tyrol n’est jamais arrivée à son lieu de destination mais… dans un camp du mouvement français « Europe Jeunesse » près de Lyon !

Très souvent, Schmitz aiguillait les expéditions vers les camps des groupes amis à l’étranger, notamment ceux du mouvement « Vrijbuiter » en Flandres ou d’Europe Jeunesse en France. C’est au cours d’un de ces camps que Schmitz a rencontré l’amour, en la charmante personne d’une jeune Flamande, Anne. Au printemps 1990, le couple se marie et s’installe à proximité de Kassel, où Schmitz travaille dans le domaine de la protection du patrimoine hydrographique, pour le Land de Hesse. La vie professionnelle commençait, mais Schmitz n’abandonnait pas ses idéaux : on pense qu’il continuait à conceptualiser une forme nouvelle de colonisation communautaire, parfaitement réalisable dans les conditions actuelles. Il en avait déjà parlé dans son livre, mais trop vaguement. Schmitz, à la veille de sa mort, était devenu un ingénieur agronome expérimenté, fort d’un double savoir : il connaissait l’arrière-plan idéologique du rêve néo-paysan des ligues de jeunesse et il connaissait les paramètres scientifiques et écologiques de l’agriculture. Cependant, les projets écologiques du Land de Hesse ne lui convenaient pas. Il décida, avec la complicité d’un entrepreneur privé, de travailler dans un projet de recyclage que quelques communes voulaient lancer en guise d’alternative au système dit du « point vert ».

Avant que Peter Schmitz n’ait pu se donner entièrement à ce projet nouveau, un accident d’auto met fin à ses jours, au printemps 1995. Anne lui donne une fille quelques mois plus tard.

Son livre sur les Artamanen est devenu un véritable manuel pour comprendre toutes les questions relatives à cette colonisation agricole intérieure, telle que l’a pratiquée le mouvement de jeunesse allemand. Voilà pourquoi Peter Schmitz restera vivant dans le souvenir de ses amis et camarades, de tous ceux qui ont le bonheur et l’honneur de le connaître.

Beate-Sophie GRUNSKE

Article paru dans le livre Karl Höffkes – Wandervögel : Révolte contre l’esprit bourgeois – Editions ACE – 2001
Pour aller plus loin sur les Artamanen: Schmitz, Peter -Die Artamanen. Landarbeit und Siedlung bündischer Jugend in Deutschland 1924-1935 – ISBN-10: 3922923364

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